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En face d’une situation aussi imprévue, la descendante des croisés s’efforça de penser à toute vitesse.

— Non, dit-elle enfin. Non, c’est… un peu tôt.

— Comment « un peu tôt » ?

— Je veux dire que… que ce n’est pas la première fois que ça lui arrive ! Tenez, l’an passé, il faisait ses recherches à l’autre bout des Pyrénées, du côté de… Salses. Un matin, il est parti dans la montagne et l’hôtel où il s’était installé ne l’a revu que huit jours après. Il est resté tout ce temps, d’abord avec des bergers puis dans je ne sais quel monastère dont il est revenu enchanté, sans avoir conscience que son hôtelier pouvait se poser des questions. Celui-ci avait au préalable alerté la maréchaussée, ce qui a fort mécontenté mon cousin. Il n’en a pas moins dû s’excuser du dérangement et il a fait un don au bénéfice des orphelins de la gendarmerie…

— Ah bon ? Il a déjà… ?

— Oh, j’en suis persuadée ! On aurait pu penser que l’affaire de Salses lui aurait servi de leçon, apparemment non. Et au fond cela ne m’étonne pas de lui ! C’est un tel original ! Alors le mieux est de prendre patience !

Cette fois, Marie-Angéline avait plutôt trop chaud. Sous la concentration, des gouttes de sueur perlaient à la racine de ses cheveux jaunes mais elle avait atteint son but et l’aubergiste se rassurait à vue d’œil. Aussi jugea-t-elle qu’il était temps de prendre le chemin du retour. Elle paya son café et réendossa ses toiles cirées. Mais une difficulté se présenta, lorsque l’aubergiste lui demanda où elle pourrait l’atteindre quand son cousin referait surface. Elle commença par donner son nom, ce qui ne tirait pas à conséquence ! Mais, avec un art consommé, elle s’interrompit au moment de donner son adresse…

— Non… Il est préférable que vous ne bougiez pas. Cela pourrait exciter sa colère… et puis là où je suis, il n’y a pas le téléphone. Le mieux est que je revienne… la semaine prochaine, par exemple ? Et surtout ne lui parlez pas de ma visite ! Il dirait encore que je le surveille !

Peu de temps après, elle pédalait de nouveau sous la pluie mais au lieu de reprendre le chemin par lequel elle était venue, elle fit un détour afin de faire croire qu’elle était arrivée de la direction opposée.

La nouvelle qu’elle apportait eut l’effet d’une bombe sur les habitantes de Saint-Adour. Pour elles, il ne fit aucun doute que le jeune Faugier-Lassagne avait dû commettre une imprudence qu’il payait peut-être beaucoup plus cher qu’elle ne le méritait.

— Vous avez eu raison d’éviter que l’on alerte la gendarmerie, approuva Mme de Sommières, néanmoins soucieuse. Cependant, il faudra s’y résoudre s’il ne se retrouve pas.

— Et que ferait-elle de plus ? Même si nous sommes persuadées que ce garçon a dû s’approcher d’Urgarrain plus qu’il ne faudrait, nous n’avons aucune preuve à fournir parce que aucune accusation à formuler contre ces gens, remarqua la chanoinesse. Si l’on va frapper à leur porte, ils diront qu’ils ne sont pas au courant et refermeront sans qu’on puisse les obliger à rouvrir…

— Sauf si un juge quelconque nous délivrait une commission rogatoire ! Sacrebleu, Prisca, vous ne me ferez pas croire que vous n’avez aucune relation avec la magistrature de ce pays ? Un éleveur – ce que vous êtes ! – est soumis à des lois, qu’elles lui plaisent ou non, et ne peut pas passer une vie entière sans s’y trouver confronté un jour ou l’autre et avoir à en discuter ?

— Eh bien si, justement ! Je n’ai jamais eu de problèmes de bornage, ou de vols d’animaux ! Aucune vache ne s’est jamais enfuie de chez moi pour se faire conter fleurette par un bestiau voisin et je n’ai jamais eu à déposer la moindre plainte ni à en répondre.

— Bravo ! L’âge d’or ou quelque chose qui y ressemble ! constata la marquise, exaspérée. Seulement, avec cette tribu mexicaine, je redoute que le serpent se soit introduit dans votre éden et n’y fasse des siennes. Alors il n’est pas question de laisser le jeune Faugier-Lassagne disparaître dans la nature sans bouger un doigt pour le retrouver ! Si seulement Aldo était là !

