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La dauphine obéit machinalement et se laissa aller sur ses deux genoux.

Balsamo toucha de sa baguette le globe de cristal, au milieu duquel se dessina sans doute quelque sombre et terrible figure.

La dauphine essaya de se relever, chancela un instant, retomba, poussa un cri terrible et s’évanouit.

Le baron accourut, la princesse était sans connaissance.

Au bout de quelques minutes, elle revint à elle.

Elle passa ses mains sur son front, comme une personne qui cherche à rappeler ses souvenirs.

Puis tout à coup:

– La carafe! s’écria-t-elle avec un accent d’inexprimable terreur. La carafe!

Le baron la lui présenta. L’eau était limpide et sans une seule tache.

Balsamo avait disparu.

Chapitre XVI Le baron de Taverney croit enfin entrevoir un petit coin de l’avenir

Le premier qui s’aperçut de l’évanouissement de madame la dauphine fut, comme nous l’avons dit, le baron de Taverney, il se tenait à l’affût, plus inquiet que personne de ce qui allait se passer entre elle et le sorcier. Il avait entendu le cri que Son Altesse royale avait poussé, il avait vu Balsamo s’élancer hors du massif; il était accouru.

Le premier mot de la dauphine avait été pour qu’on lui montrât la carafe, le second pour qu’on ne fît aucun mal au sorcier. Il était temps que cette recommandation fût faite: Philippe de Taverney bondissait déjà sur sa trace comme un lion irrité, quand la voix de la dauphine l’arrêta.

Alors sa dame d’honneur s’approcha d’elle à son tour, et l’interrogea en allemand; cependant à toutes ses questions elle ne répondit rien, sinon que Balsamo ne lui avait aucunement manqué de respect; mais que, fatiguée probablement par la longueur de la route et l’orage de la veille, elle avait été surprise par un accès de fièvre nerveuse.

Ces réponses furent traduites à M. de Rohan, qui attendait des explications, mais sans oser en demander.

À la cour, on se contente d’une demi-réponse; celle de la dauphine ne satisfit point, mais parut satisfaire tout le monde. En conséquence, Philippe s’approcha d’elle.

– Madame, dit-il, c’est pour obéir aux ordres de Son Altesse royale que je viens, à mon grand regret, lui rappeler que la demi-heure pendant laquelle elle comptait s’arrêter ici est écoulée et que les chevaux sont prêts.

– Bien, monsieur, dit-elle avec un geste charmant de nonchalance maladive, mais je reviens à mon intention première. Je suis incapable de partir en ce moment… Si je dormais quelques heures, il me semble que ces quelques heures de repos me remettraient.

Le baron pâlit. Andrée regarda son père avec inquiétude.

– Votre Altesse sait combien le gîte est indigne d’elle, balbutia le baron de Taverney.

– Oh! je vous en prie, monsieur, répondit la dauphine du ton d’une femme qui va défaillir; tout sera bien, pourvu que je me repose.

Andrée disparut aussitôt pour faire préparer sa chambre. Ce n’était pas la plus grande, ce n’était même pas la plus ornée peut-être; mais il y a toujours dans la chambre d’une jeune fille aristocratique comme l’était Andrée, fût-elle pauvre comme l’était Andrée, quelque chose de coquet qui réjouit la vue d’une autre femme.

Chacun voulut alors s’empresser près de la dauphine; mais, avec un mélancolique sourire, elle fit signe de la main, comme si elle n’avait plus la force de parler, qu’elle désirait être seule.

Alors chacun s’éloigna pour la seconde fois.

Marie-Antoinette suivit tout le monde des yeux jusqu’à ce que le dernier pan d’habit et la dernière queue de robe eussent disparu; puis, rêveuse, elle laissa tomber sa tête pâlie sur sa belle main.

N’étaient-ce pas, en effet, d’horribles présages que ceux qui l’accompagnaient en France! Cette chambre où elle s’était arrêtée à Strasbourg, la première où elle eût mis le pied sur ce sol où elle devait être reine, et dont la tenture était faite d’une tapisserie représentant le massacre des Innocents; cet orage qui la veille avait brisé un arbre près de sa voiture, et enfin ces prédictions faites par un homme si extraordinaire, prédictions suivies de la mystérieuse apparition dont la dauphine paraissait décidée à ne révéler le secret à personne!

Au bout de dix minutes à peu près, Andrée revint. Son retour avait pour but d’annoncer que la chambre était prête. On ne jugea point que la défense de la dauphine fût pour elle, et Andrée put pénétrer sous le berceau.

Elle demeura pendant quelques instants debout devant la princesse, n’osant parler, tant Son Altesse royale paraissait plongée dans une profonde rêverie.

Enfin Marie-Antoinette leva la tête et fit en souriant à Andrée un signe de la main.

– La chambre de Son Altesse est prête, dit celle-ci; nous la supplions seulement…

La dauphine ne laissa point la jeune fille achever.

– Grand merci, mademoiselle, dit-elle. Appelez, je vous prie, la comtesse de Langershausen, et nous servez de guide.

Andrée obéit; la vieille dame d’honneur s’avança empressée.

– Donnez-moi le bras, ma bonne Brigitte, dit la dauphine en allemand, car, en vérité, je ne me sens pas la force de marcher seule.

La comtesse obéit. Andrée fit un mouvement pour la seconder.

– Entendez-vous donc l’allemand, mademoiselle? demanda Marie Antoinette.

– Oui, madame, répondit en allemand Andrée, et même je le parle un peu.

– Admirablement! s’écria la dauphine avec joie. Oh! cela s’accorde bien avec mes projets!

Andrée n’osa demander à son auguste hôtesse quels étaient ces projets, malgré le désir qu’elle eût eu de les connaître.

La dauphine s’appuya sur le bras de madame de Langershausen et s’avança à petits pas. Ses genoux semblaient se dérober sous elle.

Comme elle sortait du massif, elle entendit la voix de M. de Rohan qui disait:

– Comment! monsieur de Stainville, vous prétendez parler à Son Altesse royale malgré la consigne?

– Il le faut, répondit d’une voix ferme le gouverneur, et elle me pardonnera, j’en suis bien certain.

– En vérité, monsieur, je ne sais si je dois…

– Laissez avancer notre gouverneur, monsieur de Rohan, dit la dauphine en apparaissant au milieu de l’ouverture du massif comme sous un arc de verdure; venez, monsieur de Stainville.

Chacun s’inclina devant le commandement de Marie-Antoinette, et l’on s’écarta pour laisser passer le beau-frère du ministre tout-puissant qui gouvernait alors la France.