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Juveet Fandor ne soupçonnaient donc pas la présence deFantômas dans ce train qu’ils prenaient. La ruse duMaître de l’épouvante, ruse habile entre toutesles ruses, réussissait parfaitement. Juve et Fandorimaginaient le Génie du crime à Bruxelles, et parconséquent ne pouvaient penser qu’ils étaient àpeine séparés de lui par quelques compartiments.

S’ilsne redoutaient point de rencontrer le tortionnaire, Juve et Fandorcependant ne voyageaient point l’âme tranquille etl’esprit sans inquiétude.

Juve,tout aussi bien, était beaucoup trop prudent, beaucoup tropavisé, pour ne pas prendre des précautions, toujours eten dépit de tout. À peine étaient-ils doncmontés dans l’un des grands cars du train de luxe, queJuve, d’un geste, appelait Fandor :

— Écoute,soufflait le policier. Il y a toujours plus de chance que deux hommessoient remarqués qu’un seul. Nous croyons Fantômastrès loin d’ici, mais, en somme, rien ne l’établitde façon absolue. Donc, prudence et méfiance !

— Cequi veut dire ? interrogeait Fandor.

— Cequi veut dire, continuait Juve, que nous allons nous séparer.Va-t-en si tu veux dans le dernier compartiment, celui des fumeurs,moi, je me mettrai dans celui qui suit les dames seules. Ouvre l’œil,Fandor, comme j’ouvrirai l’œil moi-même, et,toutes les deux heures, va tranquillement te laver les mains aulavabo. Tu m’y retrouveras. Par conséquent, s’il ya quelque chose de suspect, tu me feras signe.

— Entendu,accepta Fandor.

Lesdeux hommes causaient encore quelques minutes puis, àl’instant où le train démarrait, se séparaientdéfinitivement. Jérôme Fandor allait prendreplace dans le compartiment des fumeurs, un compartiment qui setrouvait tout à l’extrémité du wagon, versl’arrière du train, Juve se logeait dans le compartimentqui suivait celui affecté aux dames seules.

Et,dès lors, le voyage commençait, monotone, tranquille,un voyage que Juve occupait à dépouiller les journauxbelges relatant le crime de Fantômas à Bruxelles, etdont Fandor profitait pour mettre à mal toute une abondanteprovision de cigarettes.

Fandoret Juve d’ailleurs suivaient scrupuleusement le plan qu’ilss’étaient imposé à eux-mêmes. Deuxheures après le départ de leur train, Juve et Fandor serencontraient donc dans le cabinet de toilette situé au centredu wagon.

— Ehbien ? interrogeaient-ils en même temps.

Juve,le premier, déclara :

— Jusqu’àprésent rien de suspect. J’ai comme compagnon de routeune grosse femme qui passe son temps à changer de paire delunettes, et un monsieur qui soigne avec affection un perroquet qu’ila enfermé dans un petit panier. Ce sont des gens paisibles,mais peu intéressants. Et toi, Fandor ?

Fandorparut hésiter à répondre.

— Moi,Juve, déclarait-il enfin, eh bien, je n’ai rien remarquénon plus de suspect. Pourtant…

— Pourtantquoi ? dit Juve, qui notait à merveille l’hésitationde Fandor.

— Pourtant,continua le journaliste, j’ai eu tout à l’heureune bizarre impression…

— Laquelle,nom d’un chien ?

Fandorhésita encore à répondre, puis parut prendre sonparti.

— Vousn’allez pas vous moquer de moi, Juve ? J’ai cru…

MaisFandor réfléchissait avant de terminer sa phrase.

— C’estabsolument idiot, ce que je vais dire, remarquait-il. J’ai cruquelque chose d’impossible… J’ai cru entendre unevoix, une voix bien connue, une voix abominable, la voix deFantômas !

Juveavait sérieusement questionné Fandor pour lecontraindre à préciser ce qu’il appelait unebizarre impression.

— Ouiou non, demandait le policier, as-tu entendu ou n’as-tu pasentendu ?

Mais,en dépit de la netteté d’esprit et du parfaitsang-froid dont Fandor faisait preuve à l’ordinaire, lejournaliste ne savait que répondre à son bouillant ami.

