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– Arrêtez-la, arrêtez-la, dit Philippe éperdu et stupéfait à la fois.

– Soit, dit Balsamo.

Le comte étendit le bras dans la direction de mademoiselle de Taverney, qui s’arrêta aussitôt.

Puis, comme la statue qui marche au festin de pierre, après une halte d’un instant, elle fit volte-face et rentra dans sa chambre.

Philippe se précipita derrière elle; Balsamo le suivit.

Philippe entra presque en même temps qu’Andrée dans la chambre; et, saisissant la jeune fille dans ses bras, il la fit asseoir.

Quelques instants après Philippe, Balsamo entra et ferma la porte derrière lui.

Mais, si rapide qu’eût été l’intervalle qui séparait ces entrées, un troisième personnage avait eu le temps de se glisser entre les deux hommes et de pénétrer dans le cabinet de Nicole, où il s’était caché, comprenant que sa vie allait dépendre de cet entretien.

Ce troisième personnage, c’était Gilbert.

Chapitre CXLVIII Révélation

Balsamo ferma la porte derrière lui, et, apparaissant sur le seuil au moment où Philippe contemplait sa sœur avec une terreur mêlée de curiosité:

– Êtes-vous prêt, chevalier? demanda-t-il.

– Oui, monsieur, oui, balbutia Philippe tout tremblant.

– Nous pouvons donc commencer à interroger votre sœur?

– S’il vous plaît, dit Philippe en essayant de soulever avec sa respiration le poids qui écrasait sa poitrine.

– Mais, avant tout, dit Balsamo, regardez votre sœur.

– Je la vois, monsieur.

– Vous croyez bien qu’elle dort, n’est-ce pas?

– Oui.

– Et que, par conséquent, elle n’a aucune conscience de ce qui se passe ici?

Philippe ne répondit pas, il fit seulement un geste de doute.

Alors Balsamo alla au foyer et alluma une bougie qu’il passa devant les yeux d’Andrée, sans que la flamme lui fît baisser la paupière.

– Oui, oui, elle dort, c’est visible, dit Philippe; mais de quel étrange sommeil, mon Dieu!

– Eh bien, je vais l’interroger, continua Balsamo; ou plutôt, vous avez manifesté la crainte que je n’adressasse à votre sœur quelque indiscrète question, interrogez vous-même, chevalier.

– Mais je lui ai parlé, mais je l’ai touchée tout à l’heure: elle n’a point paru m’entendre, elle n’a point paru me sentir.

– C’est que vous n’étiez pas en rapport avec elle. Je vais vous y mettre.

Et Balsamo prit la main de Philippe et la mit dans celle d’Andrée.

Aussitôt la jeune fille sourit et murmura:

– Ah! c’est toi, mon frère?

– Vous voyez, dit Balsamo, elle vous reconnaît maintenant.

– Oui. C’est étrange.

– Interrogez, elle répondra.

– Mais, si elle ne se souvenait pas éveillée, comment se souviendra-t-elle endormie?

– C’est un des mystères de la science.

Et Balsamo, poussant un soupir, alla dans un coin s’asseoir sur un fauteuil.

Philippe restait immobile, sa main dans la main d’Andrée. Comment allait-il commencer ses interrogations, dont le résultat serait pour lui la certitude de son déshonneur et la révélation d’un coupable, à qui peut-être sa vengeance ne pourrait s’adresser?

Quant à Andrée, elle était dans un calme voisin de l’extase, et sa physionomie indiquait plutôt la quiétude que tout autre sentiment.

Tout frémissant, il obéit néanmoins au coup d’œil expressif de Balsamo qui lui disait de se préparer.

Mais, à mesure qu’il pensait à son malheur, à mesure que son visage s’assombrissait, celui d’Andrée se couvrait d’un nuage, et ce fut elle qui commença par lui dire:

– Oui, tu as raison, frère, c’est un grand malheur pour la famille.

Andrée traduisait ainsi la pensée qu’elle lisait dans l’esprit de son frère.

Philippe ne s’attendait pas à ce début; il tressaillit.

– Quel malheur? demanda-t-il sans trop savoir ce qu’il répondait.

– Ah! tu le sais bien, mon frère.

– Forcez-la de parler, monsieur, elle parlera.

– Comment puis-je la forcer?

– Veuillez qu’elle parle, voilà tout.

Philippe regarda sa sœur en formulant une volonté intérieure.

Andrée rougit.

– Oh! dit la jeune fille, comme c’est mal à toi, Philippe, de croire qu’Andrée t’a trompé.

– Tu n’aimes donc personne? demanda Philippe.

– Personne.

– Alors ce n’est pas un complice, c’est un coupable qu’il me faut punir?

– Je ne vous comprends pas, mon frère.

Philippe regarda le comte comme pour lui demander avis.

– Pressez-la, dit Balsamo.

– Que je la presse?

– Oui, interrogez franchement.

– Sans respect pour la pudeur de cette enfant?

– Oh! soyez tranquille, à son réveil, elle ne se souviendra de rien.

– Mais pourra-t-elle répondre à mes questions?

– Voyez-vous bien? demanda Balsamo à Andrée.

Andrée tressaillit au son de cette voix; elle tourna son regard sans rayon du côté de Balsamo.

– Moins bien, dit-elle, que si c’était vous qui m’interrogeassiez; mais cependant j’y vois.

– Eh bien, demanda Philippe, si tu y vois, ma sœur, raconte-moi en détail cette nuit de ton évanouissement.

– Ne commencez-vous point par la nuit du 31 mai, monsieur? Vos soupçons remontaient à cette nuit, ce me semble? Le moment est venu de tout éclaircir à la fois.

– Non, monsieur, répondit Philippe, c’est inutile, et, depuis un instant, je crois à votre parole. Celui qui dispose d’un pouvoir tel que le vôtre n’en use pas pour arriver à un but vulgaire. Ma sœur, répéta Philippe, racontez-moi tout ce qui s’est passé dans cette nuit de votre évanouissement.

– Je ne me rappelle pas, dit Andrée.

– Vous entendez, monsieur le comte?