Ses réactions d’azi, angoissantes et primaires, le poussaient à aller s’adresser à un autre superviseur qui lui eût apporté du réconfort, ou alors à prendre une pilule à même d’effacer la tension dans les strates les plus profondes de son être.

La première proposition était d’une stupidité sans bornes et ne l’inspirait guère, mais utiliser des sédatifs pour avoir un sommeil paisible le tentait. À condition d’en absorber une dose importante, il ne se réveillerait que le lendemain, juste avant d’aller accueillir Justin à sa descente d’avion. C’était une solution raisonnable et peut-être idéale, étant donné que les tranks poseraient de sérieux problèmes aux gardes qui viendraient le chercher si les Nye changeaient d’avis au tout dernier moment.

Non, ils n’auraient alors qu’à retarder le vol. Gagner du temps leur serait facile.

S’il ne prit rien, ce fut avant tout parce qu’il pensait pouvoir profiter de cette épreuve. Cette décision ne tirait peut-être pas ses origines de la section logique de son espritc bien qu’il tînt l’enseignement endocrinien en haute estime, ces expériences que la raison et le conditionnement l’incitaient à éviter. S’il avait vécu dans un monde d’azis, tout eût été noir ou blanc, et bien délimité. Mais il évoluait au sein de la grisaille de la pensée-flux qui façonnait les hommes-nés, aux réactions nuancées par les valeurs imprécises que l’instabilité endocrinienne implantait dans leur esprit.

S’il n’aimait pas la souffrance, il accordait de la valeur à ses sous-produits.

Et au fait d’avoir les tranks dans sa pochec une double dose chargée dans un pistolet hypodermique. Si leurs adversaires décidaient de s’emparer de lui, ils devraient s’occuper d’une urgence avant de pouvoir pénétrer à l’intérieur de son cerveau.

3

Nelly avait des problèmes.

— Nous devons faire plus attention, quand elle est là, déclara Ari à Florian et Catlin.

Ils s’étaient réunis en conseil dans une chambre pendant que Nelly aidait Seely à débarrasser la table de la salle à manger.

— Oui, sera, répondit Florian avec ardeur.

Son équipière resta silencieuse, ce qui n’était pas surprenant. Elle lui laissait le soin de répondre en son nom, tant qu’elle n’avait pas d’objections à émettre. Ce qui ne signifiait pas pour autant qu’elle souffrait d’une timidité maladive. C’était son caractère.

Nelly était mécontente. Elle les avait surpris alors que Catlin expliquait à Ari comment procéder pour projeter un adversaire par-dessus son épaule : une démonstration qui avait eu pour cadre la salle de séjour.

— Vous allez vous blesser ! s’était-elle écriée. Florian, Catlin, vous devriez être plus raisonnables !

C’était Florian qui aurait eu le plus de raisons de se plaindre. Il tenait le rôle de l’Ennemi et venait d’être projeté sur le sol. Il ne s’était pas fait mal. Il pouvait faire une chute et se relever immédiatement. Mais comme Ari ne savait pas encore ce qu’il convenait de faire ensuite, il resta prostré par terre afin que Catlin pût apprendre à leur sera comment l’empêcher de nuire.

Nelly avait entendu le bruit sourd et s’était précipitée dans la pièce au moment où Catlin feignait de briser la nuque de Florian. Au ralenti, bien sûr, car dans le cas contraire Ari n’eût rien pu voir. Ses compagnons lui avaient déjà appris à tomber, rouler sur le sol, et se retrouver sur ses pieds. Ils lui enseignaient des choses merveilleuses.

Il leur arrivait de jouer à l’Embuscade, lorsqu’ils avaient tout l’appartement à leur disposition. Ils éteignaient la lumière et devaient ensuite traverser les pièces à tâtons.

Ari se faisait toujours Avoir. Logique. Mais elle devenait une proie de moins en moins facile et découvrait chaque fois de nouveaux trucs. Elle s’amusait bien plus qu’avec Amy Carnath.

