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« De toute façon, on parle pour ne rien dire. La seule stratégie à notre portée est d’attendre la suite de l’enquête ! Grâce à Dieu, Langlois est un bon flic et le dénommé Lecoq m’a l’air de se débrouiller pas trop mal. »

Il était parti là-dessus mais, au réveil, le problème retrouvait son acuité. La lecture des journaux ne lui en apprit pas davantage. Le Matin, sous la plume remarquablement discrète de Jacques Mathieu, se contentait de relater le mariage inachevé et de poser la question de ce qu’avait pu devenir le fiancé. Le ton restait léger, à cent lieues d’un drame éventuel. Idempour Le Figaroet pour Excelsior ; et Aldo remercia le Ciel de cette retenue inhabituelle dont faisait preuve la presse parisienne. À moins que l’on ne retrouve rapidement Vauxbrun, cela ne durerait pas…

Il abordait l’idée d’un entretien avec le notaire de l’antiquaire quand un planton du quai des Orfèvres vint lui délivrer une invitation à se rendre chez le commissaire divisionnaire Langlois à 15 heures précises.

— Ça me paraît bien solennel, commenta Tante Amélie. Moi, je dirais que c’est une convocation.

— Sans doute, mais l’important est que Langlois ait du nouveau. Je ne le ferai pas attendre.

À l’heure dite, on l’introduisait dans le bureau du policier alors occupé à signer les documents qu’on lui présentait. Il leva la tête à l’entrée de son visiteur et, sans sourire, lui désigna l’une des deux chaises placées en face de lui. Sensible aux atmosphères, Morosini retint une grimace. Celle qui régnait dans cette pièce était sinistre, en dépit de l’attendrissant bouquet d’anémones qui s’épanouissait dans un ravissant petit vase de chez Lalique posé sur le bureau. En raison du jour gris, une grosse lampe éclairait les mains soignées du commissaire mais son abat-jour d’opaline vert pomme ne déversait qu’une lumière froide. L’attente fut brève. Une ou deux minutes, avant que le secrétaire ne remporte le parapheur, avaient suffi pour que Morosini constate que le visage de Langlois était en accord parfait avec le climat ambiant. Aussi prit-il l’initiative de demander, dès que les yeux gris se relevèrent sur lui :

— Auriez-vous des nouvelles, commissaire ?

— Oui… et je doute qu’elles vous plairont !

Une boule se noua dans la gorge d’Aldo qui se sentit pâlir :

— Vous n’essayez pas de me dire que…

Il fut incapable d’aller plus loin.

— Non, à cette heure on ne sait toujours pas où a pu passer M. Vauxbrun. Peut-être est-il déjà loin, si ce que j’ai appris se confirme.

— Et qu’avez-vous appris ?

— Cela tient en peu de mots. Don Pedro Olmedo porte plainte contre Gilles Vauxbrun. Pour vol !

Déjà Morosini était debout :

— J’ai mal entendu ?

— Non. Vous avez fort bien entendu. Il est accusé de s’être emparé d’un joyau inestimable qui est dans la famille Vargas y Villahermosa depuis des siècles.

Suffoqué, Aldo chercha sa respiration :

— Un… joyau ? Gilles Vauxbrun ? Mais les bijoux ne l’ont jamais intéressé ! Vous me diriez un clavecin ayant appartenu à la du Barry ou les boîtes à courrier du Cabinet noir de Louis XV, cela pourrait avoir une ombre de vérité, encore que Gilles soit d’une scrupuleuse honnêteté et ne se soit jamais rien approprié sans l’avoir d’abord payé ! Mais, sacrebleu, commissaire ! C’est un homme d’honneur et un expert du XVIIIe siècle ! Sa maison de la place Vendôme est connue du monde entier… et je croyais que vous le saviez ? C’est moi le spécialiste en joyaux, pas lui !

— Mais je ne l’oublie pas. Don Pedro non plus, d’ailleurs… Allons, calmez-vous ! ajouta-t-il en voyant son visiteur blanchir de colère. Et essayez de comprendre ! Dès l’instant où je reçois une plainte, contre qui que ce soit, fût-ce mon frère ou un mien cousin, je suis obligé d’enquêter ! Eh bien, où allez-vous ?

— Rue de Lille ! Pour demander des explications à ce rastaquouère et lui donner mon point de vue sur la question !

Il fonçait vers la porte. Langlois l’arrêta net :

— Vous ne l’y trouverez pas !

— Qu’en savez-vous ?

