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— On ne vous en demande pas tant ! Le collier n’est plus au Mexique. J’en ai la certitude !

— Comment l’avez-vous obtenue ?

— Cela ne vous regarde pas ! Faites ce que l’on vous dit…

— J’ai encore une question à poser !

— La dernière, alors !

— Vous m’avez dit que Gilles Vauxbrun avait été abusé par un faux grossier. Y a-t-il une copie du collier ?

— Oui. Après la mort de Don Alessandro, son fils, Don Enrique, par respect pour sa mémoire et pour sa famille qui n’a jamais voulu admettre le suicide et croyait à un meurtre, l’a fait exécuter avec de fausses pierres par un ciseleur qui n’a pas vécu assez longtemps pour en garder le souvenir. Grâce à cela, quand son fils, Don Pedro, a dû fuir le Mexique avec les siens, les femmes, Doña Luisa et Doña Isabel, ont eu le réconfort de croire que le trésor familial fuyait avec elles.

— Si tout le monde y croyait, pourquoi émigrer ?

— Les domaines seigneuriaux ont été récupérés par le pouvoir en place. S’y est ajouté, pour Don Pedro, un avis mystérieux : s’il voulait éviter d’être assassiné avec sa famille, il fallait qu’il parte et qu’il s’arrange pour remettre la main sur les émeraudes. À ce prix-là seulement, il pourrait revenir au pays et même rentrer en possession de ses terres et de sa fortune.

— Autrement dit, quelqu’un savait. Quelqu’un d’assez puissant pour lui faire peur. Cela paraît difficile à croire quand on voit le personnage ?

— Il n’a pas peur pour lui-même. De toute façon, ce n’est pas votre affaire et nous en resterons là pour ce soir. Il est temps de vous mettre au travail… en gardant bien présent à l’esprit l’enjeu du marché : la vie de ce redoutable imbécile qui s’est pris pour le prince charmant. J’ajoute qu’il serait bon de vous hâter. Outre que les conditions de sa captivité pourraient se détériorer si vous tardez trop…

— Quel délai m’accordez-vous ?

— Disons… trois mois. Au-delà, il faudrait peut-être envisager d’autres moyens de stimuler votre zèle ! Partez maintenant ! On va vous ramener en ville. Ah, j’allais oublier ! Lorsque vous aurez l’objet, il vous suffira de passer une annonce dans Le Figaroet dans Le Matin,disant : « L’enfant prodigue est de retour. Tout est en ordre ! »

— Vous avez de l’ordre une curieuse conception !

Avec un haussement d’épaules fataliste, Morosini reprenait le chemin de la voiture quand il entendit soudain un bruit qui lui glaça le sang. Ce n’était pourtant qu’un petit rire, mais bizarre, grinçant, cruel… un rire qu’il croyait enfoui dans les limbes où l’on entasse les pires souvenirs. Il se retourna mais un canon de pistolet rencontra son dos :

— On avance ! intima l’un des hommes. Et on ne regarde pas en arrière !

Ne pas regarder en arrière, c’était justement le plus difficile, parce qu’Aldo prenait conscience que son gardien avait dû voir le jour quelque part dans le Bronx ou à Brooklyn et que son accent renforçait l’impression que le temps revenait où il avait vécu cette situation…

Néanmoins, il se remit en marche et grimpa dans le véhicule qui démarra aussitôt. Peu après, on le larguait sans trop de douceur en plein milieu de la porte Maillot ! Il ne lui restait plus qu’à prendre un taxi…

— Tu as rêvé ! conclut Adalbert, après avoir fait disparaître sa quatrième tasse de café.

Il était arrivé deux heures plus tôt rue Alfred-de-Vigny, appelé en urgence par Marie-Angéline, et depuis n’avait pas cessé de faire l’ours en cage, monologuant, envoyant au diable l’Académie des inscriptions et se reprochant ce qu’il considérait comme un abandon de poste devant l’ennemi. Tant et si bien que Mme de Sommières, agacée, avait fini par lui ordonner de s’asseoir et lui avait fait servir un « en-cas » dans l’espoir de l’occuper un moment.

— Au moins, pendant que vous mangerez, vous ne proférerez pas de sottises !

