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— Ouf ! exhala Marie-Angéline. J’ai eu la plus belle frousse de ma vie ! Mais enfin on l’a !

— Allons boire un verre en bas et filons !

Avant de quitter la chambre, elle jeta un dernier coup d’œil à Mme Timmermans qui continuait de dormir d’un sommeil paisible, voire heureux.

— Je me demande si le résultat est le même avec les taureaux de la cousine Prisca ?

— En tout cas, c’est miraculeux et vous avez eu une idée géniale alors que je pataugeais comme un débutant !

En passant par le salon, ils trinquèrent à leur succès puis abandonnèrent la maison en n’oubliant pas de glisser les clefs dans la boîte aux lettres. Adalbert en profita pour poser la question qui le travaillait depuis un moment :

— Dites-moi, Marie-Angéline, où vous avez déniché ce costume ? Tout de même pas chez la chanoinesse ?

— Simplement chez un loueur de costumes. Il y en a un ici et, avec les nombreuses fêtes qui se donnent chez les particuliers et aux deux casinos, il ne manque pas de demandeurs. À l’origine je voulais un habit de religieuse, Saint-Vincent-de-Paul ou autre, et on m’a proposé celui-là pour son originalité. Il n’est pas absolument fidèle au modèle : les broderies du col sont dorées au lieu d’être rouges. Mais ça a fait l’affaire. Quelle est la suite du programme, à présent ?

— Pas compliqué ! Vous rentrez en taxi chez Mme de Saint-Adour et moi je prends le premier train pour rejoindre Aldo. Nous avons à préparer le dernier acte et, avec l’ennemi que nous avons en face de nous, je crains que ce ne soit pas le plus facile.

— Voulez-vous que nous rentrions aussi, notre marquise et moi ?

— Pas jusqu’à nouvel ordre. À Saint-Adour, vous serez plus en sécurité que nulle part ailleurs… À condition de ne pas vous lancer inconsidérément à la recherche du jeune Faugier-Lassagne…

— Et si pourtant je trouvais un indice ?

— Parlez-en avec vos dames et, au besoin, téléphonez chez moi !

Le train Hendaye-Paris s’arrêtait en gare de Biarritz à huit heures du matin. Quand Adalbert y grimpa, il avait la conscience tranquille. Avant de quitter l’hôtel, il avait fait envoyer à la chère Louise une brassée de roses accompagnée d’une lettre où il regrettait de ne pouvoir rester plus longtemps mais l’assurait qu’il prendrait prochainement de ses nouvelles. Une fois installé dans son compartiment, il déplia le journal du matin, alluma une cigarette et n’y pensa plus. Il était tellement heureux en imaginant la joie d’Aldo quand il lui mettrait le collier dans les mains que cela lui tint compagnie tout le temps du voyage.

Arrivé en gare d’Austerlitz, il sauta dans un taxi et rentra chez lui, rue Jouffroy, pour se débarrasser des bagages. Un bonjour à un Théobald d’autant plus ravi de le revoir qu’il avait trouvé les heures longues et Adalbert se ruait sur le téléphone pour appeler le Ritz. Le standardiste de service lui répondit que le prince Morosini n’était pas dans sa chambre, après quoi il demanda Duroy, le réceptionniste qu’il connaissait et qui le reçut avec un soulagement évident.

— Je suis content de vous entendre, Monsieur Vidal-Pellicorne, car, à ne rien vous cacher, nous sommes un peu en peine de Son Excellence.

— Vous voulez dire qu’il a quitté l’hôtel ?

— Non. Ses bagages sont toujours dans sa chambre mais lui n’est pas revenu depuis bientôt deux jours…

— Et vous n’avez pas appelé la police ?

— Nnnnnon ! Le prince est assez coutumier de ces absences impromptues et pendant ces deux jours nous ne nous sommes pas inquiétés mais à présent nous nous interrogeons…

— Eh bien, cessez de vous interroger, brama Adalbert. Je vais la voir de ce pas, la police !

La brutalité avec laquelle il raccrocha le téléphone faillit être fatale à l’appareil mais Adalbert, assailli par la peur, ne se contrôlait plus… Suivant de si près la joie de posséder enfin les émeraudes, cette disparition lui semblait plus qu’inquiétante. Son absurdité lui glaçait le sang. Pourquoi enlever Morosini alors que le délai n’était pas atteint ? À moins qu’il n’y eût, sur l’affaire, une autre bande que celle des Mexicains ? Mais dans ce cas d’où pouvait-elle sortir ?

