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— Et on va se retrouver à la suite ! Ce dont Langlois ne voulait pas.

— Ce que tu peux être assommant quand tu n’as pas assez dormi ! Non, monsieur, on ne va pas prendre la suite ! Je vais même te dire mieux : on sera à Zurich avant tout le monde !

— Oh ?

— J’explique ! Nos pèlerins vont suivre les routes nationales jusqu’au bout. Nous, seulement jusqu’à Nogent-sur-Seine. Puis je vais t’emmener visiter la France profonde. J’entends par là le réseau des routes départementales, nettement moins encombrées que les voies à grande circulation quelquefois mieux entretenues et si tu y ajoutes que nous éviterons Troyes et Chaumont où ils vont perdre pas mal de temps parce que nous sommes vendredi et que c’est jour de marché, c’est gagné ! On évitera même celui de Langres parce qu’on ne rejoindra la N19 qu’au-delà ! À Vesoul on s’offrira le luxe de les regarder passer en cassant une petite croûte !

— Et l’essence ?

— J’en ai un bidon dans le coffre. D’ailleurs rares sont les villages où il n’y a pas un garagiste ou une pompe… et je te rappelle qu’eux aussi en auront besoin ! Tu as compris ?

— Je crois ! Tu parais si sûr de toi !

— Tu sais, fit Adalbert redevenu sérieux en démarrant, la France, moi, je la connais par cœur parce que j’ai pris la peine de la découvrir dans toute sa beauté ! Il n’existe pas une route, si minime soit-elle, que je n’ai parcourue et je pourrais presque ajouter les chemins creux ! Alors on ne risque pas de se perdre !

— Autrement dit : je ne pourrai pas te relayer ? soupira Aldo déçu et triste.

— Si, à partir de la frontière ! En attendant tu peux consulter la carte qui est dans la boîte à gants… et quand le moment idoine viendra, nous servir du café que Romuald a mis dans la Thermos !

On quitta le bois de Vincennes pour aller traverser la Marne dans la douceur dorée d’une aurore qui s’annonçait glorieuse. La météo avait prévu qu’il ferait beau et que la température serait idéale. Vitres baissées, un bras sur la portière, Adalbert conduisait tout en chantonnant… Moins détendu que lui, Aldo admirait sa décontraction. Apprendre que son vieux Guy était lui aussi aux mains de ces truands sans scrupules l’avait bouleversé en lui donnant des envies de meurtre. La guerre plus quatre années de quasi-misère avaient fragilisé cet homme charmant auquel toute la famille était attachée et en qui lui-même voyait un second père. Alors la pensée qu’on pût le maltraiter d’une façon ou d’une autre lui faisait voir rouge !

— Tu fumes trop ! reprocha Adalbert qui l’observait du coin de l’œil quand la route le lui permettait et en le voyant allumer une nouvelle cigarette après les quatre ou cinq précédentes. Si tu te démolis les poumons cela ne sera d’aucun secours pour Guy et ta main risque de trembler s’il faut en venir aux armes. De toute façon, il ne craint rien tant qu’on ne t’aura pas mis le marché en main. En revanche, je me demande depuis un moment ce qui se passerait si les douaniers arraisonnaient Grindel et son sac de joyaux ! Comment réagira Gandia s’il ne le voit pas venir ? Cette idée de la police te paraît-elle si bonne ?

— On le saura seulement demain soir ! Abondance de précautions n’est pas forcément la meilleure solution ! À ce propos d’ailleurs je m’interroge sur le bien-fondé de notre visite chez Lancel… en dehors du fait que tu te sois offert un petit cadeau ! Je ne vois guère d’occasions de procéder à l’échange.

— Ça, c’est l’avenir qui nous le dira ! Où Grindel va-t-il aller coucher la nuit prochaine ? Ni au Baur ni chez lui ! Étant donné qu’il a faussé compagnie à la police, son appartement doit être sous scellés, mais Zurich, c’est sa ville : il la connaît comme sa poche, elle et ses alentours ! Il doit bien y posséder au moins une position de repli ! Et pourquoi pas à l’auberge de Kilchberg ?

— Tu ne crois pas que ça fait suffisamment de points d’interrogation pour aujourd’hui ? Qui vivra verra ! Et jusqu’ici on ne s’est pas débrouillés si mal sur le plan de l’improvisation ! conclut Aldo en jetant son mégot par la fenêtre.

