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«Je fis quelques pas vers la cage.

«Le mouvement de sa tête s’accéléra… il passa ses pattes à travers les grilles, comme s’il eût voulu me donner une redoutable accolade.

«L’anneau d’or, qui était fixé dans son oreille, se trouvait alors à portée de ma main.

«Je le saisis vivement et y passai mon doigt, ainsi que le jardinier l’avait fait un instant auparavant.

«Aussitôt la férocité de l’ours sembla disparaître.

«Il ferma les yeux d’un air paterne, retomba lourdement sur ses pattes et se coucha à mes pieds.

«Je possédais le moyen d’apprivoiser Jacquot, c’était déjà un grand point de gagné.

«L’absence du maître me laissait au moins trois jours de liberté! J’avais donc plus de temps qu’il ne m’en fallait pour me livrer aux perquisitions que je projetais!

«Cependant j’étais si faible, en ce moment, que je me décidai à remettre l’entreprise au lendemain.

«Tout ce que je pus faire fut de monter les deux étages et de me jeter sur mon lit.

«Je n’eus même pas la force d’aller jusqu’à la chambre de la malade m’assurer que la mort n’avait pas encore succédé au sommeil cataleptique.

«Il était alors trois heures de l’après-midi.

«Je dormis d’un sommeil profond et ne m’éveillai que le lendemain à cinq heures.

«Ma fièvre était moins forte, j’avais une grande lucidité d’esprit; je sentais dans tous mes membres une vigueur extraordinaire. Je crois que l’espoir où j’étais d’avoir bientôt la solution complète du mystère avait beaucoup favorisé ma guérison.

«J’attendais avec impatience que le jour commençât à poindre. Lorsque les premiers rayons pâles et froids du soleil d’hiver pénétrèrent à travers mes vitres brillantes de givre, je me levai et m’habillai rapidement.

«Mon premier soin fut de me rendre dans la chambre où gisait la complice du bandit… Toujours la même apparence calme et glacée, le même silence, la même impassibilité. Puis je sortis de cette chambre et descendis dans la cour.

«Jacquot était déjà levé et faisait entendre des plaintes bien naturelles de la part d’un ours qui s’était couché la veille sans souper. J’allai chercher dans l’office un gros quartier de viande et le lui jetai. Il me remercia par un hurlement de joie et se mit à le dévorer à belles dents.

J’avais résolu de pénétrer dans l’appartement de l’assassin, car j’espérais y trouver quelques pièces à conviction, preuves matérielles sans lesquelles la justice hésite presque toujours à agir.

«Je ne pouvais songer à entrer dans cette chambre par la porte, car la serrure était à secret et il en avait emporté la clef.

«Je voulus essayer d’y pénétrer par la fenêtre.

«Je vous ai dit, je crois, que devant la maison s’élève un grand sapin de Norvège dont les branches touffues effleurent les murailles, et dont la cime élancée atteint la fenêtre de ma chambre.

«Je montai à cet arbre sans grandes difficultés, car ses rameaux très rapprochés et ses branches droites formaient une sorte d’escalier assez praticable.

«Je parvins ainsi au premier étage. Je collai mon visage contre la fenêtre que je supposais être celle de la chambre à coucher du maître. Mais, par malheur, les rideaux étaient tirés et si bien fermés qu’on ne pouvait distinguer l’intérieur de la pièce.

«Cette déception ne me découragea cependant pas et je me mis à réfléchir mûrement au moyen le plus sûr de pénétrer dans la chambre, sans laisser de trace d’effraction.

«Pendant que j’étais plongé dans ces méditations, perché sur mon arbre comme un nouveau Robinson, je levai par hasard les yeux au ciel et j’aperçus à gauche de cette fenêtre une autre ouverture plus petite, de forme carrée, qui paraissait donner le jour à un cabinet attenant à la chambre.

«Je m’élevai encore un peu dans l’arbre, jusqu’à ce que mon œil pût plonger par la lucarne. Mais le rideau de verdure était si épais au-dessus de ma tête que je ne distinguai rien. J’écartai les branches qui obstruaient le plus la lumière du ciel et regardai de nouveau.

«Au bout de quelques instants, et lorsque mes yeux se furent habitués à l’obscurité, je reconnus qu’en effet mes prévisions ne m’avaient pas trompé. Cette petite fenêtre éclairait un cabinet d’environ deux mètres carrés. Il me sembla même apercevoir sur la muraille gauche une grande tache noire qui devait marquer la place de la porte de communication entre ce cabinet et l’appartement.

«Mon regard fut bientôt attiré par une autre tache blanchâtre qui se dessinait dans un coin obscur en affectant une forme bizarre et indécise. On eût dit une immense toile d’araignée.

«C’était un squelette.

«Cette vue redoubla mon ardeur et donna un nouvel aliment à ma curiosité. Je voulus à tout prix pénétrer dans ce réduit mystérieux. Après quelques minutes de réflexion, j’adoptai un plan qui devait me permettre de m’y introduire sans laisser de vestige de mon passage.

«Je coupai avec mon couteau une des branches résineuses du sapin, celle qui me parut la plus sèche, et je l’allumai en battant le briquet. Puis j’attachai solidement à côté de moi cette torche enflammée.

«La fenêtre se composait de quatre petites vitres enchâssées dans du plomb.

«Je fis chauffer à blanc la lame de mon couteau à la flamme de la torche et j’en appliquai le tranchant contre le plomb qui scellait une des vitres.

«Ce ne fut qu’après bien des essais infructueux que je vis enfin le cadre de plomb, complètement détaché, tomber sur l’appui de la fenêtre.

«Je pris la vitre avec précaution et la déposai sur la saillie du mur.

«J’avais accompli ce travail avec l’habileté d’un voleur émérite. Je passai ma main par l’ouverture et fis jouer non sans peine le verrou rouillé qui fermait le châssis.

«La fenêtre s’ouvrit, et une odeur pénétrante, semblable à celle qui s’exhale d’un caveau funèbre, vint frapper mon odorat.

«Je pris ma torche de résine et, me glissant par cette étroite fenêtre, je me trouvai bientôt dans un cabinet un peu plus long que large et dont les murs dénudés suintaient l’humidité.

«Je me dirigeai tout d’abord vers le squelette qui avait attiré mon attention.

«C’était celui d’un homme de haute taille solidement charpenté. Je l’examinai très attentivement et je fus frappé de la forme singulière des deux pieds. Ils étaient fort longs, et l’os supérieur dévié formait une proéminence très sensible.

«Vous savez que j’ai fait la même remarque lorsque, le jour de l’autopsie, j’ai levé le suaire qui couvrait les pieds de M. Bréhat-Lenoir.