— Qu’as-tu donc, fit-il, ma petite Riri, serais-tu souffrante ?

— Non, répliqua la jeune femme, mais je suis inquiète, j’ai peur de te perdre. N’est-ce pas demain que tu vas voir ton frère ?

— Oui. Et alors ?

— Alors, j’ai peur, j’ai peur que tu me quittes, j’ai peur que tu ne lui donnes raison, j’ai peur qu’il ne te répète toutes ces choses vilaines qu’il a dites sur moi, sur nous, dans les lettres que tu as reçues en Suisse. Tu sais combien je t’aime, mon petit Seb, ce serait épouvantable, affreux, si tu t’en allais, si tu m’abandonnais. J’aimerais mieux mourir cent fois.

— Tu sais bien que je t’aime plus que tout, que je n’aime que toi. Rien au monde ne pourra nous séparer. Sois tranquille ma petite Riri, il ne faut pas te faire des idées comme ça.

Le jeune homme s’arrêta :

— Que fais-tu ? interrogea Rita d’Anrémont, qui suivait son amant d’un regard inquiet.

Le jeune homme était allé à la porte du boudoir qui donnait sur le palier, il écoutait. Au bout d’un instant, le jeune homme revint :

— C’est drôle, fit-il, j’avais cru entendre marcher.

— Marcher, dit-elle, tu es fou, à moins qu’il ne s’agisse de la femme de chambre qui doit être sur le point de rentrer. Écoute, mon petit Seb, parle-moi encore un peu de ta visite de demain. Qu’est-ce que tu vas lui dire à ton frère ? Lui dire exactement ? à notre sujet. Sur toi, sur moi, sur lui ?

Sébastien ne répondit pas tout de suite. Sa main caressait lentement le cou de sa maîtresse, et son doigt, machinalement, s’était arrêté sous le menton, il allait et venait :

— Qu’est-ce que tu as donc sur la gorge, en haut, sous la mâchoire ? On dirait une tache, un coup de crayon.

Intriguée, Rita d’Anrémont se leva, alla vers un miroir, s’examina minutieusement, puis soudain, elle pâlit. En hâte, la jolie femme prit dans le sac à main dont elle ne se séparait jamais un peu de poudre de riz dont elle se saupoudra le cou.

— Ce n’est rien, fit-elle, cependant qu’en souriant elle se retournait vers son amant. Une tache, un coup de crayon, en effet, comme tu disais.

Rita d’Anrémont, cependant, était affreusement troublée.

Ce que son amant avait remarqué, ce qu’elle venait d’apercevoir à la lumière crue de l’électricité, c’était net, catégorique, terrible : la tache, le trait de crayon remarqué par Sébastien, n’était, en réalité, qu’une ride, une de ces rides implacables qui viennent peu à peu les unes après les autres strier le cou des femmes et faire autour de leur gorge, un effroyable collier que les plus belles parures ne peuvent dissimuler.

Cette fois, Rita d’Anrémont avait éprouvé un choc au cœur, violent. C’était l’âge qui se révélait, sa jeunesse qui se transformait en une maturité encore séduisante, mais la malheureuse entrevoyait l’avenir, sentait l’inquiétude grossir dans son cœur.

— Il a vu, songeait-elle, que ne verra-t-il pas encore ?

Mais, faisant un effort suprême sur elle-même, et rendant un air jeune à sa physionomie, affectant une extrême gaîté, Rita d’Anrémont se blotti dans les bras de son amant :

— Raconte-moi, dit-elle, des choses d’amour…

Puis, désignant un commutateur :

— Éteins, dit-elle, ces lampes, il y en a trop.

2 – L’INCOMPRÉHENSIBLE

— De sorte que c’est vous, mon cher Juve, qui allez avoir à éclaircir ce nouveau mystère ?

— Moi-même, monsieur le commissaire, et je ne vous cache pas que je n’en suis que très médiocrement flatté.

— Allons donc ? Vous plaisantez ? Juve, peu satisfait d’avoir une enquête difficile à mener ? cela ne se serait jamais vu.

— Eh bien, c’est tout vu.

Dans le vestibule du petit hôtel qu’habitait Rita d’Anrémont, Juve causait avec un interlocuteur qui affectait de le traiter sur un pied d’intimité, encore que Juve lui opposât un ton de respect.

