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Abasourdi, Aldo les écoutait se disputer en se demandant s’il n’était pas encore aux prises avec les rêves délirants de la drogue.

— Quand vous aurez fini, gronda-t-il, il y en aura peut-être un qui consentira à m’enlever ces menottes ? Elles me scient les poignets !

Lemercier s’en chargea avant de rendre le même service à Caroline qu’un gendarme était en train d’examiner. Il avait pris la main blessée de la jeune fille et désignait le pansement :

— Vous avez vu ?

— Pauvre petite fille ! Elle en aura subi plus que son content ! Portez-la dans une voiture et conduisez-la à l’hôpital… J’irai après.

Cependant, assis sur une pierre, Aldo acceptait avec joie la cigarette que lui offrait Karloff :

— Si vous me disiez comment vous en êtes arrivé là ? Je vous croyais amnésique ?

— Je ne l’ai jamais été. Ce n’est pas si facile à simuler, surtout auprès de ceux que l’on aime, mais je dois admettre que mon chirurgien m’a aidé. Quand je me suis réveillé après l’opération, j’ai entendu quelqu’un demander si j’allais garder des séquelles, genre amnésie, et j’ai pensé que ce serait la meilleure façon de protéger les miens. Ces salopards m’ont cru mourant quand ils m’ont jeté dans une rue de Versailles. S’ils apprenaient que je survivais, ils achèveraient leur œuvre et en supprimant aussi les miens pour faire bonne mesure. Ça me faisait drôle de ne pas pouvoir vous reconnaître mais j’y étais obligé parce que je voulais mener ma petite enquête. Quand on m’a enlevé près de la grille du Dragon alors que j’allais suivre le gamin porteur du message, on m’a bandé les yeux et bâillonné mais il y avait une simple déchirure qui m’a permis d’observer certains détails.

Revenu à la maison, je les ai mis bout à bout mais il y avait des manques. Je me suis confié à ma femme qui a joué le jeu à merveille surtout vis-à-vis de Marfa qui aurait empli le quartier d’actions de grâce tonitruantes. Elle a posté discrètement une lettre pour mon ami Panine qui tient un garage à Courbevoie. Il est venu me voir et lui aussi il a joué le jeu : il venait chercher dans une voiture le pauvre infirme que j’étais pour lui faire prendre l’air. Je dois dire qu’on a mis un certain temps à retrouver la vieille bâtisse à moitié ruinée enfouie au plus épais de la forêt de Marly. Je n’étais pas encore sûr de mon fait quand j’ai appris qu’on vous avait enlevé depuis un moment déjà. Alors j’ai pris mon courage à deux mains : on n’avait plus de temps à perdre. J’ai envoyé un mot, non signé, au commissaire Lemercier en lui donnant rendez-vous dans un coin du parc.

— Il a dû avoir un choc en vous voyant ?

— Vous pouvez le dire. Mais il a vite compris et on s’est mis d’accord pour tenter un coup de filet demain soir…

— Alors, par quel miracle êtes-vous ici cette nuit ?

— Quand on a vu brûler la maison de Crawford, Lemercier a compris qu’il y avait urgence. Il a rassemblé son monde et nous voilà !

— L’extraordinaire, c’est que vous ayez réussi à vous entendre avec lui ! Cela tient du prodige !

— Pas tant que ça ! Il a un foutu caractère mais il est beaucoup plus intelligent qu’on ne le croit. Je me demande même s’il ne le fait pas exprès…

— En tout cas, soupira Aldo, je n’aurais jamais pensé être aussi heureux de le voir…

Le retour au Trianon Palace fut ce qu’il devait être, une explosion de joie, une sorte de triomphe auquel participèrent les clients de l’hôtel. Cette nuit-là personne ne dormit. La totalité de la bande des « Vengeurs » – sauf ceux qui avaient été abattus pendant la brève et inégale bataille contre les forces de l’ordre – était sous les verrous. Y compris Léonora. Il avait fallu tout de même trois hommes pour la maîtriser quand le commissaire s’empara de sa mallette à bijoux…

On s’attarda chez Mme de Sommières avec Pauline, Karloff mais aussi Adalbert que l’on avait rencontré sur la route du retour avec le journaliste, vexés tous deux de ne pas avoir participé à l’assaut final ! Caroline, épuisée et très choquée, avait été transportée à l’hôpital. Aldo promit de s’y rendre le lendemain aux fins d’examens. Son expérience forcée de la drogue le laissait légèrement flottant mais se dissiperait sans doute assez rapidement. Michel Berthier, lui, avait tenu à rejoindre l’ambulance qui emportait Caroline, bien qu’Aldo eût essayé de l’en empêcher :

— C’est inutile. Ils vont la faire dormir et vous ne pourrez pas la voir.

— Peut-être mais j’ai besoin de savoir comment elle va sortir de ce cauchemar…

— Bel exemple de conscience professionnelle ! ironisa Aldo à qui le visage crispé du reporter parlait un tout autre langage…

— Ça n’a rien à voir avec le boulot ! Vous rendez-vous compte de ce qu’elle a perdu ? Même sa possibilité de travailler ? Lui couper un doigt ! Le salaud !

— Il lui en reste encore neuf… et aussi quelques bons amis !

— Vous pouvez en être sûr ! Moi, j’entends veiller sur elle…

Aldo le regarda s’engouffrer dans sa voiture et démarrer sur les chapeaux de roues :

— Espérons qu’elle saura t’en remercier ? fit-il en allumant sa dernière cigarette…

Le lendemain, Pauline pensa qu’il était temps de rentrer à Paris. Elle n’avait plus rien à faire à Versailles et Gilles Vauxbrun qui la réclamait à cor et à cri promit de venir la chercher en fin d’après-midi ainsi qu’elle le lui avait demandé.

— Auparavant, confia-t-elle à Mme de Sommières, je voudrais visiter la maison de Mlle Autié. On m’a dit qu’il s’y trouvait des sculptures d’une certaine qualité et si elle acceptait de me les vendre ce pourrait être pour elle une source de revenus ?

— Surtout si on acceptait de les surpayer ? Ce qui ménagerait sa dignité puisque nous craignons qu’elle ne refuse une aide financière, sourit Aldo avec un clin d’œil à Marie-Angéline. Cela vous ressemble bien, Pauline. Quant à la maison, Adalbert va vous en ouvrir les portes comme un ange !

Après le déjeuner, Lucien et la vieille Panhard emmenèrent Pauline, Aldo, Adalbert et Marie-Angéline. Il faisait un temps splendide et la vieille maison, entourée de son jardin pratiquement inculte où les fleurs poussaient n’importe comment, séduisit Mrs Belmont :

— Des réparations me paraissent nécessaires, dit-elle après l’avoir visitée, mais c’est charmant. Il devrait être possible d’y vivre heureux ?

— Le malheur est qu’un mauvais esprit l’habite et fait tous ses efforts pour en chasser sa jeune propriétaire…

— Ce problème, fit Marie-Angéline, j’en ai fait mon affaire. M. le curé de Notre-Dame m’a promis de voir l’évêque. Avec les témoignages que nous apporterons, l’exorcisme ne tardera pas…

— À merveille ! Maintenant, si vous nous montriez l’atelier, Aldo !

Elle lui prit le bras d’autorité et les narines de Plan-Crépin frémirent d’indignation. Depuis le retour de son cousin, ses préventions contre la belle Américaine étaient revenues en masse. Elle prit son élan pour les rattraper. Adalbert la retint :

— Aldo repart bientôt. Laissez-le-lui deux minutes. Le comportement de Mrs Belmont a été exemplaire depuis qu’il est rentré !

— Vous oseriez le dire à Lisa ?

— Certes non, et dans cette affaire je ne lui donne pas raison. Elle devrait être présente…

— Ne me dites pas que vous passez à l’ennemi ? Moi, je vais voir !

Et, assurant son canotier orné de cerises, elle courut les rattraper. Adalbert suivit avec un soupir.

Quand elle les rejoignit, ils étaient déjà séparés. Pauline, au seuil, avait marqué une pause en reniflant l’air ambiant :

— Quelle atmosphère !… Tout vient de là, n’en doutez pas !

— Vous versez dans le spiritisme ? fit Aldo en riant.

— Oh, c’est très à la mode, chez nous ! Mais ne me parlez pas ! Laissez-moi regarder sans m’interrompre !

À pas lents, elle fit le tour de l’atelier en examinant chaque pièce avec le soin d’un commissaire-priseur. De temps en temps on entendait :