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— C’est bien dommage et tu devrais essayer de renouer.

— Pourquoi ?

— Évidemment ! s’écria Marie-Angéline jusque-là réduite au silence par l’attention avec laquelle elle écoutait. Lorsque nous sommes allée – sans moi ! – rue de Lille, la vieille dame ne nous a-t-elle pas dit que son petit-neveu, ce char… je veux dire Don Miguel, vivait à New York où il se faisait une situation dans les objets anciens avec l’aide d’amis dont on ne nous a pas confié l’identité mais qui semblent assez au courant de ce qui se passe de ce côté-ci de l’Atlantique pour savoir ce que l’on y vend en fait de château ! Ce sont eux qui ont expédié la famille Vargas-Olmedo à Biarritz où, comme par hasard, un autre homme a convaincu M. Vauxbrun d’aller faire un tour… Vous, je ne sais pas, mais moi je trouve que cela fait beaucoup de gens sans visages et sans noms…

— Plan-Crépin ! s’écria la marquise, il y a des moments où vous avez des éclairs de génie ! C’est exactement ce que je voulais dire !

— Et en plus, elle a raison, fit Adalbert. Tu devrais écrire à cet Anderson…

— Non. Je pense que c’est du ressort de Langlois. Je vais aller le voir. Cela marchera mieux de police à police…

— Tu n’iras rien voir, coupa Adalbert. C’est moi qui m’en chargerai après avoir téléphoné de chez moi pour prendre rendez-vous ailleurs qu’au quai des Orfèvres. Tes petits copains de cette nuit t’ont interdit de mêler l’autorité à votre marché et je suis persuadé que tu es surveillé… Et à ce propos, si on en venait à ce que l’on t’a imposé ? Trois mois, ce n’est pas énorme, si l’on se réfère au temps qu’il nous a fallu pour chaque pierre du pectoral, sans parler des « Sorts Sacrés (7) ». On a quoi comme point de départ ?

— Un nom : la comtesse Eva Reichenberg qui, si elle s’agitait au Mexique à l’époque du malheureux couple impérial, ne doit plus être en très bon état, en admettant qu’elle soit encore de ce monde !

— Tu es gracieux, toi ! protesta Mme de Sommières. Je suis née en 1850, moi, et non seulement je suis encore là mais je n’ai pas l’impression d’être gâteuse !

— Pardon ! pria Aldo qui ne put s’empêcher de rire. Vous êtes tellement plus jeune que nous tous que l’on oublie votre âge ! Mais… j’y pense ! Est-ce que ce nom évoque un souvenir pour vous qui connaissez au moins la moitié de l’Armorial européen ?

— N… on ! Elle doit faire partie de l’autre moitié.

— À votre avis, est-ce allemand ou autrichien ?

— Si cette femme était amoureuse de l’archiduc Maximilien, on devrait pencher pour l’Autriche, hasarda Marie-Angéline. C’est le plus logique… et pourquoi ne pas le demander à Lisa ? Elle est aussi autrichienne que suisse !

— Faut-il que je sois perturbé pour ne pas y avoir pensé tout de suite ! Je cours lui téléphoner…

— Tu as vu l’heure qu’il est ? remarqua Adalbert en désignant la pendule qui marquait deux heures du matin…

— Je risque d’en avoir pour trois ou quatre heures d’attente…

Et il disparut en direction de la loge du concierge tandis que Marie-Angéline essayait de convaincre Mme de Sommières d’aller se coucher. Vainement :

— Qu’est-ce que vous voulez que j’aille faire dans mon lit quand nous sommes sur le pied de guerre ?

Aldo remonta au bout d’une demi-heure. Apparemment, les liaisons téléphoniques fonctionnaient mieux la nuit que le jour.

— Je n’ai patienté qu’un quart d’heure, fit-il avec satisfaction. Lisa vous embrasse tous.

— Nous n’en doutons pas un instant, rétorqua Tante Amélie. Mais à part ça, qu’est-ce qu’elle t’a dit ?

— Que le nom est autrichien, après quoi elle a ajouté : « Va voir Grand-Mère ! »

Cherchant dans sa poche son étui à cigarettes, les doigts d’Aldo se refermèrent sur un papier et il se souvint alors du message, prétendument de Vauxbrun, que l’inconnu lui avait jeté en disant qu’il aurait largement le temps de le lire plus tard. Fallait-il qu’il fût troublé par le rire qui avait clos leur entretien pour l’avoir oublié !

