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– Non, je veux vous convaincre.

– Ce sera difficile.

– Où se trouve en ce moment votre sœur?

– Là où vous l’avez si bien découverte.

– À Trianon?

– Oui.

– Je vais à Trianon avec vous, monsieur.

Philippe demeura immobile d’étonnement.

– J’ai commis une faute, monsieur, dit Balsamo, mais je suis pur de tout crime. J’ai laissé cette enfant dans le sommeil magnétique. Eh bien, en compensation de cette faute, qu’il est juste de me pardonner, je vous apprendrai, moi, le nom du coupable.

– Dites-le, dites-le!

– Je ne le sais pas, moi, dit Balsamo.

– Qui donc le sait, alors?

– Votre sœur.

– Mais elle a refusé de me le dire.

– Peut-être, mais elle me le dira, à moi.

– Ma sœur?

– Si votre sœur accuse quelqu’un, la croirez-vous?

– Oui, car ma sœur, c’est l’ange de la pureté.

Balsamo sonna.

– Fritz, un carrosse! dit-il en voyant apparaître l’Allemand.

Philippe arpentait le salon comme un fou.

– Le coupable! disait-il, vous promettez de faire connaître le coupable?

– Monsieur, dit Balsamo, votre épée a été brisée dans la lutte, voulez-vous me permettre de vous en offrir une autre?

Et il prit sur un fauteuil une magnifique épée à poignée de vermeil, qu’il passa dans la ceinture de Philippe.

– Mais vous? dit le jeune homme.

– Moi, monsieur, je n’ai pas besoin d’armes, répliqua Balsamo; ma défense est à Trianon, et mon défenseur, ce sera vous-même, quand votre sœur aura parlé.

Un quart d’heure après, ils montaient en carrosse, et Fritz, au grand galop de deux excellents chevaux, les conduisait sur la route de Versailles.

Chapitre CXLVII La route de Trianon

Toutes ces courses et toute cette explication avaient pris du temps, de sorte qu’il était plus de deux heures du matin quand on sortit de la rue Saint-Claude.

On mit une heure un quart pour arriver à Versailles, et dix minutes pour aller de Versailles à Trianon; de sorte que ce ne fut qu’à trois heures et demie que les deux hommes furent rendus à leur destination.

Pendant la seconde partie de la route, déjà l’aube diaprait de sa teinte rosée les bois pleins de fraîcheur et les coteaux de Sèvres. Comme si un voile eût été lentement soulevé à leurs yeux, les étangs de Ville-d’Avray et ceux plus éloignés de Buc s’étaient illuminés, pareils à des miroirs.

Puis étaient enfin apparus à leurs yeux les colonnades et les toits de Versailles, empourprés déjà par les rayons d’un soleil invisible encore.

De temps en temps, une vitre où se reflétait un rayon de flamme étincelait et trouait de sa lumière la teinte violacée du brouillard du matin.

En arrivant au bout de l’avenue qui conduit de Versailles à Trianon, Philippe avait fait arrêter la voiture; et, s’adressant à son compagnon, qui, pendant tout le voyage, avait gardé un morne silence:

– Monsieur, lui dit-il, force nous sera, j’en ai bien peur, d’attendre quelque temps ici. Les portes ne s’ouvrent pas à Trianon avant cinq heures du matin, et je craindrais, en forçant la consigne, que notre arrivée ne semblât suspecte aux surveillants et aux gardes.

Balsamo ne répondit rien, mais témoigna, par un mouvement de tête, qu’il acquiesçait à la proposition.

– D’ailleurs, monsieur, continua Philippe, ce retard me donnera le temps de vous communiquer quelques réflexions faites pendant mon voyage.

Balsamo leva sur Philippe un regard vague tout chargé d’ennui et d’indifférence.

– Comme il vous plaira, monsieur, dit-il; parlez, je vous écoute.

– Vous m’avez dit, monsieur, reprit Philippe, que, pendant la nuit du 31 mai, vous aviez déposé ma sœur chez madame la marquise de Saverny?

– Vous vous en êtes assuré vous-même, monsieur, dit Balsamo, puisque vous avez fait une visite de remerciement à cette dame.

– Vous avez donc ajouté que, puisqu’un domestique des écuries du roi vous avait accompagné de l’hôtel de la marquise chez nous, c’est-à-dire rue Coq-Héron, vous ne vous étiez point trouvé seul avec elle; je vous ai cru sur la foi de votre honneur.

– Et vous avez bien fait, monsieur.

– Mais, en ramenant ma pensée sur des circonstances plus récentes, j’ai été forcé de me dire qu’il y a un mois, à Trianon, pour lui parler, cette nuit où vous avez trouvé moyen de vous glisser dans les jardins, vous avez dû entrer dans sa chambre.

– Je ne suis jamais entré, à Trianon, dans la chambre de votre sœur, monsieur.

– Écoutez, cependant!… Voyez-vous, avant que d’arriver en face d’Andrée, il faut que toutes choses soient claires.

– Éclaircissez les choses, monsieur le chevalier, je ne demande pas mieux, et nous sommes venus pour cela.

– Eh bien, ce soir-là – faites attention à votre réponse, car ce que je vais vous dire est positif, et je le tiens de la bouche même de ma sœur -, ce soir-là, dis-je, ma sœur s’était couchée de bonne heure; c’est donc au lit que vous l’avez surprise?

Balsamo secoua la tête en signe de dénégation.

– Vous niez; prenez-y garde! dit Philippe.

– Je ne nie pas, monsieur; vous m’interrogez, je réponds.

– Eh bien, je continue d’interroger; continuez donc de répondre.

Balsamo ne s’irrita point, mais, au contraire, fit signe à Philippe qu’il attendait.

– Lorsque vous êtes monté chez ma sœur, continua Philippe s’animant de plus en plus, lorsque vous l’avez surprise et endormie par votre infernal pouvoir, Andrée était couchée, elle lisait, elle a senti l’invasion de cette torpeur que votre présence lui impose toujours, et elle a perdu connaissance. Or, vous dites que vous n’avez fait que de l’interroger; seulement, ajoutez-vous, vous êtes parti en oubliant de la réveiller, et cependant, ajouta Philippe en saisissant le poignet de Balsamo et en le serrant convulsivement, cependant, lorsqu’elle a repris ses sens, le lendemain, elle était, non plus dans son lit, mais au pied de son sofa, demi-nue… Répondez à cette accusation, monsieur, et ne tergiversez pas.

Pendant cette interpellation, Balsamo, pareil à un homme qu’on réveille lui même, chassait une à une les noires idées qui assombrissaient son esprit.