L’instructeur leur annonça qu’ils avaient deux heures de rec et que l’extinction des feux aurait lieu à 23 heures.

Mais Catlin jugea préférable de regagner leurs quartiers – c’était le nom qu’ils donnaient aux chambres – et de se préparer le mieux possible à affronter la Pièce, étant donné qu’ils étaient autorisés à en discuter au préalable. Et ils se posèrent des questions jusqu’au moment où ils durent se coucher.

Se dévêtir l’angoissait. Il ne s’était jamais déshabillé en présence d’une fille, seulement devant des meds et des techs qui avaient pris soin de lui fournir quelque chose à mettre, de tourner le dos ou de sortir de la pièce. Catlin trouvait normal de partager la chambre de son équipier et elle retira sa chemise et son pantalon la première. Il l’imita, pendant qu’elle allait prendre une douche. Elle revint avec des sous-vêtements propres et jeta les sales dans le panier à linge.

Son corps correspondait à ce qu’il avait imaginé ; tout en os et en petits muscles. S’il n’avait pas pris un repas au mess, il se serait imaginé que l’ordinaire des membres des services de sécurité laissait à désirer. Sa silhouette était différente de la sienne, plus maigre autour de la poitrine – on pouvait voir ses côtes – et toute plate là où les garçons avaient quelque chose. C’était la première fois qu’il voyait une fille en petite tenue. Ses sous-vêtements étaient minuscules et ne dissimulaient presque rien. Il essaya de ne pas y penser et d’oublier qu’elle le regardait. Il n’aurait pu dire pourquoi, mais il trouvait cela gênant. Il n’avait cependant pas le choix, ils n’auraient pu dormir tout habillés.

Ils devaient en conséquence faire preuve de courtoisie et s’accommoder de la situation.

Il alla prendre à son tour une douche, sans perdre de temps car les plus grands voudraient sous peu se rendre dans la salle d’eau, puis il enfila des sous-vêtements propres, regagna la chambre et s’attribua le lit du bas après avoir constaté que Catlin avait pris l’autre. Il s’y glissa très vite, parce qu’elle s’était déjà couchée et que lui seul se promenait en petite tenue.

— Le dernier au lit doit éteindre, lui dit-elle. C’est ma Règle. D’accord ?

Il tendit le bras et chercha l’interrupteur. C’était la première fois qu’il passait la nuit en un lieu où toutes les lumières ne s’éteignaient pas en même temps. Il n’avait dormi que dans des baraquements, en compagnie d’une cinquantaine d’autres garçons. Il repoussa la couverture, plongea vers l’interrupteur, le pressa et repartit dans l’autre sens. Il heurta le lit, avec tant de violence que Catlin en fut secouée.

— Désolé, dit-il.

Il se hâta de remonter le drap, sans faire de bruit.

Il percevait la présence de sa partenaire, une fille qui devait avoir sept ans et était très différente de lui. Elle appartenait à la sécurité, et comme tous ses semblables elle gardait ses distances. Il craignait de se comporter comme un imbécile et de la dresser contre lui. Il resta allongé dans l’obscurité, à l’intérieur de cette petite pièce qu’il ne partageait qu’avec une fille. Il était mal à l’aise, bien plus que dans un nouveau dort. Il avait des frissons, qui n’étaient qu’en partie dus à la fraîcheur des draps. Tout était silencieux, à l’exception des bruits faits par les grands qui allaient prendre leur douche.

Il se demanda où Catlin avait vécu avant de venir ici. Elle semblait détendue. On avait dû lui expliquer ce qui se passerait, à moins qu’elle ne fût capable de s’adapter à toutes les situations. Avoir un garçon pour partenaire ne la gênait pas. Elle paraissait contente qu’il sût désamorcer les pièges et il espérait ne pas la décevoir. Il serait très embarrassé s’ils Sautaient dès la première porte.

Il éprouvait en outre de l’appréhension à la pensée de devoir installer ses pièges dans l’obscurité : une opération délicate, pour laquelle il lui faudrait utiliser sa torche. Catlin disait qu’il devrait en dissimuler la clarté sous sa veste, s’ils étaient comme d’habitude autorisés à en avoir une. Ceux qui se découpaient contre une lumière étaient des cibles idéales.

