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– Parfaitement.

– Redites-les.

– Tout haut?

– Oui.

– Ma chère amie.

Marie-Antoinette se mordit les lèvres en pâlissant.

– Maintenant, dit Balsamo, Votre Altesse royale veut-elle que je lui dise à qui cette lettre était adressée?

– Non, mais je veux que vous me l’écriviez.

Balsamo tira de sa poche une espèce d’agenda à fermoir d’or, écrivit sur une de ses feuilles quelques mots avec un crayon de même métal, déchira la feuille de papier et la présenta en s’inclinant à la princesse.

Marie-Antoinette prit la feuille de papier et lut.

«La lettre était adressée à la maîtresse du roi Louis XV, à madame la marquise de Pompadour»

La dauphine releva son regard étonné sur cet homme aux paroles si nettes, à la voix si pure et si peu émue, qui, tout en saluant très bas, paraissait la dominer.

– Tout cela est vrai, monsieur, dit-elle, et, quoique j’ignore par quel moyen vous avez surpris ces détails, comme je ne sais pas mentir, je le répète tout haut, cela est vrai.

– Alors, dit Balsamo, que Votre Altesse me permette de me retirer et se contente de cette preuve innocente de ma science.

– Non pas, monsieur, reprit la dauphine piquée, plus vous êtes savant, plus je tiens à ma prédiction. Vous ne m’avez parlé que du passé, et ce que je réclame de vous, c’est l’avenir.

La princesse prononça ces quelques mots avec une agitation fébrile qu’elle essayait vainement de cacher à ses auditeurs.

– Je suis prêt, dit Balsamo, et cependant, je supplierai encore une fois Votre Altesse royale de ne point me presser.

– Je n’ai jamais répété deux fois Je veux et vous vous rappelez, monsieur, que je l’ai déjà dit une fois.

– Laissez-moi tout au moins consulter l’oracle, madame, dit Balsamo d’un ton suppliant. Je saurai ensuite si je puis révéler la prédiction à Votre Altesse royale.

– Bonne ou mauvaise, je la veux, entendez-vous bien, monsieur? reprit Marie-Antoinette avec une irritation croissante. Bonne, je n’y croirai pas, la prenant pour une flatterie; mauvaise, je la considérerai comme un avertissement, et, quelle qu’elle soit, je vous promets de vous en savoir gré. Commencez donc.

La princesse prononça ces derniers mots d’un ton qui n’admettait ni observation ni retard.

Balsamo prit la carafe ronde au col court et étroit dont nous avons déjà parlé, et la posa sur une coupe d’or.

Ainsi éclairée, l’eau rayonna de reflets fauves qui, mêlés à la nacre des parois et au diamant du centre, parurent offrir quelque signification aux regards attentifs du devin.

Chacun fit silence.

Balsamo éleva dans ses mains la carafe de cristal, et, après l’avoir considérée un instant avec attention, il la reposa sur la table en secouant la tête.

– Eh bien? demanda la dauphine.

– Je ne puis parler, dit Balsamo.

Le visage de la princesse prit une expression qui signifiait visiblement: «Sois tranquille; je sais comment on fait parler ceux qui veulent se taire.»

– Parce que vous n’avez rien à me dire? reprit-elle tout haut.

– Il y a des choses qu’on ne doit jamais dire aux princes, madame, répliqua Balsamo d’un ton indiquant qu’il était décidé à résister, même aux ordres de la dauphine.

– Surtout, reprit celle-ci, quand ces choses-là, je le répète, se traduisent par le mot rien.

– Ce n’est point là ce qui m’arrête, madame; au contraire.

La dauphine sourit dédaigneusement.

Balsamo paraissait embarrassé; le cardinal commença de lui rire au nez, et le baron s’approcha en grommelant.

– Allons, allons, dit-il, voilà mon sorcier usé: il n’a pas duré longtemps. Maintenant, il ne nous reste plus qu’à voir toutes ces tasses d’or se changer en feuilles de vigne, comme dans le conte oriental.

– J’eusse aimé mieux, reprit Marie-Antoinette, de simples feuilles de vigne que tout cet étalage fait par monsieur pour en arriver à m’être présenté.

– Madame, répondit Balsamo fort pâle, daignez vous rappeler que je n’ai pas sollicité cet honneur.

– Eh! monsieur, il n’était pas difficile de deviner que je demanderais à vous voir.

– Pardonnez-lui, madame, dit Andrée à voix basse, il a cru bien faire.

– Et moi, je vous dis qu’il a eu tort, répliqua la princesse de façon à n’être entendue que de Balsamo et d’Andrée. On ne se hausse pas en humiliant un vieillard; et quand elle peut boire dans le verre d’étain d’un gentilhomme, on ne force pas une dauphine de France à boire dans le verre d’or d’un charlatan.

Balsamo se redressa, frissonnant comme si quelque vipère l’eut mordu.

– Madame, dit-il d’une voix frémissante, je suis prêt à vous faire connaître votre destinée, puisque votre aveuglement vous pousse à la savoir.

Balsamo prononça ces quelques paroles d’un ton si ferme et si menaçant à la fois, que les assistants sentirent un froid glacial courir dans leurs veines.

La jeune archiduchesse pâlit visiblement.

– Gieb ihm kein gehoer, meine tochter [3], dit en allemand la vieille dame à Marie-Antoinette.

– Lass sie hœren, sie hat weissen gewollen, und so soll sie wissen [4], répondit Balsamo dans la même langue.

Ces mots, prononcés dans un idiome étranger, et que quelques personnes seulement comprirent, donnèrent encore plus de mystère à la situation.

– Allons, dit la dauphine en résistant aux efforts de sa vieille tutrice, allons, qu’il parle. Si je lui disais de se taire maintenant, il croirait que j’ai peur.

Balsamo entendit ces paroles et un sombre mais furtif sourire se dessina sur ses lèvres.

– C’est bien ce que j’avais dit, murmura-t-il, un courage fanfaron.

– Parlez, dit la dauphine, parlez, monsieur.

– Votre Altesse royale exige donc toujours que je parle?

– Je ne reviens jamais sur une décision.

– Alors, à vous seule, madame, dit Balsamo.

– Soit, dit la dauphine. Je le forcerai dans ses derniers retranchements. Éloignez-vous.

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[3] Ne l’écoute pas, ma fille.

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[4] Laisse-la écouter, elle a voulu savoir, et elle saura.