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Or, Marat, ayant des fréquentations mystérieuses; Marat, jeune homme assez peu rangé; Marat, un peu caché; Marat, un peu suspect aux gens de la police, ne se souciait pas d’une affaire avec le commissaire, affaire qui l’eût mis entre les mains de M. de Sartine, lequel aimait fort à lire les papiers des jeunes gens comme Marat, et à envoyer les auteurs de ces beaux écrits dans ces maisons de méditation qu’on appelle Vincennes, la Bastille, Charenton et Bicêtre.

Marat baissa donc le ton; mais, à mesure qu’il le baissait, la portière haussait le sien. D’accusée, elle s’était faite accusatrice. Il en résulta que cette femme nerveuse et hystérique s’emporta comme une flamme qui vient de trouver un courant d’air.

Menaces, jurements, cris, larmes, elle employa tout: ce fut une véritable tempête.

Alors Balsamo jugea qu’il était temps d’intervenir; il fit un pas vers cette femme, debout et menaçante au milieu de la chambre, et, la regardant avec un sinistre éclat, il lui présenta deux doigts à la poitrine en prononçant, non pas avec les lèvres, mais avec ses yeux, avec sa pensée, avec sa volonté tout entière, un mot que Marat ne put entendre.

Aussitôt, dame Grivette se tut, chancela, et, perdant l’équilibre, elle alla à reculons, les yeux effroyablement dilatés, écrasée sous la puissance du fluide magnétique, tomber sur le lit, sans prononcer une seule parole.

Bientôt, ses yeux se fermèrent et s’ouvrirent, mais sans que cette fois on vît la prunelle; sa langue remua convulsivement; le torse ne bougea point, et, cependant, ses mains tremblèrent comme secouées par la fièvre.

– Oh! oh! dit Marat, comme le blessé de l’hôpital!

– Oui.

– Elle dort donc?

– Silence! dit Balsamo.

Puis, s’adressant à Marat:

– Monsieur, dit-il, voici le moment où toutes vos incrédulités vont cesser, toutes vos hésitations s’évanouir; ramassez cette lettre que vous apportait cette femme et qu’elle a laissé échapper lorsqu’elle est tombée.

Marat obéit.

– Eh bien? demanda-t-il.

– Attendez.

Et, prenant la lettre des mains de Marat:

– Savez-vous de qui vient cette lettre? demanda Balsamo la présentant à la somnambule.

– Non, monsieur, répliqua-t-elle.

Balsamo approcha la lettre toute fermée de cette femme.

– Lisez-la pour M. Marat, qui désire savoir ce qu’elle contient.

– Elle ne sait pas, dit Marat.

– Oui; mais vous savez lire, vous?

– Sans doute.

– Eh bien, lisez-la, et elle lira de son côté, au fur et a mesure que les mots se graveront dans votre esprit.

Marat se mit à décacheter la lettre et à la lire, tandis que dame Grivette, debout et frissonnante sous la volonté toute-puissante de Balsamo, répétait, au fur et à mesure que Marat les lisait lui-même, les paroles suivantes:

«Mon cher Hippocrate,

«Apelles vient de faire son premier portrait; il l’a vendu cinquante francs; on mange aujourd’hui ces cinquante francs à la buvette de la rue Saint Jacques. En es-tu?

«Il est bien entendu qu’on en boit une partie.

«Ton ami,

L. DAVID»

C’était textuellement ce qui était écrit.

Marat laissa tomber le papier.

– Eh bien, dit Balsamo, vous voyez que dame Grivette a aussi une âme, et que cette âme veille lorsqu’elle dort.

– Et une âme étrange, dit Marat, une âme qui sait lire quand le corps ne le sait pas.

– Parce que l’âme sait toute chose, parce que l’âme peut reproduire par réflexion. Essayez de lui faire lire cette lettre quand elle sera réveillée, c’est-à-dire quand le corps aura enveloppé l’âme de son ombre, et vous verrez.

Marat restait sans parole; toute sa philosophie matérialiste se révoltait en lui, mais ne trouvait pas une réponse.

– Maintenant, continua Balsamo, nous allons passer à ce qui vous intéresse le plus, c’est-à-dire à ce qu’est devenue votre montre.

– Dame Grivette, dit Balsamo, qui a pris la montre de M. Marat?

La somnambule fit un geste de violente dénégation.

– Je ne sais pas, dit-elle.

– Vous le savez parfaitement, insista Balsamo, et vous le direz.

Puis, avec une volonté plus forte encore:

– Qui a pris la montre de M. Marat? Dites.

– Dame Grivette n’a pas volé la montre de M. Marat. Pourquoi M. Marat croit-il que c’est dame Grivette qui a volé sa montre?

– Si ce n’est pas elle qui a volé la montre, dites qui.

– Je l’ignore.

– Vous voyez, dit Marat, la conscience est un refuge impénétrable.

– Eh bien, puisque vous n’avez plus que ce dernier doute, monsieur, dit Balsamo, vous allez bientôt être convaincu.

Puis, se retournant vers la portière:

– Dites qui, je le veux!

– Allons, allons, dit Marat, n’exigez pas l’impossible.

– Vous avez entendu, dit Balsamo; j’ai dit que je voulais.

Alors, sous l’expression de cette impérieuse volonté, la malheureuse femme commença, comme une folle, à se tordre les mains et les bras; un frémissement pareil à celui de l’épilepsie commença de lui courir par tout le corps; sa bouche prit une expression hideuse de terreur et de faiblesse; elle se renversa en arrière, se raidit comme dans une convulsion douloureuse, et tomba sur le lit.

– Non, non! dit-elle, j’aime mieux mourir!

– Eh bien, s’écria Balsamo avec une colère qui fit jaillir la flamme de ses yeux, tu mourras s’il le faut, mais tu parleras. Ton silence et ton obstination seraient pour nous de suffisants indices; mais, pour un incrédule, il faut la preuve la plus irréfragable. Parle, je le veux: qui a pris la montre?

L’exaspération nerveuse était portée à son comble; tout ce que la somnambule avait de force et de pouvoir réagissait contre la volonté de Balsamo; des cris inarticulés sortaient de sa bouche, une écume rougeâtre frangea ses lèvres.

– Elle va tomber en épilepsie, dit Marat.

– Ne craignez rien, c’est le démon du mensonge qui est en elle et qui ne veut pas sortir.

Puis, se tournant vers la femme en lui jetant à la face tout ce que sa main pouvait contenir de fluide: