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Puis elle écrivit une petite lettre à MM. Boëhmer et Bassange, joailliers de la couronne, les priant de remettre au porteur la parure de diamants et d’émeraudes appelée Louise, parce qu’elle venait de la princesse tante du dauphin, laquelle l’avait vendue pour ses aumônes.

Cela fini, marraine et filleule échangèrent leur papier.

– Maintenant, dit madame du Barry, donnez-moi une preuve de bonne amitié, chère comtesse.

– De tout mon cœur, madame.

– Je suis sûre que si vous consentez à vous installer chez moi, Tronchin vous guérira en moins de trois jours. Venez-y donc; en même temps vous essayerez de mon huile, qui est souveraine.

– Montez toujours en carrosse, madame, dit la prudente vieille; j’ai quelques affaires à terminer ici avant de vous rejoindre.

– Vous me refusez?

– Je vous déclare, au contraire, que j’accepte, madame; mais pas pour le moment présent. Voici une heure qui sonne à l’Abbaye; donnez-moi jusqu’à trois heures; à cinq heures précises, je serai à Luciennes.

– Permettez-vous qu’à trois heures mon frère vienne vous prendre avec son carrosse?

– Parfaitement.

– Maintenant, soignez-vous d’ici là.

– Ne craignez rien. Je suis gentilfemme, vous avez ma parole, et, dussé-je en mourir, je vous ferai honneur demain à Versailles.

– Au revoir, ma chère marraine!

– Au revoir, mon adorable filleule!

Et elles se séparèrent ainsi, la vieille toujours couchée, une jambe sur ses coussins, une main sur ses papiers; madame du Barry, plus légère encore qu’à son arrivée, mais le cœur légèrement serré de n’avoir pas été la plus forte avec une vieille plaideuse, elle qui, à son plaisir, battait le roi de France.

En passant devant la grande salle, elle aperçut Jean qui, sans doute pour ne pas donner de soupçons sur sa présence prolongée, venait d’attaquer une seconde bouteille.

En apercevant sa belle-sœur, il bondit de sa chaise et courut à elle.

– Eh bien? lui dit-il.

– Voici ce qu’a dit le maréchal de Saxe à Sa Majesté en lui montrant le champ de bataille de Fontenoy: «Sire, apprenez par ce spectacle combien une victoire est chère et douloureuse.»

– Nous sommes donc vainqueurs? demanda Jean.

– Un autre mot. Mais celui-là nous vient de l’antiquité: «Encore une victoire comme celle-là, et nous sommes ruinés.»

– Nous avons la marraine?

– Oui; seulement, elle nous coûte près d’un million!

– Oh! oh! fit du Barry avec une effroyable grimace.

– Dame! c’était à prendre ou à laisser!

– Mais c’est criant!

– C’est comme cela. Et ne vous rebroussez pas trop encore, car il se pourrait, si vous n’étiez pas bien sage, que nous n’eussions rien du tout ou que cela nous coûtât le double.

– Tudieu! quelle femme!

– C’est une Romaine.

– C’est une Grecque.

– N’importe! Grecque ou Romaine, tenez-vous prêt à la prendre à trois heures, et à me l’amener à Luciennes. Je ne serai tranquille que lorsque je la tiendrai sous clef.

– Je ne bouge pas d’ici, dit Jean.

– Et moi, je cours tout préparer, dit la comtesse.

Et, s’élançant dans son carrosse:

– À Luciennes! cria-t-elle. Après-demain, je dirai: à Marly.

– C’est égal, dit Jean en suivant de l’œil le carrosse, nous coûtons joliment cher à la France!… C’est flatteur pour les du Barry.

Chapitre XXXVI La cinquième conspiration du maréchal de Richelieu

Le roi était revenu tenir son Marly comme de coutume.

Moins esclave de l’étiquette que Louis XIV, qui cherchait dans les réunions de la cour des occasions d’essayer sa puissance, Louis XV cherchait dans chaque cercle des nouvelles dont il était avide, et surtout cette variété de visages, distraction qu’il mettait au-dessus de toutes les autres, surtout quand ces visages étaient souriants.

Le soir même de l’entrevue que nous venons de rapporter, et deux heures après que madame de Béarn, selon sa promesse, tenue fidèlement cette fois, était installée dans le cabinet de madame du Barry, le roi jouait dans le salon bleu.

Il avait à sa gauche la duchesse d’Ayen, à sa droite la princesse de Guéménée.

Sa Majesté paraissait fort préoccupée; elle perdit huit cents louis par suite de cette préoccupation; puis, disposé aux choses sérieuses par cette perte, – Louis XV, en digne descendant de Henri IV, aimait fort à gagner, – le roi se leva à neuf heures pour aller causer dans l’embrasure d’une fenêtre avec M. de Malesherbes, fils de l’ex-chancelier, tandis que M. de Maupeou, causant avec M. de Choiseul dans l’embrasure d’une fenêtre en face, suivait d’un œil inquiet la conversation.

Cependant, depuis le départ du roi, un cercle s’était formé près de la cheminée. Mesdames Adélaïde, Sophie et Victoire, à leur retour d’une promenade aux jardins, s’étaient assises à cet endroit avec leurs dames d’honneur et leurs gentilshommes.

Et comme autour du roi, – certainement occupé d’affaires, car on connaissait l’austérité de M. de Malesherbes, – comme autour du roi, disons-nous, il y avait un cercle d’officiers de terre et de mer, de grands dignitaires, de seigneurs et de présidents, retenus par une respectueuse attente, la petite cour de la cheminée se suffisait à elle-même, et préludait à une conversation plus animée par quelques escarmouches que l’on pouvait ne regarder que comme affaires d’avant-garde.

Les principales femmes composant ce groupe étaient, outre les trois filles du roi, madame de Grammont, madame de Guéménée, madame de Choiseul, madame de Mirepoix et madame de Polastron.

Au moment où nous prenons ce groupe, Madame Adélaïde racontait une histoire d’évêque mis en retraite au pénitencier du diocèse. L’histoire, que nous nous abstiendrons de répéter, était passablement scandaleuse, surtout pour une princesse royale; mais l’époque que nous essayons de décrire n’était pas, comme on le sait, précisément sous l’invocation de la déesse Vesta.

– Eh bien! dit Madame Victoire, cet évêque a pourtant siégé ici, parmi nous, il y a un mois à peine.

– On serait exposé à pire rencontre encore chez Sa Majesté, dit madame de Grammont, si ceux-là y venaient qui, n’y étant jamais venus, veulent y venir.

Tout le monde sentit, aux premières paroles de la duchesse, et surtout au ton avec lequel ces paroles étaient prononcées, de qui elle voulait parler et sur quel terrain allait manœuvrer la conversation.