L’itinéraire d’Adalbert s’avéra efficace. Le réseau routier français était parfaitement entretenu et les départementales, moins larges que les nationales sans doute mais moins encombrées, permettaient souvent d’aller plus vite. Ce dont le brillant conducteur ne se priva pas… sauf quand le képi d’un gendarme se silhouettait à l’horizon. Toujours est-il qu’à treize heures on arrivait à Bâle, ville frontière, après ne s’être arrêtés qu’une fois pour faire le plein et avaler un sandwich jambon-beurre avec un verre de beaujolais à l’auberge voisine de la pompe…

La douane passée sans problèmes, on se gara dans le parc de stationnement pour finir le café de la Thermos tout en surveillant les voitures qui franchissaient les barrières.

— Je parierais qu’on a une heure d’avance ! Si ce n’est pas deux au cas où ils auraient jugé utile de déjeuner quelque part.

— Et s’ils nous ont devancés ? On fait quoi ?

— C’est impossible, assena Adalbert péremptoire.

Une heure plus tard exactement, la Citroën grise défilait devant eux, ce qui leur permit de constater que, si Mathias Schurr avait conservé son aspect initial, le visage de Gaspard s’ornait à présent d’une paire de moustaches et d’une courte barbe.

— On dirait qu’ils sont passés sans anicroches, remarqua Aldo.

— Je n’ai jamais eu grande confiance dans ces bélinos (12) qu’on expédie parfois sur de longues distances ! Ils sont le plus souvent d’un noir affligeant ! Tu veux conduire ?

— Avec plaisir ! Ça me réveillera !

Et on repartit, n’ayant pas jugé utile d’attendre le passage du jeune policier puisqu’il savait où les rejoindre. Mieux valait essayer de savoir quel allait être le point de chute de Grindel.

Les quatre-vingt-cinq kilomètres séparant la ville sur le Rhin de celle sur le lac furent sans histoire et Aldo connaissait suffisamment Zurich pour espérer découvrir la destination des deux frères. Mais, la chance estimant sans doute avoir droit à un peu de repos, en plein milieu de la ville deux camions trop pressés se rentrèrent dedans juste devant le nez de la Renault et sans le brutal coup de frein d’Aldo la voiture se joignait au fracas.

— M… ! lâcha-t-il furieux tandis qu’Adalbert éclatait de rire.

— On dirait qu’ils fonctionnent les réflexes !

— Et ça te fait rigoler ? On en a pour un bout de temps à sortir de là ! Et on n’a aucune chance de retrouver les autres !

Ce fut, en effet, une belle pagaille en dépit de l’amour de l’ordre et du sens de l’organisation des Suisses. On ne pouvait plus avancer ni reculer et quand, enfin, on arriva devant le voiturier du Baur-au-Lac, près de trois heures s’étaient écoulées.

— Eh bien, voilà ! C’est cuit pour aujourd’hui ! commenta Adalbert en filant vers le bar. On ira en repérage demain matin ! Pour l’instant repos ! Sauvageol ne devrait plus tarder.

Malheureusement, le temps s’écoula sans amener le jeune inspecteur. Peu à peu l’inquiétude s’installa, effaçant toute la détente que les deux amis espéraient de cette veillée d’armes dans la grande maison au bord du lac vouée tout entière au confort et à l’agrément.

Un aussi long silence ne s’expliquait pas sinon par un accident peut-être grave. Sauvageol ayant les coordonnées de l’hôtel, en cas de pépin mécanique, il pouvait les prévenir.

— … à moins d’être coincé en rase campagne, loin de tout, et que la voiture soit inutilisable ! soupira Adalbert. Mais, bon sang, il passe du monde sur une nationale même s’il n’y a pas un village tous les kilomètres ! Ou alors…

— Il faut qu’il soit blessé ? compléta Aldo, qui décida aussitôt : Je vais demander la P.J. au téléphone. Il a des papiers sur lui et, au cas où il serait hospitalisé, c’est elle que l’on préviendrait en priorité !

Mais quand, enfin, on eut Paris on n’en apprit pas davantage : il était minuit, Langlois n’était plus là et aucun message n’était arrivé. Il ne restait rien d’autre à faire qu’à aller se coucher.