L’inconnu précisa :

— La justice, d’autre part, en la personne du policier Juve, était tentée de croire que votre oncle n’était pas mort, mais bien en fuite, qu’il avait volontairement disparu, il fallait donc, à mon avis, accréditer l’histoire du crime, la thèse de l’assassinat. On ne retrouvait pas la fameuse malle jaune, j’ai lancé la malle verte, toute maculée de sang, dans les jambes de la police. Depuis lors, les choses ont tourné autrement. Vous n’avez pas voulu vous entendre avec moi, et j’ai dû faire rejaillir sur vous la responsabilité du crime.

Fernand Ricard se leva :

— Vous dites ? hurla-t-il.

— Je dis, poursuivit froidement l’inconnu, que j’ai fait le nécessaire pour vous compromettre, que dans l’appartement de l’oncle Baraban j’ai fait découvrir des preuves certaines de votre présence la nuit du crime et de votre culpabilité.

— Vous êtes un misérable !

— Je suis votre sauveur, dit l’inconnu, et vous l’avez bien compris. Je ne tiens plus à vous nuire, mais bien à vous tirer d’affaire. Voyons, insinua-t-il, le cadavre où est-il ?

Il ajoutait d’un ton pressant :

— Comprenez donc qu’il faut le faire disparaître. Il faut désormais rendre impossible toute découverte des traces de ce mort.

Il croyait avoir bien plaidé sa cause, il attendait. Ce fut en vain.

Fernand Ricard opposait un entêtement résolu à la demande qui lui était adressée :

— Je ne sais pas qui a tué l’oncle Baraban, déclarait-il, j’ignore où se trouve son cadavre.

Ils discutèrent ainsi pendant une heure. L’inconnu se montra tour à tour suppliant, puis menaçant, puis terrible, ce fut en vain. Il ne pouvait obtenir aucune autre réponse.

De guerre lasse, il était à ce moment près de minuit, le faux oncle Baraban se leva :

— Je vous sauverai malgré vous, déclara-t-il. Souvenez-vous d’une chose, simplement : c’est que l’oncle Baraban existe, et que c’est moi. Souvenez-vous également que si vous osiez enfreindre mes ordres, les pires malheurs vous surviendraient, je ne vous ferais pas grâce.

Fernand Ricard, narquoisement, considérait son interlocuteur. Il ne répondait rien. Alice malgré son émotion, semblait, elle aussi, résolue à résister.

Les deux époux raccompagnèrent le mystérieux inconnu jusqu’au seuil. En s’en allant, celui-ci, avant de s’enfoncer dans la nuit noire demanda encore :

— C’est votre dernier mot ? Ne me direz-vous pas où se trouve le cadavre de l’oncle Baraban ?

— Nous ne pouvons pas le dire, nous ne le savons pas.

L’homme s’enfonça dans la nuit. En se retournant, il vit, demeurés sur le seuil de la porte, les deux époux Ricard qui souriaient.

Quelques instants après, le mystérieux personnage arpentait les rues désertes de la ville de Vernon. Il passa devant la mairie, traversa deux rues obscures, puis s’arrêta devant une maison surmontée d’une enseigne dorée, où on lisait : Étude.

Il sonna violemment à la porte de l’immeuble appartenant à M e Gauvin.

Cependant qu’il attendait une réponse, l’inconnu songeait, murmurant presque à haute voix :

— L’oncle Baraban est-il réellement mort ? Ou ne l’est-il pas ?

Le personnage mystérieux carillonna vingt minutes environ à la porte du notaire, sans obtenir de réponse. Brusquement la lumière se fit en son esprit.

— Que je suis bête, dit-il. Gauvin est à Paris, et naturellement les domestiques en ont profité pour décamper.

Dès lors, rebroussant chemin, le faux oncle Baraban se dirigea vers la gare.

Il s’approchait de la station, qui, soudain, devenait animée, remuante. Un train arrivait de Paris, quelques voyageurs en descendaient. Le faux Baraban se dissimula dans l’ombre pour observer les passants.

Tout à coup il tressaillit.

— Les voilà, murmura-t-il. Ce sont eux.

Gauvin père et fils revenaient de Paris, encore tout stupéfaits du résultat de la loterie qui venait d’être tirée quelques heures auparavant.