— On dirait que Monsieur n’est pas dans son assiette ? hasarda Théobald qui l’observait depuis la porte du cabinet de travail.

— Il y a de quoi ! Morosini a quitté l’hôtel avant-hier et n’y est pas encore revenu. Qu’est-ce que ça signifie pour toi ?

— C’est que… je n’ose même pas me le demander, Monsieur. Il faudrait…

— Il n’y a qu’une chose à faire : foncer au quai des Orfèvres et voir ce qu’en pensera le commissaire Langlois. Morosini avait du reste l’intention de le rencontrer...

— C’est qu’il est près de neuf heures, et les bureaux de la police judiciaire…

— S’ils sont fermés on les fera ouvrir et si Langlois est absent, j’irai chez lui mais je veux lui parler dès ce soir. On n’a perdu que trop de temps dans cette histoire !

À peine cinq minutes plus tard, Adalbert, au volant de sa bruyante Amilcar rouge, fonçait à travers Paris telle une bombe sans accorder la moindre importance aux coups de sifflet qui, de loin en loin, accompagnaient sa course vengeresse. Jamais encore il n’avait conduit à pareille allure mais les images que lui montrait son imagination le mettaient au-delà de tout raisonnement.

Ses freins protestèrent quand il stoppa son engin à un mètre de l’agent de police posté en sentinelle, sauta en voltige et se rua sur la porte d’entrée.

— Hé là, vous ! Où prétendez-vous aller comme ça ?

— Voir le commissaire principal Langlois, et dare-dare !

— Il vous faut d’abord un rendez-vous !

— Pas le temps ! C’est urgent. Et si vous prétendez m’en empêcher, j’aurai le regret de vous boxer ! Vous êtes jeune et pas vilain, alors prenez-vous en considération…

Sans attendre la réponse, il aborda l’escalier qu’il escalada quatre à quatre en appelant Langlois à tous les échos, ameutant par la même occasion le reste du personnel. Mais ce fut efficace : quand il arriva sur le palier du second étage, le commissaire en personne lui barrait le passage. Aucunement surpris de cette arrivée tonitruante :

— Ah, c’est vous ? J’aurais dû m’en douter ! Vous n’êtes pas un peu malade de brailler de la sorte ?

Sans trop de ménagements, il l’avait attrapé par le bras pour le diriger vers son bureau où il le propulsa sur une chaise.

— Morosini a disparu, se rebiffa Adalbert en essayant de retrouver son souffle, et je veux qu’on me le récupère au plus vite !

— Cessez donc de hurler ! Il n’y a pas le feu…

— Pour moi si… et qu’est-ce que c’est que ça ?

Son regard venait de tomber sur le bureau du policier et les quelques objets qui s’y trouvaient. Il désigna d’un doigt tremblant un mince portefeuille en crocodile noir timbré d’une couronne et des boutons de manchettes en or qu’il ne reconnaissait que trop… et les larmes lui jaillirent des yeux qu’il cacha aussitôt sous sa main.

Langlois alla prendre dans un classeur une bouteille de cognac et deux verres, en emplit un qu’il mit dans la main libre d’Adalbert :

— Buvez ! Et rassurez-vous ! Ces babioles ne viennent pas de la morgue !

— D’où, alors ?

— Des poches d’un clochard ivre à faire pâlir d’envie la Pologne et qui espérait convertir les boutons en un océan de pinard à son bistrot favori. En le servant, le patron lui a posé des questions et en a eu des réponses plutôt vaseuses, aussi, pendant ce temps-là, sa femme alertait le plus proche commissariat, celui du IVe arrondissement. Naturellement on a dessaoulé le bonhomme, on l’a questionné de nouveau et on a fini par lui sortir les vers du nez : il avait fait ses trouvailles sous le pont Marie, côté île Saint-Louis, sur un type qui devait être encore plus pété que lui car il s’était laissé faire sans broncher. Le portefeuille était à quelques pas, vide naturellement. Le commissaire n’a pas hésité. Il a envoyé une patrouille et on l’a effectivement trouvé sans connaissance en raison d’une blessure qu’il portait à la tête. En outre, il avait été dépouillé de son pardessus et de ses chaussures. Une chance que les boutons de manchettes aient échappé au pillage… Le voleur n’a pas dû les voir…