— Ne fais surtout pas de bruit, lui avait-elle dit. Je couvrirai tes arrières et tu n’auras qu’à effectuer ton travail, mais les sons aideront l’Ennemi à nous repérer. Nous essayerons d’en Avoir un de cette manière, mais tout dépendra du temps dont nous disposerons : si c’est un parcours de rapidité ou d’extermination. Ils nous le préciseront.

Il ignorait ce qu’était un parcours d’extermination.

— C’est quand le nombre d’Ennemis qu’on a Eus nous fait marquer plus de points que le temps mis pour traverser.

— Comme quand il faut installer des pièges, avait-il répondu, heureux d’avoir compris. Certains jours, il faut faire les deuxc en désamorcer un et en placer un autre pour Avoir l’Ennemi qui nous suit. On a droit à un bonus, s’il ne le trouve pas. Parfois, ils nous disent de revenir sur nos pas et on ne peut pas savoir si on va tomber sur notre piège, le sien, ou s’il s’y est fait prendre. Les explosions sont visibles, mais il ne faut pas s’y fier. Il a pu déclencher le nôtre et en installer un autre.

— C’est un tour de cochon, avait-elle commenté, alors que ses yeux avaient un éclat singulier. C’est bien.

Il tenta de faire le vide dans son esprit pour trouver le sommeil. Il devait se reposer, car ils traverseraient une Pièce à l’aube, mais s’endormir s’avérait difficile parce qu’il se posait d’innombrables questions.

Même si la Pièce l’angoissait bien moins que cet endroit.

Pourquoi ont-ils fait cela ?se demanda-t-il. Et il pensa à larme posée sur la table, au mess silencieux, à toutes les histoires racontées par Catlin. Sont-ils certains que ma place est ici ?

— Ce n’est pas un jeu, avait-elle rétorqué après qu’il eut employé ce terme. Un jeu, c’est ce qu’on fait sur les ordinateurs pendant les temps de rec. On n’est pas ici pour s’amuser et nos adversaires trichent tout le temps.

Il souhaitait retourner aux AG. Il voulait revoir Cheval. Il eût aimé pouvoir aller nourrir le poulain.

Mais pour y être autorisé il lui faudrait d’abord traverser la Pièce sans se faire Avoir.

Ce serait toujours ainsi, désormais.

Il tenta de vider son esprit.

Pourquoi ne m’ont-ils pas passé de bandes ? Pourquoi ne le font-ils pas, pour que je sache ce qu’on attend de moi ?

Pour dissiper cette angoisse insoutenable.

L’ordinateur a-t-il pu m’oublier ?

10

Toutes les nuits Ari pensait que sa lettre s’éloignait et se demandait où elle se trouvait, étant donné qu’il lui fallait tant de mois pour arriver à destination. Maman et Ollie devaient désormais vivre à Lointaine. Elle se sentait rassurée, depuis qu’elle savait où ils étaient. Elle regardait des holos de la station et se les représentait là-bas. Oncle Denys lui avait apporté une brochure publicitaire de RESEUNESPACE sur laquelle on pouvait lire le nom de maman et voir des photos de l’endroit où elle devait travailler. Elle conservait cette documentation dans le tiroir de son bureau, pour pouvoir la consulter et imaginer qu’elle allait les rejoindre. Elle écrivait une lettre tous les deux ou trois jours, afin de donner de ses nouvelles à maman. Oncle Denys gardait tout son courrier et en ferait un colis, parce que les frais d’expédition étaient élevés et que maman serait aussi contente si elle recevait tout à la fois, dans la même enveloppe. Elle aurait aimé les adresser à maman et à Ollie, mais oncle Denys disait que ça aurait compliqué le travail des postiers et que si elle avait des choses à dire à Ollie maman lui remettrait ses lettres. C’était obligatoire : le courrier d’un azi devait être envoyé à son superviseur. Ce qui pouvait paraître ridicule dans le cas d’Ollie, dont l’équilibre mental était à toute épreuve. Mais la loi était la loi.

Elle mettait donc comme destinataire :

D rJane Strassen