Des lèvres exsangues de Hans Elders, un seul mot sifflait encore. Une seule phrase qui semblait contenir à elle seule toute la terreur qui, manifestement, s’était emparé de l’âme du directeur de Diamond House :

— Fantômas, c’est vous, Fantômas. Ah, pourquoi ?

— Vous demandez pourquoi je suis revenu, Hans ?… Allons donc ! Avez-vous perdu l’esprit ? Faut-il que j’évoque à vos yeux les conventions que nous avions passées jadis ?

— Non.

— Alors, je vous le répète, d’où vient votre étonnement ?

— On vous disait mort.

— Mort ? Allons donc. Est-ce que Fantômas peut mourir ? Est-ce que Fantômas est mortel ?

Puis quittant le ton de la plaisanterie :

— Rappelez-vous Hans Elders, nous étions les meilleurs amis du monde. Et nous aurions eu des destinées pareilles si votre esprit, Hans ne s’était montré, en somme, que faible et de peu d’envergure. Car, tandis qu’alors déjà je me savais promis aux plus hautes destinées, vous, d’une ambition moins haute, vous vous estimiez satisfait de votre sort. C’est à ce moment, Hans, que je vous fis la proposition qui nous lie, que nous avons signé le contrat qui faisait de vous mon premier lieutenant et de moi l’artisan de votre fortune. C’est moi, Hans Elders, c’est moi Fantômas, qui vous ai donné l’idée géniale de cette fausse chercherie de diamants. Je m’engageais à vous trouver des pourvoyeurs, je vous promettais que les gemmes afflueraient dans vos coffres. Ai-je manqué à mes serments ? Ai-je trahi mes promesses ? Ai-je été en-dessous de la tâche que j’avais librement adoptée ? Répondez, Hans Elders.

Le malheureux directeur de Diamond House avait peine à ressaisir ses esprits.

Et Fantômas s’en apercevait si bien que, dans une attitude qui se mélangeait de compassion et de défi, c’était lui qui avait avancé un siège vers celui qu’il venait de traiter de complice.

— Asseyez-vous, dit-il, calmez-vous, Hans. Si, en effet, vous me croyiez mort, je comprends que vous ayez pu être surpris de ma réapparition et je ne vous en veux pas. Mais aussi bien, il est temps que vous redeveniez maître de vous-même, nous avons à travailler.

— À quoi ?

— Oui, poursuivit Fantômas, qui maintenant se promenait de long en large dans le bureau du directeur de Diamond House, nous avons à travailler. Mais avant, répondez-moi, ai-je été pour vous le fidèle associé que j’avais juré d’être ? Votre chercherie de diamants a-t-elle prospéré ? Vous ai-je fait gagner les millions que je vous avais promis ? En vous assurant en même temps une parfaite impunité ?

Hans Elders ne put que faire « oui » de la tête :

— Alors, mon camarade, reprit de sa même voix railleuse Fantômas, dans ce cas, il me semble que c’est maintenant à vous de tenir vos promesses ? Décidez-vous. Rendez-moi des comptes, dites-moi le montant de ma part.

Le montant de sa part… Jadis, quand dans le veld sauvage, Fantômas et Hans Elders étaient tous les deux des pillards comme en traînent à leur suite toutes les armées qui font campagne, Hans Elders avait été heureux d’accepter les propositions du bandit. Il avait vu dans l’offre que Fantômas lui faisait de lui fournir régulièrement des pierreries destinées à amorcer la fausse chercherie un moyen de faire fortune. Hans avait reçu, par la suite, la visite de pourvoyeurs louches que Fantômas, Fantômas disparu, lui adressait. La chercherie, alimentée par des courtiers qui n’étaient en réalité que des receleurs, par Gérard, par Ribonnard et tant d’autres avait prospéré. Et comme Fantômas ne donnait toujours pas de ses nouvelles, comme il devenait légendaire, comme à maintes reprises on avait annoncé sa mort, Hans Elders avait imaginé que son redoutable associé ne viendrait jamais lui demander de comptes, ne se présenterait jamais pour réclamer son dû.

Or, cette échéance que ne redoutait plus Hans Elders, voici qu’elle avait sonné, voici que Fantômas était devant lui, voici qu’il disait d’une voix dédaigneuse :

— Partageons.