Juve n’avait pas changé. Peut-être avait-il l’air un peu plus grave que d’habitude, peut-être penchait-il la tête un peu plus, peut-être semblait-il quelque peu fatigué, découragé ? En réalité, il n’en était rien.

Juve venait de vivre d’extraordinaires heures de détresse morale. Sur le point de mener à bien la plus merveilleuse ruse policière qu’il eût jamais inventée, après avoir cru que l’arrestation de Fantômas ne pouvait manquer, le terrible bandit lui avait filé entre les doigts, et le policier ne s’en faisait pas une raison.

Juve avait repris son service à la préfecture de police. Il y faisait sa besogne, tranquillement, mécaniquement.

Jamais il ne parlait de Fantômas. Ses collègues eux-mêmes évitaient d’y faire allusion.

Juve, pourtant n’avait pas renoncé. S’il semblait mettre moins de fougue à ses besognes, il n’en était pas pour cela moins prêt à la lutte. Il se réservait, il se reposait, il amassait en lui des trésors d’ingéniosité, des richesses de volonté. Il attendait l’occasion, l’indice.

Or, justement, alors que Juve jurait, d’un ton lassé, qu’il n’était pas satisfait d’être chargé d’un nouveau dossier, son air démentait ses paroles. Ses yeux brillaient, une nervosité toute spéciale se devinait dans sa voix.

— Enfin, commença le policier, se croisant les bras sur la poitrine et regardant bien en face le commissaire de police, qu’est-ce qui s’est passé au juste ?

Le commissaire, d’abord, haussa les épaules, puis déclara :

— Vous m’en demandez trop. Ce qui s’est passé, je vous avoue que je n’en n’ai pas la moindre idée. D’abord, vous, Juve, que savez-vous ?

— Moi ? faisait-il, mais je ne sais rien, absolument rien. J’entends parler des gens qui me racontent des histoires invraisemblables et voilà tout. Oui, j’étais ce matin bien en train de faire ma toilette, ne songeant à rien de particulier, lorsque mon téléphone a sonné. De la préfecture, on me prévenait qu’il y avait eu un crime ici, villa Saïd et qu’il fallait que je m’y rende tout de suite pour suivre l’enquête. Je me suis habillé en toute hâte, mon cher commissaire, j’ai sauté dans un fiacre et je montais l’escalier quand je vous ai rencontré. Je ne sais rien de plus, si ce n’est que la concierge m’a parlé de vitriol.

Juve, évidemment, n’était pas renseigné. Le commissaire pouvait donc parler en toute tranquille d’esprit sans s’exposer à être ridicule aux yeux de Juve.

— Vous ne savez pas ce qui s’est passé, mon bon Juve ? et bien, moi non plus. Et je crois que personne ne le saura jamais. En tout cas, voici les faits. Ce matin, j’étais en train de dépouiller mon courrier au commissariat lorsqu’on est venu me chercher. Des voisins avaient entendu, ce matin, des cris horribles semblant provenir de cet hôtel où nous nous trouvons. Un attroupement s’était formé. Bref, l’émotion grandissait. Quelqu’un a été cherché un gardien de la paix, lequel est venu me trouver. Naturellement, je me suis immédiatement transporté ici.

— Et vous y avez découvert ?

— Voilà.

Le commissaire, en peu de mots, mais assez clairement, expliqua quels étaient exactement les habitants du petit hôtel où tous deux se trouvaient.

— Or, continua le commissaire, à peine avais-je pénétré dans le jardinet, à peine étais-je entré dans ce vestibule que j’ai entendu, tout comme les voisins, des cris, des gémissements, paraissant provenir du premier étage de l’hôtel. Bien entendu je suis monté quatre à quatre, j’ai enfoncé la porte de la chambre, « enfoncé » est un gros mot, car elle n’était pas fermée, ni la porte d’entrée du petit hôtel, et une fois dans la pièce dont les rideaux étaient encore tirés, je distingue dans la pénombre le corps d’un homme qui se débattait sur le sol, en proie à d’horribles souffrances semblait-il, gémissant, hurlant, et cela à tel point qu’il ne s’est même pas aperçu de mon arrivée.

— C’était Sébastien ?

— Oui, et quand je l’ai eu relevé, quand, aidé de quelques voisins et de deux de mes agents qui m’avaient suivi, je l’ai eu porté sur son lit, j’ai compris pourquoi il souffrait comme ça : il avait en effet le visage horriblement brûlé, tailladé, rongé par le vitriol.