— Nous serons courageux tous les deux et nous retrouverons le secret de ma naissance. Hans Elders le détient, je suis sûre que ces jours derniers encore, c’est lui qui est venu reprendre la tête de mort dans laquelle se trouvent les papiers qui me disent qui je suis. Hélas, qu’a pu faire Hans Elders de ces documents ?

Fandor bouillait d’impatience.

Plus encore qu’auparavant, il était résolu à la lutte, à la lutte implacable, immédiate :

— Nous les retrouverons, jura-t-il, dussé-je y laisser ma peau. Venez, Teddy partons.

La jeune fille calma l’enthousiasme du journaliste. Tendrement, affectueusement, elle appuya son bras sur le sien :

— Hélas, Fandor, murmura-t-elle, vous oubliez que vous êtes recherché. La police est à vos trousses, vous avez même failli être pris.

Une lueur sombre brilla dans les yeux du journaliste :

— C’est vrai, fit-il, j’avais oublié… que faire ?

Mais il reprit courage aussitôt :

— Parbleu, dit-il en s’animant, c’est une accusation imbécile qui pèse sur moi, je saurai vite me disculper, je réussirai à me défendre. Pourquoi, afin d’en finir, n’irais-je pas directement m’expliquer avec les autorités ?

Alarmée, la jeune fille se jeta devant lui, comme si elle avait voulu le protéger de son corps gracieux contre quelque danger imminent :

— Ah Fandor, s’écria-t-elle, ne faites pas cela. Comme moi vous avez un ennemi, un ennemi terrible et redoutable, c’est Hans Elders. C’est un homme très puissant, sans conscience et qui ne recule devant rien.

— En effet, reconnut Fandor, c’est un sinistre bandit.

Et le journaliste pensait à la fausse taillerie de diamants, grâce à laquelle on écoulait des pierres tout simplement volées.

Le joli cavalier poursuivait :

— Hans Elders est capable de tout. Il a persuadé la police que c’est vous qui aviez ameuté la foule contre le noir Jupiter. D’autre part, le lieutenant Wilson Drag vous a reconnu comme étant l’homme qu’il avait failli fusiller lors de l’incendie des Docks. Si vous êtes pris, Fandor, vous êtes irrémédiablement perdu. Il va falloir vous cacher, puis partir, quitter le pays…

La jeune fille ajouta, surmontant son émotion :

— Et me quitter, Fandor…

Mais le journaliste ne voulut pas permettre que la jeune fille eût, un seul instant, semblable idée :

— Vous quitter, jura-t-il, en la serrant contre sa poitrine, vous quitter, jamais, plutôt mourir.

— Vous verrez que nous réussirons.

Les deux jeunes gens demeurèrent longtemps encore étroitement embrassés. Puis :

— Fandor.

— Teddy.

— Fandor, il ne faut pas rester ici, fuyons… ces lieux sont suspects et redoutables, on pourrait nous surprendre, et il faut vous cacher.

— Teddy, répondit Fandor, je vous obéirai et je me cacherai si j’ai la certitude que vous-même ne courrez aucun risque.

— Fandor, en vous protégeant, je me sauvegarde. Pendant quelques jours encore, jusqu’à ce que nous ayons repris à Hans Elders la tête de mort qui contient le secret de ma naissance, il faut vous dissimuler, éviter d’être surpris par la police. Je connais une cachette. Partons.

— Partons.

Et avant de se mettre en route, après avoir jeté un dernier regard à ces lieux déserts qui avaient été, avec les trois bons chiens, les uniques témoins de leur première déclaration d’amour, leurs lèvres s’unirent dans un long baiser :

— Je vous aime.

— Je vous aime.

25 – LE SECRET DE L’OSSUAIRE

Juve se réveilla de fort mauvaise humeur.

Il hésita quelques instants à se lever – il avait fini par aller coucher dans l’un des hôtels les moins luxueux de Durban – puis soudain, sautant à bas de son lit, il s’habilla en sacrant, en pestant, en bousculant tout dans la pièce.

Juve, au point où il en était de ses enquêtes, s’avoua qu’il ne comprenait plus rien du tout à quoi que ce soit.

Où était Fandor ? Que faisait-il ? Et pourquoi se cachait-il ? Juve commençait à en avoir une vague idée.

