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— Pardon,excuse…

Etil tournait son chapeau dans ses doigts, considérant le fondde la pièce.

Là,se trouvait, en effet, l’un de ces fauteuils de malade que l’onporte au moyen de brancards. Sur ce fauteuil était assis unhomme de vingt-cinq ans environ, au visage extraordinairement pâle,à l’air souffreteux et malade, qui, immobile, la têtepenchée sur la poitrine, semblait ne pas avoir entendul’arrivée de la vieille dame et du cocher.

Lavieille dame expliquait déjà :

— Lepauvre enfant vient d’avoir une crise terrible, et il dort ence moment… Parbleu, on tirerait le canon à côtéde lui qu’il n’entendrait même pas. Tenez, cocher…prenez les brancards par derrière, je vais prendre ceux dedevant ; nous l’emporterons ainsi jusqu’àvotre voiture.

Lecocher s’exécutait, la vieille dame geignait encore d’unton convaincu :

— Quele bon Dieu m’aide !… que la sainte Vierge me fassemiséricorde ! Justement, je l’emmène àLourdes. Vous comprenez, on voit tant de miracles extraordinaires.

Lavieille dame et le cocher, portant le fauteuil, atteignaient bientôtle fiacre.

— Soyezcomplaisant, disait encore la vieille dame. Voilà ma clef,cocher ; voulez-vous fermer la porte de la maison pendant que jevais le faire monter en voiture ?

Lecocher, qui commençait à escompter un fort bonpourboire, ne refusait pas le service qu’on lui demandait. Ilallait donc fermer la porte de la maisonnette, cependant que lavieille dame, soutenant son fils paralytique, le portait presque, lepoussait dans la voiture, où elle l’installait sur uncoin de la banquette avec des gestes précautionneux.

— Etvoilà… faisait-elle, comme le cocher lui rendait sontrousseau de clefs. Mettez le fauteuil sur le siège àcôté de vous, il me servira pour transporter mon pauvremalade à la gare ; mais fouettez votre cheval, hein !nous avons juste le temps !

Lecocher regrimpait sur son siège, bientôt la voituredémarrait.

Or,le fiacre s’était à peine ébranlé,se dirigeant vers Amsterdam pour gagner la gare d’oùpartent les grands rapides de France, que la vieille dame, seule avecson fils paralytique à l’intérieur de la voiture,se prenait à soupirer profondément :

— Ouf !faisait-elle. Jusqu’à présent, tout s’estbien passé, et si Ma Pomme n’a pas fait de gaffes, j’aitout lieu de croire que je réussirai. Par exemple, jour deDieu, je risque vraiment gros jeu !…

Chosecurieuse, en disant ces mots, la vieille dame changeait de voix !

Pourparler au cocher, elle avait eu le ton criard et suraigu des vieillesfemmes, maintenant, au contraire, elle s’exprimait sur un tongrave, avec, semblait-il, un tout autre organe.

Lefiacre, cependant, avançait rapidement. En tournant le coind’une rue, il heurtait un peu le trottoir, et la secousse étaitsi brusque que le paralytique, tout appuyé qu’il étaitcontre la voiture, était jeté de côté ettombait sur l’épaule de sa mère.

Celle-ci,d’une bourrade, le rejeta dans le coin.

— C’estassommant, murmurait-elle ; la rigidité n’est pascomplète, et cet imbécile s’écroule toutle temps !

Uninstant plus tard, cette vieille dame, aux allures si débonnaires,faisait encore une bizarre observation :

— Vraiment,je fumerais bien une cigarette, mais ce maudit cocher ne manqueraitpas de trouver la chose extraordinaire de la part d’une vieillefemme qui part à Lourdes en compagnie de son filsparalytique !

Lavoiture continuait à avancer : le malheureux jeune homme,maintenant, avait la tête renversée en arrière,et ses yeux grands ouverts semblaient fixer d’un regard ternela campagne que l’on apercevait par la vitre de la portière.

Lavieille femme, d’un coup d’œil rapide, examina saposition.

— C’estassommant, murmurait-elle encore, il n’y a pas moyen de lefaire dormir !…

Elles’avançait sur la banquette, se retournait vers sonfils, glissait sa main derrière sa tête, et, d’unesecousse brusque, la penchait en avant, le forçant àdormir ou du moins à prendre la pose de quelqu’un quidort, le front baissé, le menton appuyé sur lapoitrine, la tête dodelinant.

