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Lecommissaire de police, qui tout en écoutant son visiteur,jouait nerveusement avec un coupe-papier, en homme qui tient àbien marquer qu’on l’importune, interrompit brièvementpour questionner :

— Qu’est-ceque vous voulez que cela me fasse ?… Après ?

M. Jussieueut un sourire ironique.

— Monsieurle commissaire, ripostait-il, tout cela fait énormément,et vous allez précisément voir, par les détailsque je m’en vais vous communiquer, qu’il étaitnécessaire que vous connaissiez ces choses. Je poursuis donc…

M. Jussieufaisait une petite pose pour tousser, puis continuait en effet d’unton fort calme :

— Fondéde pouvoir d’une grosse maison, je suis actuellement de passageà Bruxelles pour effectuer des encaissements pour le compte demes patrons. J’ai touché hier une somme de trente millefrancs, ce matin j’ai fait un encaissement de dix mille francs,et cet après-midi…

— C’estbon, coupa court encore le commissaire. Je vois votre affaire. Onvous a dépouillé de ces fonds, n’est-ce pas ?Vous venez d’être volé, et vous accourez porterplainte ?

— Pasdu tout ! trancha nettement M. Jussieu.

Etcomme le commissaire de police, surpris du ton décidéde son interlocuteur, était bien obligé de s’arrêterdans ses suppositions, M. Jussieu reprenait :

— Jen’ai nullement été dépouillé desfonds que j’ai encaissés, et la preuve en est, monsieurle commissaire, que j’ai précisément dans cetteserviette, ainsi que vous pouvez vous en assurer, les trente billetsde mille francs qui représentent le montant de mesencaissements.

Touten parlant, le courtier en parfumerie avait en effet ouvert saserviette, il présentait au magistrat une liasse de billets debanque que celui-ci ne s’attendait évidemment pas àapercevoir.

— Alors,interrogea encore le commissaire, si vous ne vous plaignez pas d’unvol, de quoi vous plaignez-vous ?

M. Jussieu,à cet instant, rebouclait soigneusement la sangle qui fermaitsa serviette.

— Voici,expliqua-t-il. Je ne me plains pas d’avoir étévolé, je me plains parce que je vais être volé.

— Hein !…vous dites ?…

Lecommissaire de police, en écoutant cette extraordinairedéclaration, avait naturellement sursauté. M. Jussieu,tout au contraire, demeurait impassible. Le courtier en parfumeriecontinua :

— Jevois, monsieur le commissaire de police, que mes déclarationsvous surprennent. Elles sont cependant nettes et claires, et j’ajoutequ’elles sont conformes à la vérité. Jen’ai pas encore été volé, mais je vaisl’être. C’est pourquoi je m’adresse àvous.

Or,M. Jussieu eût parlé chinois, arabe ou japonais,que le magistrat, peut-être, n’eût pas moins biencompris ses affirmations.

— Expliquez-vous ?demanda-t-il.

— Jene fais que cela, répliqua le courtier. Les explications quej’ai à vous fournir sont d’ailleurs trèsbrèves. Elles se résument en ceci : quelqu’un,monsieur le commissaire de police, quelqu’un que je ne connaispas, mais dont je connais le nom, hélas, au même titreque tout un chacun, quelqu’un qui n’est autre queFantômas, pour tout dire, va me voler et…

Lecommissaire de police interrompit encore :

— Fantômasva vous voler… répétait-il d’un tond’incrédulité profonde. Ah ! ça, queme chantez-vous là ?

M. Jussieuà ce moment ne cacha point qu’il éprouvaitquelque impatience de ces continuelles interruptions.

— Jene chante rien, fit-il assez sèchement. Je m’adresse àun magistrat, et je parle sérieusement !

Cepetit avertissement donné, le courtier en parfumeriecontinuait en effet :

— Fantômasa dû savoir très évidemment que je me rendais àBruxelles pour toucher des fonds. Il l’a su, puisqu’il mel’a écrit, et il se propose de me voler.