— À défaut, on pourrait appeler Adalbert ? proposa Marie-Angéline. Il l’a amené à l’auberge et il n’est qu’à quelques kilomètres.

— Il faut espérer qu’il ne soit pas reparti pour Paris s’il a trouvé ce qu’il cherchait.

— Pas sans nous prévenir. On le saurait ! Nous sommes vraiment pessimiste, aujourd’hui ?

— On fait ce qu’on peut avec ce qu’on a ! Dépêchez-vous de lui téléphoner ! Par ce temps-là, il ne doit pas être en train de se promener avec la reine du chocolat ! Je me demande même ce qu’il peut bien faire ?

À cette minute précise, il déjeunait avec Mme Timmermans au charmant restaurant des Fleurs du casino Bellevue, en attendant de disputer une partie de bridge chez une amie de la dame. Depuis le départ massif de la « famille », il s’ennuyait comme un rat mort. Ce n’était pourtant pas faute d’activités ! Ravie de son acquisition, Louise Timmermans l’emmenait partout, le promenant tel un trophée, voire un animal savant débitant des discours passionnants sur l’Égypte ancienne dès l’instant où on l’en priait. Partout, oui… mais pas chez elle !

— Tant que ma fille est à la clinique, je ne peux décemment vous recevoir qu’au milieu d’autres invités. Autrement, on pourrait jaser !

De quoi, mon Dieu ? Louise Timmermans était charmante mais elle comptait vingt bonnes années de plus que lui. En outre, il lui suffisait de se regarder dans un miroir pour s’assurer qu’il ne possédait aucun point commun avec ces jolis sigisbées – petits cousins ou secrétaires très particuliers ! – que traînaient derrière elles certaines dames d’âge mûr de la haute société à Biarritz comme à Cannes, Monte-Carlo ou Deauville. Trop élevées au-dessus du commun des mortels pour avoir souci du qu’en-dira-t-on, mais ce n’était pas le cas de la veuve du chocolatier. N’ayant rien à se reprocher, elle refusait de s’en donner les apparences. On ne pouvait lui en vouloir pour ça ! Livré à ses seules forces, Vidal-Pellicorne se mettait la cervelle à la torture pour trouver un moyen de passer quelques instants en tête à tête avec l’éventail de plumes et son coffret. Se sachant capable de faire aboutir ce projet, il commençait à envisager l’idée d’un cambriolage pur et simple avec les risques inhérents à l’absence d’aide extérieure et au fait qu’il faudrait opérer en pleine nuit dans la chambre même de la dame endormie quand, rentrant à l’hôtel pour se changer après un bridge où, distrait, il avait perdu tout ce qu’il voulait, on lui remit un billet. Il avait reçu un coup de téléphone de Mlle du Plan-Crépin avec le numéro d’appel correspondant. Qu’il se hâta de demander…

La disparition du jeune Faugier-Lassagne lui fit l’effet d’un révulsif. Depuis le départ d’Aldo, il s’était concentré sur le trésor supposé de la Villa Amanda, oubliant les gens de l’arrière-pays. Marie-Angéline le ramenait sans douceur à une réalité singulièrement plus inquiétante qu’il ne l’aurait imaginé.

— J’arrive, fit-il sobrement, assez content, au fond, d’échapper au dîner de gala sur les bords du lac Chiberta où il devait accompagner Louise Timmermans.

Naturellement il se devait en priorité de s’excuser auprès d’elle : à son immense regret, il lui fallait rejoindre d’urgence un ami qui venait d’être victime d’un accident à quelques kilomètres de Biarritz… Hélas ! Il n’eut même pas le temps de parfaire son mensonge :

— Mais vous ne pouvez pas m’infliger cela, cher ami ! Songez à l’importance de cette soirée que présideront le roi et la reine d’Espagne !

— Sans doute, et je vous prie de croire que, s’il ne s’agissait d’une circonstance exceptionnelle, je ne serais pas en train de vous demander de m’excuser… Vous avez de nombreux amis qui seront trop heureux de vous escorter et qui d’ailleurs doivent m’accuser de vous accaparer.

— Peut-être, mais je ne m’amuse jamais autant qu’avec vous, Adalbert !