— Ah,fichtre ! grommelait-elle, je ne tiens pas à ce qu’ilbouge !

Àl’instant même, la voiture faisait un grand virage, puisvenait stopper sur l’esplanade, le long du trottoir qui bordela gare, à l’endroit exact où, quelque tempsauparavant, avait eu lieu la fameuse bagarre qui avait eu tantd’influence sur les destinées d’Hélèneet de Bobinette.

Lavieille dame ouvrit la portière, et sauta sur le sol avec uneagilité remarquable.

Maisc’était en vérité une surprenante vieilledame, car, en descendant, elle grommelait sur un ton qui n’avaitrien de féminin :

— Nomde Dieu ! jouons serré…

Descenduesur le trottoir, cependant, d’une toute autre voix, elleapostrophait le cocher :

— Ehbien, mon brave homme, passez-moi donc le fauteuil, que j’yporte mon pauvre enfant… Ah ! c’est une chosemalheureuse, allez ; justement le cher ange, il souffre lemartyre !…

Elleavait tiré de sa poche un énorme mouchoir, elle s’entamponnait les yeux, rapidement, cependant qu’elle se mordaitles lèvres avec rage.

Quipouvait provoquer l’attitude grognonne que prenait la vieilledame en ce moment ?

Lecocher ne chercha même pas à le deviner. Il passait,comme on le lui demandait, le fauteuil de bois que la vieille femmeinstallait sur le trottoir, tout contre la portière du fiacre.

— Cocher,demandait la vieille, voilà mes billets, passez sur le quai,allez vous renseigner pour trouver le train d’Anvers. Vousreviendrez ensuite m’aider…

Lecocher s’éloignait, la vieille dame rentrait dans lavoiture, prenait la main du paralytique, et, d’un seul geste,arrachait le malade de son coin.

— Allezhop ! faisait-elle.

Lemalheureux infirme, évidemment plongé dans une torpeurprofonde, ne geignait même pas. Il s’abandonnait, et samère pouvait le tirer hors du fiacre, plutôt que l’endescendre, le faire tomber presque dans le fauteuil où,supposant qu’on la regardait, elle l’installait bientôtavec un soin extrême.

— Es-tubien, mon pauvre enfant ? Là… tu n’as pasfroid ? Mais il ne m’entend même pas, mon Dieu…Ah ! quelle crise, quelle crise il vient d’avoir !

Àce moment, et comme des facteurs s’approchaient, prêts àproposer leur aide, le cocher revenait :

— Letrain est rangé, madame.

— Bon,parfait, aidez-moi, alors…

L’unet l’autre prirent les brancards et se dirigèrent versl’intérieur de la gare.

Or,comme ils allaient franchir une porte, un jeune homme, qui marchaitvite et semblait nerveux, se heurta aux brancards.

— Faisdonc attention, Fandor, cria une voix bien timbrée.

Lejeune homme, qui n’était autre que Fandor, se jeta decôté, saluant.

— Oh !pardon, faisait-il aimablement, je n’avais pas vu…

Et,tout contrit de sa maladresse, Jérôme Fandor offrait sesservices :

— Excusez-moi,madame. Ne puis-je vous être utile à quelque chose ?Voulez-vous que je porte à votre place ?

Lavieille d’un signe de tête rapide, refusa :

— Jene veux pas que personne touche à mon fils !

Etce devait être en effet la vérité, car, quelquesminutes plus tard, la vieille dame hissait encore elle-même,aidée seulement du cocher, le malheureux paralytique qu’elleinstallait dans un compartiment de première classe, et dontelle enroulait les membres dans une épaisse couverture.

— Dodo,fais dodo ! murmurait-elle.

Etcomme le cocher payé, et largement payé, s’éloignaiten multipliant les saluts, la vieille claquait la portière,marchant sur les pieds de son fils, sans la moindre vergogne. En seretournant, elle heurtait même la jambe du malade, ce qui luitirait un nouveau juron :

— Nomde Dieu ! faisait-elle. L’abominable charogne me gêneradonc toujours ?

Àcet instant, elle se penchait à la portière,contemplait fixement l’arrière du train.

— Etils montent dans le même wagon que moi, faisait-elle. Nous nesommes séparés que par quatre ou cinq compartiments…Décidément, tout est pour le mieux ! Juve etFandor, tenez-vous bien !