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«Ça va? demanda-t-elle en arrivant.

– Très bien. Et toi?

– Oui. Mais j’ai disputé avec Sylvain. Il ne veut pas m’acheter un malheureux galure de quarante balles.

– Si t’étais plus gentille, tu ne l’attendrais pas longtemps.

– Tu dis toujours des bêtises.

– Alors, c’est pas encore pour aujourd’hui?

– Pas encore.

– Et cependant, j’apportais du nouveau, moi.

– Quoi?

– J’ai trouvé pourquoi Sylvain a lâché le métier.

– Pourquoi?

– Il a une gonzesse.

– T’es fou?

– Je te dis qu’il a une gonzesse! Et quelque chose de bien! Tout jeune, tout frais, du poulet, quoi!

– Où?

– En Belgique. Et ça chauffe joliment, tu sais, ma vieille. Tu saurais bien être plaquée, un de ces jours.»

La rage décomposa les traits de Germaine.

«Tu l’as vue?

– Comme je te vois. Ils parlent de vertu, d’honnêteté. Il est retourné comme un gant. Tu te feras rouler, si ça continue. Tu vois que t’as bien tort de te gêner pour lui.»

Germaine n’avait pas douté une minute. Les dires de Lourges confirmaient trop bien ses propres soupçons. Il y avait mille indices à quoi une femme ne se trompe pas, et qu’elle avait remarqués depuis longtemps. Sylvain ne buvait plus, ne jouait plus. Il devenait d’une économie que Germaine qualifiait d’avarice. Il paraissait changé. Lui si sensuel autrefois, si faible devant la tentation de la chair, il était devenu plus froid. Il négligeait Germaine, il semblait parfois que le contact de cette femme qu’il avait aimée lui causât une sorte de répugnance.

À côté, des indices plus vagues revenaient à la mémoire de Germaine. Sylvain n’était plus jaloux comme jadis. Et il semblait devenu plus gamin, il en arrivait à s’égayer pour des enfantillages. Ou bien il s’attendrissait inexplicablement. Il ne riait plus comme autrefois, d’un ricanement confus, à bouche close. Il riait ouvertement, maintenant, à belles dents, plus franchement, comme sans arrière-pensée. Littéralement, il paraissait rajeuni.

«Alors, demanda Lourges, ça te décide, ça? C’est pour aujourd’hui?»

Germaine haussa les épaules. C’était bien le moment de penser à ça.

«Tu sais où elle reste? interrogea-t-elle.

– Oui.

– Bon. Tu m’y conduiras. Je saurai bien si c’est vrai.

– Et si c’est vrai?

– On verra.»

Ce samedi-là, comme d’habitude, Sylvain était allé à Furnes. Il revint assez tard dans la soirée, et, en rentrant, il ne vit pas Germaine dans la maison. Sans s’inquiéter, croyant qu’elle était partie chez une voisine, comme elle aimait le faire à l’occasion, il alla se coucher.

Germaine ne rentra que peu avant minuit. Elle ne répondit pas à la question que lui posait Sylvain, mal réveillé d’un premier sommeil. Sylvain, d’ailleurs, se rendormit aussitôt.

Le lendemain, à son lever, il descendit dans la cuisine. Germaine y était déjà. C’était inaccoutumé. D’ordinaire, elle aimait faire la grasse matinée, surtout le dimanche.

«Déjà levée? demanda Sylvain. Tu n’es pas malade?»

Germaine ne répondit rien.

«Qu’est-ce qu’il y a de nouveau, encore une fois?

– Beaucoup d’affaires.»

L’air singulier de Germaine alarma Sylvain.

«Où que t’es allé, hier? continua Germaine.

– Me promener.

– Par où?

– Par où ça me plaisait.

– Ça t’embêterait bien, de devoir me répondre, hein?

– Moi?

– Oui. Mais c’est pas la peine, va! Je peux te le dire, moi, où t’es allé. T’es allé voir ta belle, à Furnes.»

Sylvain pâlit horriblement. Il lui sembla que son cœur se glaçait dans sa poitrine. Il voulut parler. Il ne trouva pas un mot. Rien en lui n’obéissait plus à son cerveau désemparé.

«Ah! ah! ça t’en bouche une surface, hein? ricana Germaine. Je sais ton petit compte, garçon. J’ai été voir là-bas, hier.»

Sylvain tressaillit, mais resta silencieux.

«T’as bon goût, continuait Germaine, savourant sa vengeance. Une belle petite môme! Elle était tout épatée, quand je lui ai dit que j’étais ta femme.»

Sylvain releva la tête:

«Tu as fait ça, murmura-t-il. Tu as osé lui parler…

– Tiens, s’exclama Germaine, blessée au vif. Je la vaux bien, je pense, cette petite bégueule! Je ne prends pas l’homme des autres, moi…»

Et sur l’image pure que Sylvain, en lui-même, gardait de Pascaline, Germaine vomit un flot d’injures infâmes. Elle se soulagea. Elle cracha tout son fiel, toute sa jalousie de femme déchue et corrompue, contre cette jeune fille qu’elle haïssait, parce qu’elle la devinait intacte. Elle était intelligente, dans sa méchanceté. Elle comprenait bien la poussée de tendresse qui avait dû croître dans l’âme de Sylvain, devant cette gamine qui était encore toute candeur, toute pureté. Et elle prenait une joie féroce à souiller cette fraîcheur, à railler Sylvain avec des mots qui lui fouillaient le cœur, mettaient à nu, ravageaient les espérances, les rêves, toute la mystérieuse et délicate floraison de cet amour encore inavoué. Sa rage croissait avec le flux de ses paroles. Le cri désespéré de Sylvain: «Tu as osé faire ça?» l’avait blessée à vif, dans son orgueil et son envie haineuse. Et elle s’exaspérait davantage encore, devant l’attitude de l’homme.

Il ne disait plus rien. Il assistait, hébété, à ce carnage, à ce massacre de ses rêves. Il ne pensait même pas à frapper. Ça lui aurait fait du bien de pleurer, mais ses yeux restaient secs et brûlants.

Germaine, à bout de souffle, s’arrêta enfin. Et il y eut un silence écrasant. Sylvain ne faisait pas un geste, ne bougeait pas plus que le marbre. Même ses yeux restaient immuablement fixés sur quelque chose d’invisible. Et cela finit par épouvanter Germaine, plus que la colère la plus effrayante.

«Parle! Mais parle!» cria-t-elle enfin.

Sylvain se redressa, parut reprendre conscience. Et il sortit, il partit sans avoir prononcé un seul mot.

Il ne revint que le mardi suivant, vers minuit. Germaine, qui, depuis deux nuits, ne s’était pas couchée, entendit à cette heure un pas hésitant sur le trottoir, devant la maison. Les pas s’arrêtèrent à la porte.