— Dame…je n’ose rien affirmer… déclarait piteusementFandor. Dans le vacarme que fait le train en roulant, vous comprenezbien, Juve, que j’ai parfaitement pu me tromper… Il m’asemblé entendre, j’ai cru reconnaître, voilàtout ce que je peux dire…

Et,logique avec lui-même, Fandor concluait :

— Mais,bien entendu, je me suis trompé, cela ne peut pas faire dedoute, puisque Fantômas vient de commettre un vol àBruxelles, fichtre de nom d’un chien, il y a gros àparier qu’il ne se trouve pas dans un train qui va d’Amsterdamà Bruxelles. Pourquoi diable serait-il revenu en Hollande ?

Lesexplications de Fandor étaient évidemment plausibles,et le journaliste avait raison de douter. Il eut toutefois tenu untout autre langage s’il avait pu apprendre que le crime deBruxelles commis par Fantômas n’était en réalitéqu’une ruse du bandit, s’il avait pu seulement se douterqu’il y avait, dans ce même wagon où il setrouvait, une vieille femme étrange qui, quelques instantsplus tard, devait, à une station, rencontrer un de ses amis !

Juveet Fandor raisonnaient en tout cas à perte de vue sur ce quele journaliste finissait par appeler une hallucination. Juve, de soncôté, assez troublé, ne voulait pas inquiéterFandor.

— Tut’es trompé, concluait donc le policier… Comme tudis, tu as cru entendre, alors qu’en réalité tun’as rien entendu…

Àcela, Juve ajoutait qu’il importait néanmoins de fairebonne garde, de prêter attention aux plus petits incidents, etles deux hommes se séparaient, convenant à nouveau dese rencontrer dans ce même cabinet de toilette du wagon, deuxheures plus tard, c’est-à-dire, étant donnéles renseignements de l’indicateur, quelques instants avant quele rapide n’entrât en gare d’Anvers.

Là-dessus,Juve et Fandor regagnaient chacun leur compartiment. Toutefois, Juve,par acquit de conscience, se promenait quelques instants dans lescouloirs du train. Il jetait alors de curieux regards àl’intérieur des compartiments, mais il ne remarquaitrien d’anormal, et bientôt il regagnait sa place, plusque jamais persuadé que Fandor s’était trompé.

Teldevait bien être aussi le sentiment du journaliste lorsque,deux heures plus tard, il revenait à nouveau rencontrer Juveau lavabo du wagon.

— Ehbien ? interrogeait le policier.

Fandor,cette fois, confessait :

— Rien,Juve, rien du tout ; je me suis fichu le doigt dans l’œiltout à l’heure, voilà tout.

Lesdeux amis causaient alors quelques instants, puis soudaintressaillaient, car le train, bloquant ses freins, ralentissaitprogressivement, signe indiscutable de la proximité d’unestation.

— C’estAnvers, annonça Juve.

— Tantmieux, répliqua Fandor. Il y a quelques minutes d’arrêt,j’en profiterai pour aller chercher des allumettes au buffet.

Commele train s’arrêtait en effet, comme les wagonss’emplissaient des allées et venues affairées desvoyageurs quittant le train ou venant au contraire y prendre place,Jérôme Fandor sautait sur le quai.

— Uninstant, avait-il dit à Juve, je reviens tout de suite, et, mafoi, je crois bien qu’en l’absence de tout danger précis,de tout signe suspect, nous pourrons maintenant, jusqu’àBruxelles, voyager ensemble.

Juven’avait pas dit non, et Fandor, tout heureux à la penséeque son ami allait se laisser convaincre et ne pas lui imposerl’ennui d’un voyage solitaire en face de compagnonsinconnus, se dirigeait vers le buffet.

L’arrivéedu rapide d’Amsterdam occasionnait naturellement dans la gared’Anvers un grand remue-ménage. Fandor devait donc jouerdes coudes pour se frayer un passage, et même entamer presqueune lutte à coups de poing pour obtenir d’une buralistesurmenée la boîte d’allumettes tisons dont lefumeur qu’il était éprouvait un ardent besoin.Fandor, toutefois, était homme à savoir se faireservir ; il finissait, parmi les protestations indignées,par obtenir les allumettes sollicitées, et il revenait versson wagon, prêt à y prendre place.

Or,à l’instant même où JérômeFandor s’apprêtait ainsi à rejoindre Juve, lejournaliste, qui venait d’acheter des allumettes, éprouvaitpar un instinctif besoin, le désir de griller une cigarette.Il en choisissait une dans son écrin, la portait à seslèvres, puis, craquait un tison.