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Quelleétait donc cette extraordinaire bonne femme ? Quesignifiaient et son attitude, et ses paroles ? Quelle étaitla raison de la menace qu’elle semblait implicitement formulerà l’égard de Juve et de Fandor ?

Letrain, dix minutes plus tard, démarrait péniblement,puis prenait de la vitesse, filait enfin au long de la voie àtoute allure. La vieille s’était assise en face de sonfils, elle avait déployé un grand journal, elle lisaitattentivement les nouvelles de la dernière heure, cependantqu’un autre voyageur, un gros prêtre à la facejoufflue, montait dans le même compartiment, ouvrait etrefermait son bréviaire, se démenait sur la banquette,jetait des regards sympathiques au malade, faisait le plus de bruitpossible enfin, dans l’espoir évident d’engager laconversation et de tromper ainsi la monotonie du trajet.

Ilétait certain toutefois que la vieille dame ne tenaitnullement à bavarder. De temps à autre, d’unfurtif regard, elle examinait son fils, s’assurait qu’ildormait toujours, puis se replongeait dans son journal.

Desheures passèrent ainsi. L’express stoppa à despetites gares. Haletant, époumoné, un autre voyageur, àquelque distance d’Anvers, prit place dans le compartiment.

Luiaussi avait un regard apitoyé pour le malheureux malade quisemblait de plus en plus pâle, mais fort correctement, il necherchait nullement à engager la conversation. Passant devantla vieille dame, d’ailleurs, il avait étés’asseoir dans le coin opposé, juste en face du grosprêtre qui avait fini par se décider à tirer luiaussi, un journal de sa poche, et qui lisait les faits divers.

Quelétait ce nouveau voyageur ?

SiJob Tylor, le détective bruxellois, avait étémis en sa présence, il n’aurait certainement pas hésitéà l’identifier, car ce n’était autre que lecourtier en parfumerie, M. Jussieu, lequel avait étévictime d’un vol abominablement audacieux, dans son propredomicile.

M. Jussieurevenait vers Paris, ce qui n’était guèreextraordinaire, mais évidemment il n’y revenait pas parla voie la plus directe, puisque, au lieu d’avoir pris àBruxelles le train de la capitale, il avait commencé pars’éloigner de Paris, allant s’embarquer bienau-delà d’Anvers, à quelques pas de la frontièrehollandaise.

M. Jussieu,tranquille dans son coin, continuait à lire le journal qu’ilavait tiré, lui aussi, lorsqu’à une nouvellestation, le prêtre qui se trouvait dans le compartimentdescendait.

M. Jussieu,aimablement, l’avait aidé à sortir sa valise, ilregagnait son coin, prêt à reprendre sa lecture, lorsquela vieille dame abandonnait enfin son obstiné silence.

Lavoix brusque, impérieuse, une voix grave, en vérité,la vieille dame appelait :

— MaPomme ?…

Or,à cette interjection, M. Jussieu sursautait. Ilsursautait comme très surpris, comme frappé de stupeurmême ; il regardait en même temps dans le couloir duwagon, cherchant évidemment qui avait parlé, et necroyant pas que ce fût sa compagne de route.

Celle-ci,toutefois, ne lui permettait pas d’hésiter longuement.Elle reprenait en effet :

— MaPomme ?…

Cettefois, M. Jussieu la considéra fixement.

— Pardon,commença-t-il, mais…

Unéclat de rire lui coupa la parole, la vieille dame semblait aucomble de la bonne humeur.

— Imbécile,articulait-elle. Tu ne me reconnais donc pas, Ma Pomme ?

Cesparoles s’adressaient visiblement à M. Jussieu, etcelui-ci, d’ailleurs, ne semblait pas autrement étonnédu bizarre sobriquet que la mère du paralytique paraissait luiattribuer. Il se tournait vers la vieille, il la regardait avec unsoin extrême, puis, d’un coup d’œil,indiquait à la bonne femme la présence du paralytique.

Or,ce coup d’œil paraissait en vérité mettrele comble à la gaîté de la vieille femme.

Elleriait encore quelques instants, elle riait tout son saoûl, puiselle affirmait :

— Net’occupe pas de lui, Ma Pomme… C’est un garçondiscret !

Etsoudain seulement, la vieille ajoutait :

— Fichtre !qu’il fait chaud là-dessous… Cette perruque mecause un effroyable mal de tête !

Et,prononçant ces paroles, la vieille prenait son chignon àpleine main, le tirait de dessus sa tête, ce qui avaitl’étrange effet de la débarrasser en mêmetemps de son volumineux chapeau.

