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— C’est une bonne chose sans doute, riposta celui-ci, mais l’essentiel, pour moi, c’est de retrouver Vauxbrun… et en bon état, si faire se peut. Ce dont je commence à douter…

Il en douta plus encore quand, deux jours plus tard, les gendarmes de Fontainebleau retrouvèrent, dans la forêt, la Delahaye de louage qui était censée conduire Gilles Vauxbrun à l’église Sainte-Clotilde. Elle était vide, à l’exception du chauffeur demeuré sur son siège… où il avait brûlé avec le reste…

3

DE L’ART DIFFICILE D’INVESTIR

UNE PLACE FORTE

Marie-Angéline s’en voulait. Quel besoin avait-elle eu l’autre soir de prendre plus ou moins fait et cause pour les Mexicains en laissant échapper ce « charmant » que l’on n’avait pas manqué de juger incongru ? Était-ce sa faute à elle si, durant l’horrible séance à Sainte-Clotilde, le cousin de la mariée lui avait adressé un si beau sourire qu’elle n’avait pu s’empêcher de le lui rendre ? Il fallait tout de même se mettre à sa place – et surtout à celle des siens ! – pour admettre que Vauxbrun, en ne se présentant pas à l’église, les avait placés dans une situation impossible et qu’il était normal que des gens convenablement soucieux de leur honneur apprécient peu la situation qu’on leur imposait. Naturellement portée par sa foi chrétienne et par ses traditions familiales à prendre la défense du pot de terre contre le pot de fer, du plus faible contre le plus fort, voire du bandit d’honneur contre le gendarme, elle n’avait pas admis l’attitude immédiatement hostile de sa « famille ».

C’est ce qu’elle avait fait entendre à Mme de Sommières dès son retour de la messe le lendemain matin. Sans aller jusqu’à présenter des excuses, ce qui eût été excessif. Simplement elle tentait d’exposer son point de vue quand, l’œil vert de la marquise passant au-dessus de la tasse de chocolat, elle avait entendu :

— Je ne vous savais pas si sensible au charme mexicain ?

Elle s’était alors lancée dans ce qu’elle pensait être une explication rationnelle, assez vite interrompue par :

— Tout ça c’est très bien, mais répondez à une question : les auriez-vous trouvés tellement sympathiques si le fiancé disparu avait été Aldo ou Adalbert ? Même si, l’an passé, vous avez ramé tous les deux dans la galère de Trianon, je ne crois pas que vous hébergiez Gilles Vauxbrun dans les replis les plus profonds de votre cœur virginal ?

Devenue ponceau, elle avait répondu honnêtement :

— C’est sans commune mesure ! J’aime… bien Vauxbrun mais c’est tout. Je continue à lui en vouloir un peu d’avoir fait venir d’Amérique la belle et dangereuse Mrs Belmont sous le prétexte d’exposer ses sculptures, mettant ainsi en péril le bonheur de Lisa.

— Vous avez pu constater que Lisa s’en est tirée avec les honneurs de la guerre.

— Grâce à nous, n’est-ce pas ? Je nous ai toujours soupçonnée de lui avoir écrit une de ces lettres dont nous avons le secret et qui disent tant de choses sans en avoir l’air. Quelle ambassadrice nous aurions fait !

— Il aurait fallu pour cela que mon cher époux eût la bosse diplomatique. Ce qui n’était pas le cas ! Mais nous voilà fort loin de notre point de départ et, en ce qui concerne ce dont nous parlions, je pense que le mieux est d’en rester là ?

On avait, en effet, changé de sujet de conversation et personne dans la maison n’en avait rêvé, mais voyant Aldo s’assombrir d’heure en heure à mesure que passait le temps, Plan-Crépin avait senti quelque regret de ce qu’elle avait dit et, maintenant, après la découverte de la voiture incendiée avec son malheureux chauffeur, elle s’en voulait franchement. Même si elle ne parvenait pas à comprendre ce que le « charmant » Don Miguel avait à voir là-dedans. Le chiendent était que l’on ne savait rien de ce qui se passait dans l’hôtel de la rue de Lille. Surtout depuis qu’Aldo avait si magistralement boxé Don Pedro. Celui-là, elle consentait à l’abandonner à la vindicte familiale : il avait une tête de dictateur et se conduisait en conséquence.