Quant au faux Baraban, il ne repartit pour Paris qu’à l’aube.

20 – UN JOYEUX VIEILLARD

Juve remettant à plus tard de procéder à une enquête plus subtile, sur les événements qui venaient de se produire, avait repris le train pour Paris.

En son for intérieur le policier était très satisfait du résultat de l’aventure. Le retour inopiné de l’oncle Baraban lui donnait absolument raison.

Et, pour être un grand honnête homme, Juve n’en avait pas moins une certaine satisfaction d’amour-propre, en se disant qu’une fois de plus, il avait eu raison contre tout le monde. Il se demandait, non sans malice, la tête que pouvait bien faire à l’heure actuelle M. Havard, en songeant qu’il venait de procéder à l’arrestation de deux suspects après avoir, au préalable, arrêté deux autres personnes, et que nul dans ce quatuor d’inculpés n’avait pu être maintenu sous l’accusation d’avoir assassiné un homme, pour cette bonne raison que cet homme se portait à merveille.

Le policier, lorsqu’il descendit à la gare Saint-Lazare, éprouva le besoin d’aller se coucher, car il était très fatigué. Le lendemain, il se levait d’assez bonne heure, non sans avoir au préalable, longuement réfléchi dans son lit. C’était au lit, en effet, que Juve étudiait les diverses affaires dont il était chargé.

Le policier était un peu plus troublé, un peu plus perplexe que la veille au soir. Il avait repassé dans son esprit les événements qui s’étaient produits si rapidement d’ailleurs, à la gare de Vernon, et deux choses le préoccupaient. Tout d’abord, encore que l’oncle Baraban fût vivant, il subsistait un mystère, celui des deux malles qui avaient joué un rôle si important dans la tragi-comédie de la rue Richer. Cette malle verte, adressée à Brigitte, soi-disant par Baraban, et dont on ne savait pas la véritable origine.

Et puis aussi, cette malle jaune que l’on avait pu introduire dans l’appartement du célibataire au cours de l’après-midi précédant la nuit du scandale, et que l’on avait perdue de vue, puis retrouvée ensuite, par la simple indication de sa serrure jetée dans le puits de la maison des Ricard à Vernon, alors que selon toute probabilité, les Ricard avaient fait disparaître le reste de la malle, brûlée dans le fourneau, ainsi qu’il résultait des morceaux calcinés retrouvés par Havard.

Certes, Juve savait qu’il y avait dans cette bizarre famille, un mystère, une intrigue d’amour. Il avait découvert, et d’ailleurs Alice Ricard ne s’en était pas cachée, que la nièce était la maîtresse de l’oncle, à l’insu du mari, comme il se doit.

Et Juve avait même souri à cette idée en songeant que l’oncle Baraban avait été obligé d’avouer la veille, devant tout le monde, qu’il avait disparu avec une petite femme.

— Il va se faire arracher les yeux par sa nièce, avait pensé Juve, qui imaginait assez bien un tête-à-tête orageux entre ces deux amants, une fois le mari le dos tourné.

Juve était naturellement à cent lieues de se douter de la scène véritable qui s’était déroulée le soir même de l’arrivée du faux oncle Baraban dans la maison des Ricard.

Il y avait enfin autre chose que Juve prétendait tirer au clair. Le désordre créé dans l’appartement de Baraban lui était apparu de plus en plus suspect, et il lui semblait que le vieillard, en s’accusant d’une simple fugue amoureuse, n’avait pas dû dire toute la vérité. Assurément, il y avait eu mise en scène, et mise en scène voulue à des fins bien précises. Que voulait Baraban, en préparant ainsi de la sorte, l’opinion publique, en l’aiguillant vers l’hypothèse d’assassinat ?

Juve, en s’habillant, avait longuement réfléchi à ce dernier problème, sans lui trouver de solution satisfaisante.

Et haussant les épaules, il en était arrivé à conclure :

— Après tout, ce joyeux vieillard a peut-être voulu faire croire à son neveu et à sa nièce qu’il était bien mort, afin qu’on le laissât tranquille, et qu’il puisse filer le parfait amour avec la nouvelle élue de son cœur. Cependant, avait conclu Juve, il faut que j’en aie le cœur net.