Florian lui apprenait beaucoup de choses sur les systèmes informatiques, la façon d’installer des pièges et d’utiliser un concierge pour jouer des tours pas très gentils : réduire un visiteur en petits morceaux, par exemple. Mais pour passer de la théorie à la pratique ils auraient dû subtiliser une bombe dans la section militaire. Désormais, elle savait tout sur les méthodes de reconnaissance vocale et sur les autres procédés qui permettaient à un concierge d’identifier les visiteurs, sur les verrous à empreintes palmaires reliés à l’ordinateur central de la Maison, sur les sondes rétiniennes et le reste. Elle aurait même pu déclencher l’ouverture d’une porte sans disposer de la carte correspondante.

Florian s’était familiarisé avec les systèmes de sécurité de l’appartement : des fermetures très difficiles à forcer, et une foule de gadgets passionnants, comme par exemple des verrous spéciaux, très spéciaux, reliés à un centre de contrôle dont il ne réussissait pas à découvrir l’emplacement. Sans doute les services de sécurité. S’il aurait pu essayer malgré tout de suivre les circuits, cela risquait de leur attirer des ennuis et il préférait s’en abstenir, sauf si Ari y tenait vraiment.

Il avait attendu d’être à l’extérieur pour apporter cette précision, car il avait entre-temps découvert d’autres choses.

Comme par exemple que le concierge les écoutait.

C’était un modèle très particulier, capable de tout entendre et de tout voir. Il était en outre si silencieux qu’on ne pouvait savoir s’il fonctionnait ou non. Il possédait un blindage très solide et l’enregistrement des sons et des images avait lieu ailleurs, hors de l’appartement. Les grands angulaires et les micros capables de capter aussi bien les mouvements que les sons n’étaient pas plus gros que des têtes d’épingle.

— Ils les placent sur un mur, et ils sont si petits et transparents que le seul moyen de les repérer sans le matériel de détection approprié consiste à balayer la paroi avec une lumière rasante. Mais la netteté de ces objectifs est parfaite. Ensuite, ils peuvent digitaliser l’image et augmenter la résolution. C’est pareil pour le système audio. Il leur est facile d’analyser les inflexions d’une voix. Ils ont la possibilité d’obtenir tout ce qu’ils désirent, même si ça représente beaucoup de travail. La plupart des concierges sont bien plus simples et accessibles. Ceux de la Maison sont des modèles haut de gamme, perfectionnés et encastrés, et il est presque impossible de repérer les micros noyés dans le ciment, entre les pierres et l’enduit.

Elle en était bouleversée.

— Même dans la salle de bains ?

Un hochement de tête de Florian.

— Surtout dans la salle de bains. Ceux qui installent les systèmes de surveillance pensent en priorité aux endroits qui ne viennent pas tout de suite à l’esprit.

Elle était allée voir oncle Denys, pour lui demander avec colère :

— Est-ce que la sécurité peut me voir et m’entendre, quand je fais ma toilette ?

Et oncle Denys de lui répondre par une autre question :

— Qui te l’a dit ?

— On me surveille ?

— Pour assurer ta protection, mon enfant. N’y pense plus. Ces systèmes ne sont utilisés qu’en cas de nécessité.

— Je n’en veux pas dans cette pièce !

— Mais tu n’es pas une voleuse, ma chérie. Et si tu en étais une, les gardes le sauraient. Oublie tout ça.

— Oui, ser, avait-elle dit.

Avant de demander à Florian de passer la salle de bains au peigne fin. Après avoir trouvé tous les objectifs et les micros, il avait collé sur eux un petit tampon d’argile à modeler. Sauf sur ceux du haut-parleur mural auquel elle suspendait désormais une serviette de toilettec que Nelly s’empressait d’enlever sitôt après et qu’elle remettait en place dès qu’elle revenait.

Florian allait répéter l’opération dans sa chambre quand oncle Denys la convoqua pour lui annoncer qu’au cours d’un test de routine la sécurité avait découvert qu’une partie du système de surveillance ne fonctionnait plus. Il précisa qu’il était disposé à renoncer à faire protéger la salle de bains mais qu’elle aurait intérêt à ne pas toucher au reste.