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Maiscomme il approchait le brandon incandescent du tabac, JérômeFandor sentit qu’une main se posait légèrementsur son épaule.

— Aprèsvous, monsieur, s’il vous plaît ?

Quelqu’un,évidemment, lui demandait du feu, Jérôme Fandor,poliment, et par un geste tout naturel, au lieu d’allumer sapropre cigarette, offrit son allumette au solliciteur.

— Faitesdonc, prenez, monsieur !

Hélas,le journaliste n’avait pas articulé ces mots qu’unestupeur folle le clouait sur place, cependant qu’il avait grandpeine à ne point crier d’émotion.

Il yavait d’ailleurs bien de quoi !

L’allumetteenflammée qu’il tendait avait été prisetranquillement par le personnage qui venait de l’aborder. Cefumeur s’en servait le plus posément du monde pourallumer un gros cigare…

Etce fumeur, ce fumeur que Jérôme Fandor venait d’obliger,ce fumeur qu’il voyait en face de lui, à moins d’unpas de sa poitrine, à portée de sa main, ce fumeur quile regardait ironiquement, qui le narguait d’un sourire dedéfi, voilà que Jérôme Fandor, àl’improviste, en levant la tête, en l’apercevant,le reconnaissait !

Ah !certes, la vision qu’avait alors le journaliste tenait duprodige, de l’impossible, du cauchemar…

L’hommequi était devant lui était bien celui-là queJérôme Fandor pouvait le moins s’attendre àrencontrer ainsi…

Cefut dans un râle, dans un bégaiement indistinct queJérôme Fandor le nomma ; le journaliste dit :

— Fantômas !…

Etc’était bien, en réalité, Fantômas,Fantômas qui, après avoir, en compagnie de Ma Pomme,quitté son costume de vieille femme, avait eu l’audacede descendre en gare d’Anvers, de suivre JérômeFandor et, tranquillement, posément, de lui demander du feu !

Lascène, toutefois, ne s’éternisait pas. JérômeFandor pouvait à la rigueur, et pendant de très courtesminutes, être victime d’une surprise ; il n’étaitpas homme toutefois à ne point retrouver rapidement sonsang-froid. De fait, à peine avait-il identifié lebandit que Jérôme Fandor, comme un fou, comme unfurieux, se jetait en avant.

— Ah !Fantômas, grondait-il, tu ne m’échapperas pastoujours…

Fantômascependant avait parfaitement prévu le mouvement de JérômeFandor. À l’instant où le journaliste s’élançaiten avant, il se jetait donc de côté, faisant rapidementquelques pas, tournant autour d’un amoncellement de malles quivenait d’être déchargé d’un desfourgons du train.

Lapoursuite toutefois ne pouvait sans doute pas être longue.

Fatalement,les deux hommes devaient au bout de quelques instants se trouver faceà face. Qui triompherait alors, de ces deux ennemis acharnés ?Qui donc aurait la victoire, la victoire définitive ducourageux Jérôme Fandor ou du terrifiant Fantômas ?

Cettecourte scène toutefois avait occupé quelques minutes.Tandis qu’elle se déroulait, Juve, resté dans sonwagon, debout à l’entrée du couloir,s’impatientait et pestait contre Fandor.

— L’animal !maugréait le policier. Il lui en faut, un temps, pour acheterdes allumettes. Que diable, il va manquer le train…

Unecloche, en effet, venait de sonner ; des hommes d’équipe,déjà longeaient le convoi, criant de toutes leursforces avec l’inimitable accent belge :

— Lesvoyageurs pour Bruxelles, en voiture ! en voiture s’ilvous plaît. Savez-vous !

Déjàles portières claquaient, le quai devenait désert, Juven’apercevait toujours pas son ami.

— Sûrement,pesta encore le policier, il est en train de plaisanter quelque part,l’imbécile…

Juve,machinalement, voulut descendre en bas du marchepied, mais un hommed’équipe le repoussa.

— Troptard, monsieur, en voiture !

AlorsJuve s’énerva de plus en plus.

— Fichtrede fichtre, pensa-t-il. Que faire ?

Ilsongea brusquement que Fandor, peut-être, ne retrouvait plusson wagon. Pour le guider, Juve l’appela à haute voix.

— Fandor,ohé, Fandor, par ici…

Maisnul ne lui répondait, et le chef de train, à cetinstant donnait le signal du départ.