— Sottises ? Quand je dis…

— Ne recommencez pas ! Dites-nous plutôt ce que vous auriez pu faire si vous aviez été présent quand Aldo a reçu le billet ? Vous auriez couru derrière la voiture ?

— Et j’ai fait, moi, tout ce qui était possible : j’ai relevé le numéro, affirma Plan-Crépin.

— Comme il est sûrement faux, nous ne sommes guère avancés ! Je ne comprends pas pourquoi Langlois ne fait pas surveiller cette maison vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Il sait pourtant qu’Aldo est en première ligne dans cette histoire vaseuse ?

— Essayez de lui faire confiance, il connaît son métier !

L’arrivée de la table roulante supportant un souper froid avait généré un bienheureux silence. Même dans les pires circonstances, l’appétit de l’archéologue ne connaissait pas de morte-saison. Il attaquait la tarte aux poires et les deux femmes commençaient à se demander ce que l’on pourrait lui servir en supplément pour le faire tenir tranquille, quand Aldo reparut, salué par un triple soupir de soulagement assorti d’un triple : « Alors ? »

— J’ai trois mois pour sauver Vauxbrun en retrouvant un joyau dont personne ne sait où il a pu passer depuis le siècle dernier ! lâcha Aldo en se laissant tomber dans un fauteuil. Et si vous voulez le savoir, je me demande si je ne suis pas en train de devenir fou !

— On a déjà récupéré des pierres envolées depuis plus longtemps que ça et tu n’y as jamais laissé ta raison. Moi non plus, dit Adalbert en lui tendant un verre de vin qu’il avala d’un trait. Raconte !

Ils écoutèrent en silence et ce fut seulement quand il eut mentionné le rire de celui que l’on pouvait considérer comme le chef de bande qu’Adalbert réagit, un peu trop vite peut-être, en disant qu’il avait rêvé.

— Non. Devrais-je vivre cent ans que je ne pourrais oublier ce rire… de hyène. Par trois fois, jadis, je l’ai entendu, et ce soir c’était la quatrième. J’en suis persuadé ! Il ne peut pas en exister deux semblables sur terre ! Et si tu ajoutes l’accent de mon escorteur… Je me suis cru revenu dans cette villa du Vésinet il y a des années… Ou encore dans le parc Monceau.

Adalbert fronça les sourcils. Soudain grave, il vint vers Aldo et le prit aux épaules :

— Je répète : tu es en train de faire un cauchemar, c’est entendu, mais n’y participent que des vivants. Pas des morts, et il n’y a plus de Solmanski vivants à la surface du globe terrestre (5). Souviens-toi, bon Dieu ! Le père a sauté à Varsovie avec la chapelle souterraine, la fille est morte comme tu sais et quant au fils, cette petite ordure de Sigismond, c’est toi qui l’as abattu d’une balle en plein crâne ! Il faut te réveiller !

Aldo passa sur sa figure une main qui tremblait :

— Je sais tout cela. Ma raison ne cesse de me le répéter. Pourtant ce rire…

— … appartient à un autre. Peut-être aussi fêlé que l’original, mais il faut que tu te sortes de la tête l’idée que, doté comme les chats de plusieurs vies, le jeune Solmanski a obtenu de Satan, son maître, la faveur de revenir faire un tour chez les vivants dans le seul but de te pourrir l’existence ! Il est comment, ce type ?

— Même taille, même silhouette… mais je n’ai vu qu’une ombre.

— La voix ?

— Froide, jeune, métallique… le même registre à peu près mais avec un fort accent espagnol ou sud-américain... Il y manquait seulement la couleur et, tandis qu’il parlait, j’avais l’impression bizarre mais tenace qu’il récitait un texte appris par cœur. Par moments, l’accent faiblissait mais pour revenir avec plus de force. Enfin, en me ramenant à la voiture, le chauffeur a dit quelques mots en français mais je jurerais que celui-là a vu le jour dans un faubourg de New York ou de Chicago ! Tante Amélie, je boirais volontiers une autre tasse de café.

— Tu es assez énervé comme ça ! Cela dit, il me vient une idée. As-tu gardé une relation quelconque avec ce chef de la police métropolitaine de New York chez qui t’avait envoyé ton ami de Scotland Yard (6) ?

— Phil Anderson ? Ma foi, non…