M. Jussieu,une fois encore, dut écouter une observation du commissaire depolice.

— Fantômasvous a écrit ?… protestait le magistrat. Vous vousmoquez de moi ?…

— Monsieurle commissaire, je ne me le permettrais pas, d’ailleurs voicila lettre…

Lecourtier en parfumerie avait sorti de sa poche une enveloppe dont iltirait une lettre qu’il offrait au commissaire. Celui-ci,ébahi, lut à haute voix :

Monsieur,

J’aiappris que vous alliez toucher une somme de quarante millefrancs. J’ai moi-même besoin d’argent, je vouspropose donc une entente : versez-moi vingt mille francsimmédiatement ou je vous tue et vole la totalité desfonds. Si nous sommes d’accord, laissez de la lumièredans votre chambre toute cette nuit, je m’arrangerai pour vousfaire savoir où et quand je vous ferai présenter maquittance.

Croyez-moitout à vos ordres,

Fantômas

— C’estinimaginable ! bégayait le commissaire de police.

M. Jussieurépéta :

— C’estinimaginable, mais c’est réel.

Àce moment, le commissaire de police toisa son visiteur avec unecertaine admiration.

— Etalors, demanda-t-il, qu’avez-vous fait ? Vous n’avezpas eu trop peur ?

Maisà cette question, M. Jussieu se contentait de répondrepar un discret haussement d’épaules :

— Jene suis pas homme à m’effrayer facilement, murmurait-il.Et d’ailleurs, le danger n’était pas immédiat.Je n’ai naturellement pas allumé ma lampe, mais, ainsique vous le voyez, dès ce matin, j’ai pris les fondsdont je disposais et je suis venu vous demander aide et protection.

M. Jussieuparlait d’un ton calme, et pensait bien à ce moment nerien dire d’extraordinaire. Or, le commissaire de police, enapprenant ses intentions, sursautait plus fort encore.

— Hein !demandait-il, vous êtes venu me demander aide et protection ?Mais, sapristi, vous ne savez pas ce que vous dites, alors ?Croyez-vous donc que je sois chargé de protéger tout lemonde, moi ?…

Àcette virulente apostrophe, ce fut au tour du courtier en parfumeried’être plutôt étonné.

— Dame,riposta-t-il tranquillement. Je croyais que vos fonctions…

Maisle commissaire de police se faisait net et catégorique :

— Mesfonctions sont bien définies, dit-il, et je n’entendspas me mêler de ce qui ne me regarde pas. Mon rôle,monsieur, est de m’occuper des crimes et des délits ;quand vous aurez été volé, venez me trouver, etje vous écouterai. Jusque-là, je ne peux rien pourvous !

Àcette extraordinaire déclaration, cependant, le courtier enparfumerie se récriait :

— Envérité, vous n’y songez pas, disait-il. Et si jesuis assassiné, moi ?

Maisle commissaire de police haussait les épaules avecindifférence :

— Tantpis pour vous, faisait-il. Je n’y peux rien. Quand vous serezassassiné, je m’occuperai de vous. Comment voulez-vousque j’en sorte si je me mets à m’occuper descrimes et des délits qui n’ont même pas reçuun commencement d’exécution ?

— Lecas est pourtant exceptionnel ?

Lemalheureux courtier en parfumerie insistait, légèrementému, désormais, semblait-il, mais le commissaire depolice s’entêtait :

— Iln’y a pas de cas exceptionnel ! déclarait-il.Prenez vos précautions, méfiez-vous, soyez prudent,c’est tout ce que je peux vous dire. D’ailleurs, c’estla loi. Je ne connais que cela !

C’étaitsimple et net, monsieur Jussieu s’emporta :

— Sic’est la loi, déclara-t-il, la loi est stupide !

— C’estpossible, dit le commissaire de police, véhément àson tour, mais vous avez le droit de le penser, et pas celui de ledire !

Leschoses se gâtaient, évidemment. Le courtier enparfumerie en eut l’intuition.

— Soit,dit-il, coupant court à un entretien qui semblait devoir malfinir. Si je ne puis être protégé par vous,monsieur, je m’adresserai en plus haut lieu…

— Adressez-vousau pape, si bon vous semble !

Ilparut un instant que le courtier en parfumerie allait se jeter sur lecommissaire de police, et lui infliger la verte leçon qu’ilméritait, mais il sut, heureusement pour lui, se contenir.

— Votreserviteur, dit-il.

Etsur un très bref salut, l’encaisseur s’éloigna.