En fait, l’écriture était bien celle de Gilles. Quant au texte, il était à la fois court et sibyllin :

« J’ai commis une lourde faute et il est normal que je la paie. Si tu peux me sauver, fais-le mais, surtout, veille sur elle… ».

Le message se terminait par une traînée d’encre.

On avait dû le lui arracher pour l’empêcher d’en dire davantage.

— « Veille sur elle » ? lut Adalbert par-dessus l’épaule de son ami. Veut-il dire sa fiancée ?

— Et qui d’autre ? Pour ce que j’en sais, il n’a pas cessé un instant de penser à elle depuis qu’il l’a rencontrée. Ce qui voudrait dire qu’elle serait en danger ? Mais quel danger ?

— L’étonnant, c’est qu’on lui ait permis d’écrire, constata Adalbert en subtilisant la feuille de papier. Notre ami Langlois va avoir une autre énigme à résoudre. Les moyens dont il dispose lui permettront peut-être d’en tirer un complément d’information.

— C’est possible mais je n’y crois guère.

— Tu as tort ! Si tu veux le fond de ma pensée, j’ai peur que tu ne perdes ton temps. On ferait beaucoup mieux d’aider la police à retrouver Vauxbrun plutôt que courir derrière un joyau disparu sans doute depuis belle lurette.

Sous le sourcil froncé, l’œil d’Aldo vira au vert, ce qui était chez lui signe de mécontentement. C’était la première fois qu’Adalbert déclarait son désaccord et son intention de suivre un autre chemin que lui. Il en éprouvait une déception car il avait cru qu’ils pourraient aller ensemble à Vienne mais, finalement, c’était le droit absolu de l’égyptologue de porter une attention plus distraite au sort d’un homme qui n’était qu’une relation pour lui. Aldo savait depuis longtemps que les deux hommes n’éprouvaient pas une sympathie réciproque. Vidal-Pellicorne trouvait Vauxbrun trop infatué de sa personne et agaçant. Il est vrai que ce dernier, faisant allusion à Adalbert, l’appelait le plus souvent « l’archéologue cinglé » !

— Libre à toi de penser ce que tu veux ! dit-il. Même si je vais au-devant d’un échec et si ce semblant de piste ne mène à rien j’entends la suivre jusqu’au bout ! Ce serait vraiment trop bête !

Adalbert se mit à rire :

— Allons, ne fais pas cette tête ! Ne me dis pas que tu as besoin de moi pour aller voir Grand-Mère ? Et moi je serai peut-être plus utile ici…

5

UN CONDENSÉ DE HAINE

Un porteur sur les talons, Morosini se dirigeait vers la sortie de la gare quand une main gantée surgit du moutonnement des autres voyageurs en même temps qu’un cri :

— Aldo !… Je suis là !

— Lisa ?

C’était bien elle. Remontant le courant humain, elle lui tombait dans les bras l’instant suivant.

— Mais qu’est-ce que tu fais à Vienne ? Pourquoi ne m’avoir rien dit ?

— L’idée m’en est venue juste après avoir raccroché le téléphone ! Cela t’ennuie ?

— Idiote ! fit-il en la serrant contre lui, heureux de sentir sous ses lèvres la fraîcheur de sa peau, le parfum de ses cheveux qu’elle n’avait pas jugé utile de couvrir d’un chapeau et toute cette vitalité qui émanait d’elle.

— C’est la plus belle surprise que tu pouvais me faire, ajouta-t-il en glissant son bras sous le sien. Mais pourquoi être venue à la gare ? Il fait un temps affreux !

Une pluie rageuse crépitait sur les grandes verrières, dégouttant des chenaux en petits ruisseaux.

— Pour que tu viennes directement à la maison. Tu crois que j’ignore que, chaque fois que tu viens ici, tu te précipites dans l’hôtel équivoque de la bonne Mme Sacher ?

— Équivoque ! fit-il, scandalisé. Une maison de cette qualité ?

— Où les archiducs venaient jadis faire la noce avec les belles Tsiganes ! Il n’y a plus tellement d’archiducs en circulation, mais ils sont remplacés par les messieurs riches et les innocents voyageurs épris de couleur locale et désireux de s’offrir le menu de Rodolphe avant Mayerling… En plus, les Tsiganes sont toujours là ! Remarque, cela n’enlève rien à l’excellence de ce qui est toujours le meilleur hôtel de Vienne et de ses productions !