— Ça,par exemple, pesta Juve, c’est stupide : il rate le train…

Fandor,en effet, n’apparaissait pas, et le convoi démarrait…

Perdanttout espoir de voir son ami, s’accrochant au marchepied, cardéjà les wagons roulaient à bonne allure, Juve,alors, remontait dans le wagon, et, furieux, longeait le couloir.

— Pourvuqu’il ne lui soit rien arrivé, pensait-il.

PuisJuve eut un nouvel espoir.

— Parbleu,je ne suis qu’un imbécile. Fandor est peut-êtremonté en tête du train ; j’imagine que jevais le rencontrer dans le couloir, venant à ma rencontre.

L’hypothèseétait plausible. Il était en effet très possibleque Fandor, surpris par le départ du convoi, eût grimpédans n’importe quel wagon, se réservant de regagner soncompartiment, en suivant le couloir des voitures.

Rapidement,Juve remonta jusqu’au fourgon, mais il n’aperçutpersonne.

Cetteconstatation, naturellement, mettait le comble à sa mauvaisehumeur.

— Lemaudit étourdi, grommelait-il. Cette fois, cela passe lesbornes. Quand il me rejoindra, je ne lui mâcherai pas sesvérités !…

Juve,toujours grommelant, rebroussait chemin cependant. Il avait étéde son compartiment à la tête du train, et il luirestait tout juste l’espoir que Fandor fût monté,tout au contraire, dans les wagons qui se trouvaient entre cecompartiment et la queue du convoi.

— Dansce cas, estima Juve, il doit être revenu à notrecompartiment. Allons voir…

Bousculantles voyageurs, car il était fort nerveux. Enjambant les colisqui encombraient, ainsi que d’ordinaire, l’étroitpassage, Juve parcourut le train en son entier, espérantencore un peu, malgré tout, qu’il allait retrouverFandor.

D’ailleurs,dans sa hâte, et dans son énervement, quoique ce fûtune imprudence, Juve appelait le jeune homme :

— Fandor,criait-il. Fandor…

Or,comme Juve longeait les compartiments de première classe etpensait n’avoir pas encore atteint celui dans lequel étaitinstallé pendant le commencement du trajet JérômeFandor, le policier éprouvait une surprise qui, certes,n’était comparable qu’à celle qu’avaitconnue le journaliste lorsqu’il s’était trouvéà l’improviste en face de Fantômas, sur les quaisde la gare d’Anvers.

Juvevenait, en effet, tout juste de crier à haute voix :

— Fandor…

Personnen’avait répondu. Or, dans le compartiment que Juvelongeait, qui apercevait-il d’abord, tranquillement occupéà fumer un cigare ? Jérôme Fandor enpersonne !

Juve,à cette vue, eut réellement un mouvement de colère.

— Ahça, par exemple, pensait l’excellent policier, c’estun peu fort ! mais voilà une plaisanterie que je n’admetspas… Fandor me laisse le chercher comme un imbécile ;que diable, il aurait bien pu me répondre !

EtJuve, entraîné par son accès de mauvaise humeur,allait se précipiter vers le journaliste et lui adresser devirulents reproches, lorsque, tout au contraire, il s’arrêtaitnet, surpris.

JérômeFandor, bien qu’ayant l’air de fumer avec rage, gardaitles yeux clos et ne bougeait pas. Il y avait évidemment dansson attitude quelque chose de voulu, d’étrange, desystématique.

Juve,qui connaissait à merveille Fandor pour être remuant aupossible, ne pouvait, sur ce point, garder le moindre doute. SiFandor était ainsi immobile, s’il ne tournait mêmepas la tête, si, pour tout dire, il continuait sa plaisanterieet ne souriait pas à Juve, c’était évidemmentqu’il avait un grave motif pour agir ainsi.

Quelétait ce motif pourtant ?

Juve,bien évidemment, ne pouvait l’imaginer. Toutefois, ilétait trop homme de sang-froid pour hésiter sur leparti à prendre.

— Bon,se dit Juve en lui-même. C’est moi qui suis un imbécile,et j’ai eu tort de l’accuser. Il se passe quelque chosed’extraordinaire, j’en mettrais ma main au feu ;Fandor enquête sur quelque chose ou du moins surveillequelqu’un !

Deboutdans le couloir du wagon, se tenant à la main courante pourrésister aux secousses occasionnées par la marcherapide du train, Juve inspecta le wagon dans lequel se trouvait lejournaliste.