Dans son appétit d’avoir toujours une information d’avance, la demoiselle caressa un instant l’idée d’aller tester la messe de six heures à Sainte-Clotilde, mais c’était vraiment trop loin ! En outre, avant d’y retrouver un service de renseignement comparable à celui qu’elle s’était créé à Saint-Augustin, il faudrait du temps. Incroyable ce que l’on pouvait apprendre quand on était connue – donc acceptée et même favorisée grâce à son nom aristocratique – dans le petit monde des concierges, gens de maison ou vieilles dévotes n’ayant rien d’autre à faire que regarder autour d’elles, écouter et parfois tirer des déductions intéressantes. Ainsi, eût-elle eu besoin de savoir ce qui se passait chez la princesse Murat, la baronne de Lassus-Saint-Geniès ou la princesse de Broglie que c’eût été la chose du monde la plus facile parce qu’elles habitaient le quartier, mais de l’autre côté de la Seine. Autant dire au bout de la terre !

Elle y réfléchissait encore en entrant dans l’église au lendemain de son échange de vues avec la marquise quand elle fut rejointe – la messe n’était pas encore commencée – par l’imposante Eugénie Guenon, qui régnait sur les cuisines de la princesse Damiani. Toutes deux s’installèrent sur des prie-Dieu voisins, se signèrent, marmonnèrent une courte prière puis Eugénie chuchota :

— Eh bien, dites donc, il s’en passe des choses dans votre famille !

— Distinguons ! Il ne s’agit pas directement des miens. M. Vauxbrun est seulement un ami proche de mon cousin Morosini, témoin à son mariage. Il n’en demeure pas moins qu’il est très atteint par cette histoire et nous avec, par la force des choses !

— Il paraît que la belle-famille s’est installée chez le disparu aussitôt après l’épisode de Sainte-Clotilde ?

— Absolument. Le mariage civil ayant eu lieu, ils estiment que c’est leur droit. Il semble qu’ils auraient raison, mais chez nous on ne peut s’empêcher de trouver le procédé cavalier. En ce qui me concerne, je ne partage pas entièrement ce point de vue…

— Ah non ? Pourquoi ?

— Parce que j’essaie de me mettre à la place de cette jeune fille abandonnée devant l’autel ! En outre, je n’ai pas le sentiment que les siens roulent sur l’or.

— Vous devriez le savoir pourtant ? Il a dû y avoir un contrat ?

— Non. Tout s’est passé très simplement et M. Vauxbrun avait choisi la communauté. Sans doute afin de préserver la fierté de sa fiancée…

— C’est délicat ! Mais ce qui l’est moins, c’est l’attitude de ces gens pour qui vous avez tant d’indulgence. On dit qu’ils se comportent comme en pays conquis dans la maison de ce pauvre monsieur !

Marie-Angéline tourna vers sa voisine un regard surpris :

— Comment le savez-vous ?

Le cordon-bleu de la princesse dégusta la question avec gourmandise :

— L’ambassade d’Espagne est voisine de l’hôtel particulier et mon neveu y est valet de pied. Comme l’ambassadeur est absent et qu’il n’a pas grand-chose à faire, il observe volontiers ce qui se passe chez les voisins. Alors maintenant qu’il y a un disparu, vous pensez s’il ouvre les yeux et les oreilles !

— Et alors ?

La clochette de l’enfant de chœur précédant le prêtre qui montait à l’autel arrêta la réponse au bord des lèvres d’Eugénie. Les deux commères durent se relever et prendre leur part des « répons » liturgiques. Cela dura ainsi jusqu’à l’Évangile, après lequel le célébrant prononçait une brève allocution. On s’assit pour l’écouter. Marie-Angéline en profita :

— Et alors ? reprit-elle.

— Eh bien, hier, Gaston – mon neveu –, en allant chez le boulanger chercher des croissants, a rencontré Berthe, la cuisinière de M. Vauxbrun, qui venait acheter les siens. Il paraît que Servon, le maître d’hôtel, a donné sa démission et qu’il est parti. Elle en avait les larmes aux yeux et mon neveu n’a pas eu besoin de la forcer pour qu’elle se confie. Il lui a dit qu’il ne reviendrait qu’au retour de son maître parce qu’il ne voulait pas être tenu pour responsable de ce qui se passait. Paraîtrait que des choses ont disparu…