— Il est ici… Sachant comment vous réagiriez, j’ai choisi de vous mettre face à face devant moi…

— Si vous aimez la boxe, vous allez être servi !

— Pour l’amour de Dieu, essayez d’être un peu raisonnable ! Je veux pouvoir analyser les étincelles de cette rencontre mais il m’est nécessaire que vous gardiez votre sang-froid. C’est important pour moi. Me donnez-vous votre parole ?

Le ton s’était adouci jusqu’à la note amicale.

— Vous l’avez, répondit Aldo, avec un sourire contraint. J’ai cru un moment que vous aviez disparu pour faire place à votre ami Lemercier (3) !

— N’exagérons pas. Revenez vous asseoir !

— Non. Je suis plus grand que lui. C’est un avantage que je tiens à garder.

Il alla s’adosser à une bibliothèque vitrée proche de la table de travail, alluma une cigarette et attendit tandis que Langlois appuyait sur un timbre. Quelques secondes plus tard, Don Pedro Olmedo était introduit.

Il eut un haut-le-corps en découvrant, juste en face de lui, Morosini, mais ne dit rien et fit comme s’il ne l’avait pas vu. Langlois s’était levé pour l’accueillir et désigna l’un des chaises :

— Merci d’être venu, Don Pedro. Veuillez prendre place !

Quand ce fut fait, le commissaire reprit :

— Si je vous ai demandé de venir, c’est afin que vous puissiez répéter devant le prince Morosini ici présent (celui-ci salua d’une brève inclinaison du buste qu’on lui retourna !) le récit que vous m’avez fait au sujet de…

— Ne tournez pas autour du pot, Monsieur le commissaire ! J’accuse ce misérable Gilles Vauxbrun d’avoir volé notre trésor familial dans ma chambre de l’hôtel Ritz tandis que nous l’attendions à l’église Sainte-Clotilde.

Aldo haussa les épaules :

— Vous m’avez vraiment dérangé pour entendre pareille sottise, Monsieur le commissaire ? C’est bien chez vous pourtant que l’on m’a appris l’enlèvement de Vauxbrun tandis que sa voiture était engagée dans la rue de Poitiers ?

Langlois n’eut pas le loisir d’ouvrir la bouche. Le Mexicain, ses moustaches retroussées sur un rictus de dédain, lâchait :

— Enlèvement truqué ! Au lieu de se rendre à l’église, les complices de cet homme l’ont conduit au Ritz où, sous le prétexte d’un oubli de sa fiancée, il est monté à notre appartement. Il s’y est introduit, a volé le joyau et est reparti vers… on ne sait quelle destination inconnue…

Sans plus s’occuper de l’accusateur, Morosini regarda Langlois :

— C’est une histoire de fous ! Dites-moi que je rêve !

— Malheureusement non. On a vu M. Vauxbrun à l’heure indiquée.

— Qui on ? Il y est connu comme le loup blanc ; son magasin est à côté et il fréquente le Ritz, son bar et ses restaurants depuis des années.

— Je sais. Pourtant il a été reconnu par l’un des réceptionnistes à qui il a même fait un signe et par une femme de chambre. Il était en jaquette, un œillet blanc à la boutonnière, et portait son haut-de-forme…

— Je connais tout le personnel et vous ne vous étonnerez pas si je vais lui poser des questions. Encore une fois, rien n’a de sens dans cette histoire ! Follement épris de sa fiancée qu’il a épousée civilement à la mairie du VIIe arrondissement, voilà que le lendemain matin, au lieu d’aller faire sanctifier son mariage, il se fait « enlever » – par qui ? Je serais heureux de le savoir. Mon ami Vauxbrun, n’ayant rien d’un chef de bande, file au Ritz dans le but de dépouiller la famille de sa bien-aimée puis disparaît dans la nature, renonçant non seulement à la bénédiction nuptiale mais surtout à la nuit de noces…

— Vous devenez vulgaire, Monsieur, fit Olmedo.

Morosini darda sur lui un regard devenu vert de fureur contenue :

— Pas de cuistrerie, s’il vous plaît ! Quand un couple s’unit devant Dieu sans doute mais aussi devant deux cents personnes, il ne viendrait à l’idée d’aucune de ces personnes d’imaginer que, la nuit suivante, le couple en question a l’intention de s’en tenir là et de vivre comme frère et sœur. Ce n’est pas le style de Vauxbrun : il est fou de Doña Isabel ! Au point d’être en extase devant elle !