Des dires de Ribonnard, Juve, en effet, n’avait retenu qu’une chose, c’est que Fandor était accusé, de façon imprécise, il est vrai, mais enfin de façon certaine, par l’opinion publique, d’avoir été la cause de l’incendie des Docks.

Mais il y avait plus.

N’accusait-on pas, en effet, le journaliste d’avoir joué un rôle – et un rôle équivoque – dans les disparitions, dans les vols d’argent qui avaient successivement eu lieu chez Hans Elders ?

Et la tête de mort ?

De quelle illusion tragique avait-il été victime, à quelle aberration avait-il été en proie ?

Juve s’arrêta de s’habiller pour y réfléchir encore.

« Morbleu, se disait-il, dans une véritable rage, j’ai pourtant bien vu un crâne à côté de moi, et il n’y avait pas de crâne. Morbleu, je n’étais cependant pas grisé par la fumerie, puisque je n’avais pas fumé. Et ce n’était pas non plus l’atmosphère chaude de la pièce qui m’avait porté au cerveau, puisque après tout j’étais parfaitement maître de moi-même, parfaitement conscient de mes actes, au moment où je suis sorti pour me précipiter vers le port et assister au bombardement du British Queen.

Quel avait été le résultat, en effet, de cette tragique aventure ?

Du navire incendié, que le vent drossait contre la terre, du navire pestiféré que les autorités faisaient couler pour éviter la propagation du terrible fléau, Fantômas avait-il pu s’échapper ?

Le bandit s’était-il noyé, au contraire ?

Juve, soudain, fut repris de son besoin d’activité.

Il se hâta de terminer sa toilette, il paya sa chambre, sortit de l’hôtel et se rendit chez un armurier où, par précaution, il choisit un excellent revolver. Puis il s’orienta, quitta Durban, gagna la campagne.

« Ma foi, s’était dit Juve, je n’ai qu’une façon de procéder pour arriver à comprendre quelque chose à toutes ces intrigues. En somme, dans tout cela, je vois passer, ayant l’air d’être le motif de tous ces imbroglios, une forme fantastique, effarante, celle d’une tête de mort. Si Hans Elders est soupçonnable, si Fandor est soupçonné, si Wilson Drag est accusé d’avoir volé de l’argent, s’il a été empoisonné, si Fantômas s’occupe de ces individus, si moi-même j’ai été halluciné hier à la fumerie, c’est à cause de cette tête de mort. Donc le premier point à établir, c’est assurément de savoir exactement ce que sont ces ossements, quelle valeur ou quel intérêt ils présentent. Bon, je vais chercher cette tête de mort.

La besogne n’était pas aisée, il fallait toute la belle confiance du policier pour entreprendre avec une si belle assurance la recherche des ossements, dont Juve ne savait, en somme, que fort peu de chose.

Mais Juve, suivant son habitude, s’efforçait de raisonner logiquement.

« Tout ce que j’ai appris, s’était-il dit, constitue en quelque sorte des phrases séparées, n’ayant aucune espèce de sens. Quand je serai arrivé à les mettre en ordre, leur lecture sera claire et nette. Donc, il faut commencer par un bout et reconstituer le petit jeu de patience. C’est une charade que je vais essayer, c’est un rébus qu’il faut que j’explique. Il y a maints personnages dans cette aventure, qu’il serait intéressant d’interviewer. Ce Teddy est mystérieux, ce Wilson Drag bizarre, cette Winie extraordinaire, mais ce sont là, évidemment des comparses, car dans toutes ces aventures dont j’ai entendu parler, un même personnage joue le rôle principal, et ce personnage c’est Hans Elders. C’est lui, semble-t-il, qui est le propriétaire de la tête de mort, c’est à lui que Fandor en veut, ou c’est lui qui en veut à Fandor. Dans les deux cas, mon plan d’action est tout tracé, je dois enquêter sur Hans Elders.

***

Juve, depuis deux heures, parcourait en tous sens, usant de sa merveilleuse habileté pour ne pas attirer l’attention, les bâtiments de Diamond City.

On était un dimanche, les ateliers étaient déserts. Juve, qui s’y était introduit en passant par une fenêtre entrebâillée, n’avait rencontré âme qui vive.