Oh !c’était évidemment une extraordinaire vieille quela mère du paralytique !

Etsi Juve ou Fandor, qui se trouvaient dans le même train, àquelques compartiments de distance, avaient pu l’apercevoir,ils n’auraient point manqué d’en éprouverla plus forte émotion.

Lavieille dame, en effet, débarrassée de sa perruque etde son chapeau, changeait brusquement de visage.

Unevieille dame ? Allons donc !… Il n’y avait pasà s’y tromper. Cette vieille dame, c’étaitun homme, un homme jeune, aux traits énergiques, au visagevolontaire, aux yeux brillants, un homme dont les traits étaientlégendaires, un homme que M. Jussieu reconnaissait àl’instant, qu’il nommait en joignant les mains :

— Ah !par exemple ! disait le courtier en parfumerie, vous !…vous ici !… je ne vous avais pas reconnu, vous, maître !…vous, Fantômas !

Àquoi Fantômas, car la vieille n’était autre, eneffet, que le terrible Génie du crime, ripostait en riant :

— Ehoui, imbécile, c’est bien moi !… La vieilledame, c’est bien Fantômas, comme M. Jussieu estbien… Ma Pomme !

Vingtminutes plus tard Fantômas, qui d’ailleurs avait remis saperruque et son chapeau de vieille femme, causait ardemment avecl’extraordinaire M. Jussieu, qu’il s’obstinaità appeler Ma Pomme, ainsi qu’il était naturel,puisque M. Jussieu était en réalitél’apache de ce nom.

Fantômasinterrogeait :

— Alors,faisait-il la voix brève… continue, poursuis… tuen étais au moment où, devant cet imbécile dedétective, tu faisais semblant de t’évanouir ànouveau… Qu’arriva-t-il ensuite ?

MaPomme, à ce moment, avait la face la plus joyeuse du monde etriait de tout son cœur. Il s’octroyait de grandes claquessur les cuisses, et paraissait au comble du contentement.

— Attendez,faisait-il, attendez, maître… vous allez voir que je nesuis pas la moitié d’une gourde…

Et,faisant une pause pour rire, il reprenait bientôt :

— Donc,maître, j’avais à ce moment à peu prèsrempli la mission dont vous m’aviez chargé. J’avais,en effet, prévenu la police que Fantômas, que vous, parconséquent, vous menaciez quelqu’un, quelqu’un quin’était autre que moi, et qu’en conséquence,vous deviez être à Bruxelles. La police m’avaitenvoyé promener, et j’avais été voir undétective privé. Chez ce détective privé,enfin, je simulais un vol, jetant au feu les faux billets de banquequi garnissaient ma serviette, hurlant comme un putois, etm’évanouissant comme une jeune mariée. Dans cesconditions, Job Tylor était évidemment prêt àcertifier que le vol avait bien été commis par Fantômaset qu’en conséquence vous étiez bien àBruxelles. C’était ce que vous vouliez, n’est-cepas, maître ?

— Exactement,approuva Fantômas. Continue !

MaPomme prit un air avantageux.

— Dansces conditions, maître, j’aurais pu tout tranquillementne pas poursuivre les choses, mais j’ai voulu avoir la victoirejusqu’au bout.

— Etalors ?

— Etalors, maître, pendant que cet excellent Job Tylor, victime demon stratagème, se démenait pour me tirer d’unévanouissement qui n’avait jamais existé, jefaisais preuve de véritables qualités que vousapprécierez, j’en suis sûr.

Fantômas,en entendant cela, ne put s’empêcher de sourire.

— Nete félicite pas toi-même, murmura-t-il. Racontesimplement ce que tu as fait, je saurai fort bien l’apprécier.

Maiscette réprimande ne troublait nullement Ma Pomme quicontinuait, faisant preuve d’un certain orgueil :

— Iln’était pas difficile de me tirer de mon évanouissement,puisque je n’étais pas évanoui. Bientôtdonc, n’ayant aucun goût pour les seaux d’eau queJob Tylor me versait sur la tête, je daignais me réveiller.À cet instant, le détective m’interroge avecangoisse. Je lui contai une surprenante histoire que Fantômasétait entré par la fenêtre… qu’ilm’avait aux trois quarts assommé, et qu’il m’avaitdépouillé de mes billets de banque. Puis, j’ajoutaique je voulais porter plainte, qu’il était abominableque la police officielle ait refusé de me protéger…bref, je menaçai de faire un scandale à tout casser.