Hans déjà s’affolait.

Il n’était pas au bout de ses peines, car soudain Fantômas avait changé d’attitude.

Ce n’était plus seulement un homme railleur que Hans Elders avait devant lui, c’était bien le Roi du Crime, c’était un maître, un maître qui menaçait.

Oui, Fantômas, soudain, en comédien expert qu’il était, quittait le ton badin, prenait une mine grave. C’était frissonnant qu’il s’avançait vers Hans Elders, les mains tendues, l’œil injecté, fou furieux :

— Misérable, hurla-t-il, traître, abject individu, renégat ! Oh, crois-tu que j’ignore aucune de tes vilenies ? Écoute. Il y a six mois que je t’épie. Il y a six mois que je suis au courant, jour par jour, de tes actes et de tes lâchetés. Il y a six mois que je sais que tu me crois mort, que tu dis à chacun que je suis mort, que tu prétends voler, à moi, à ton bienfaiteur, à ton maître, au maître de tous, à Fantômas, la part qui me revient légitimement de l’exploitation de cette chercherie que mon industrie seule a créée, que mon industrie seule maintient productive.

— Ce n’est pas vrai. Ce n’est pas vrai !

Mais Fantômas s’était ressaisi.

Il maîtrisait sa colère.

D’une voix redevenue froide, implacable, il interrogea :

— Mais tu as fait pis. Tes larcins, ta lâcheté, ta duplicité de traître, je te les pardonnerais encore. Ce que je ne te pardonnerai pas, Hans Elders, c’est d’avoir voulu dérober le coffret, le coffret que j’avais confié à Laetitia, et où étaient enfermés les papiers de ma fille.

Hans Elders, devant la colère du maître, devant la colère de Fantômas, était hors de lui, hagard, affolé.

Il présentait le spectacle lamentable d’un homme qui se sent perdu, qui sue la peur.

Il savait que Fantômas ne faisait pas grâce.

Hans Elders, pourtant, si lâche qu’il était, était plus encore avide d’or.

Au moment même où il s’agissait d’obtenir son pardon de Fantômas, il voulut encore mentir :

— Je n’ai pas volé le coffret, affirma-t-il.

Mais il se tut.

Un tel éclair de colère avait brillé dans les yeux de Fantômas que déjà, il n’osait plus soutenir le mensonge qu’il venait d’inventer.

Et Hans Elders fut lâche jusqu’au bout…

Il se releva du fauteuil où il s’était écroulé…

Il se jeta à genoux sur le sol.

Et se traînant vers Fantômas, il râla :

— Maître, pitié, je te croyais mort. C’est pour cela…

Fantômas l’interrompit d’un mot :

— Si j’étais mort, dit-il, ma fille était encore vivante, n’est-il pas vrai ? En volant le coffret tu voulais voler sa fortune, c’était elle que tu cherchais à dépouiller ?

Oh ! ces paroles que Fantômas prononçait furent pour Hans Elders un trait de lumière.

Fantômas disait : « Ma fille était encore vivante, sans doute… » Il n’en était donc pas sûr ? peut-être pouvait-il douter à ce sujet ?

Affolé et conservant encore une vague espérance de se sauver, Hans Elders affirma solennellement :

— Tu te trompes, Fantômas, et je frémis moi-même en songeant à l’horrible nouvelle que tu vas apprendre, puisque tu sembles l’ignorer…

Fantômas avait blêmi :

— Ma fille ?

— Ta fille est morte.

Et comme Fantômas ne tressaillait même point, Hans, jouant le tout pour le tout, se hâtait d’ajouter :

— Ta fille est morte, Fantômas, je te croyais mort, toi aussi. C’est pour cela que j’avais volé ce coffret, c’est pour cela que je voulais m’approprier les parchemins qui faisaient ta fille riche, mais, puisque te revoilà, la situation change, et je n’ai plus de raisons d’agir ainsi.

Et, tout en parlant, Hans Elders surveillait l’effet de ses déclarations sur le visage de Fantômas.

Fantômas était impassible.

Croyait-il réellement que sa fille était morte, ou ne le croyait-il pas ?

Impossible de le deviner à son regard…

Hans Elders vit le bandit sourire d’un sourire énigmatique.

Fantômas tira de sa poche un revolver dont il menaça la poitrine du directeur de Diamond House :