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– Oh! oh! ceci est plus grave, dit Marie-Antoinette, et monsieur veut piquer ma curiosité, espérant que j’exigerai de lui qu’il me dise ma bonne aventure.

– Dieu me préserve, au contraire, d’y être forcé, madame, dit froidement Balsamo.

– Oui, n’est-ce pas? reprit la dauphine en riant; car cela vous embarrasserait fort.

Mais le rire de la dauphine s’éteignit sans que le rire d’aucun courtisan lui fît écho. Tout le monde subissait l’influence de l’homme singulier qui était pour le moment le centre de l’attention générale.

– Voyons, avouez franchement, dit la dauphine.

Balsamo s’inclina sans répondre.

– C’est vous cependant qui avez prédit mon arrivée à M. de Taverney? reprit Marie-Antoinette avec un léger mouvement d’impatience.

– Oui, madame, c’est moi.

– Comment cela, baron? demanda la dauphine qui commençait à éprouver le besoin d’entendre une autre voix se mêler à l’étrange dialogue qu’elle regrettait peut-être d’avoir entrepris, mais qu’elle ne voulait pas cependant abandonner.

– Oh! mon Dieu, madame, dit le baron, de la façon la plus simple, en regardant dans un verre d’eau.

– Est-ce vrai? interrogea la dauphine revenant à Balsamo.

– Oui, madame, répondit celui-ci.

– C’est là votre grimoire? Il est innocent du moins; puissent vos paroles être aussi claires!

Le cardinal sourit.

Le baron s’approcha.

– Madame la dauphine n’aura rien à apprendre de M. de Bièvre, dit-il.

– Oh! mon cher hôte, dit la dauphine avec gaieté, ne me flattez pas, ou flattez-moi mieux. J’ai dit quelque chose d’assez médiocre, ce me semble. Revenons à monsieur.

Et Marie-Antoinette se retourna du côté de Balsamo, vers lequel une puissance irrésistible semblait l’attirer malgré elle, comme on est parfois attiré vers un endroit où nous attend quelque malheur.

– Si vous avez lu l’avenir pour monsieur dans un verre d’eau, ne pourriez vous pas le lire pour moi dans une carafe?

– Parfaitement, madame, dit Balsamo.

– Pourquoi refusiez-vous donc alors tout à l’heure?

– Parce que l’avenir est incertain, madame, et que, si j’y voyais quelque nuage…

Balsamo s’arrêta.

– Eh bien? demanda la dauphine.

– Eh bien! j’aurais, comme j’ai déjà eu l’honneur de vous le dire, le regret d’attrister Votre Altesse royale.

– Vous me connaissiez déjà? Où m’avez-vous vue pour la première fois?

– J’ai eu l’honneur de voir Votre Altesse tout enfant dans son pays natal, près de son auguste mère.

– Vous avez vu ma mère?

– J’ai eu cet honneur; c’est une auguste et puissante reine.

– Impératrice, monsieur.

– J’ai voulu dire reine par le cœur et par l’esprit, et cependant…

– Des réticences, monsieur, et à l’endroit de ma mère! dit la dauphine avec dédain.

– Les plus grands cœurs ont leurs faiblesses, madame, surtout quand ils croient qu’il s’agit du bonheur de leurs enfants.

– L’histoire, je l’espère, dit Marie-Antoinette, ne constatera pas une seule faiblesse dans Marie-Thérèse.

– Parce que l’histoire ne saura pas ce qui n’est su que de l’impératrice Marie-Thérèse, de Votre Altesse royale et de moi.

– Nous avons un secret à nous trois, monsieur? dit en souriant dédaigneusement la dauphine.

– À nous trois, madame, répondit tranquillement Balsamo, oui, à nous trois.

– Voyons ce secret, monsieur?

– Si je le dis, ce n’en sera plus un.

– N’importe, dites toujours.

– Votre Altesse le désire?

– Je le veux.

Balsamo s’inclina.

– Il y a au palais de Schoenbrunn, dit-il, un cabinet qu’on appelle le cabinet de Saxe, à cause des magnifiques vases de porcelaine qu’il renferme.

– Oui, dit la dauphine; après?

– Ce cabinet fait partie de l’appartement particulier de Sa Majesté l’impératrice Marie-Thérèse.

– Oui.

– C’est dans ce cabinet qu’elle fait d’habitude sa correspondance intime.

– Oui.

– Sur un magnifique bureau de Boule, qui fut donné à l’empereur François Ier par le roi Louis XV.

– Jusqu’ici, ce que vous dites est vrai, monsieur; mais tout le monde peut savoir ce que vous dites.

– Que Votre Altesse daigne prendre patience. Un jour, c’était un matin vers sept heures, l’impératrice n’était pas encore levée, Votre Altesse entra dans ce cabinet par une porte qui lui était particulière, car, parmi les augustes filles de Sa Majesté l’impératrice, Votre Altesse était la bien-aimée.

– Après, monsieur?

– Votre Altesse s’approcha du bureau. Votre Altesse doit s’en souvenir, il y a juste cinq ans de cela.

– Continuez.

– Votre Altesse s’approcha du bureau; sur le bureau était une lettre tout ouverte que l’impératrice avait écrite la veille.

– Eh bien?

– Eh bien! Votre Altesse lut cette lettre.

La dauphine rougit légèrement.

– Et après l’avoir lue, sans doute Votre Altesse fut mécontente de quelques expressions, car elle prit la plume, et de sa propre main…

La dauphine semblait attendre avec anxiété. Balsamo continua:

– Elle raya trois mots.

– Et ces trois mots, quels étaient-ils? s’écria vivement la dauphine.

– C’étaient les premiers de la lettre.

– Je vous demande non pas la place où ils se trouvaient, mais quelle était leur signification.

– Un trop grand témoignage d’affection, sans doute, pour la personne à qui la lettre était adressée; de là cette faiblesse dont je disais qu’en une circonstance, au moins, votre auguste mère avait pu être accusée.

– Ainsi vous vous souvenez de ces trois mots?

– Je m’en souviens.

– Vous pourriez me les redire?