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– Heureusement que vouloir et pouvoir sont deux, n’est-ce pas, duchesse? dit en se mêlant à la conversation un petit homme de soixante-quatorze ans, qui en paraissait cinquante à peine, tant sa taille était élégante, sa voix fraîche, sa jambe fine, ses yeux vifs, sa peau blanche, et sa main belle.

– Ah! voilà M. de Richelieu qui se jette aux échelles, comme à Mahon, et qui va prendre notre pauvre conversation par escalade, dit la duchesse. Nous sommes toujours un peu grenadier, mon cher duc?

– Un peu? Ah! duchesse, vous me faites tort, dites beaucoup.

– Eh bien! ne disais-je pas vrai, duc?

– Quand cela?

– Tout à l’heure.

– Et que disiez-vous?

– Que les portes du roi ne se forcent pas…

– Comme des rideaux d’alcôve. Je suis de votre avis, duchesse, toujours de votre avis.

Le mot amena les éventails sur quelques visages, mais il eut du succès, quoique les détracteurs du temps passé prétendissent que l’esprit du duc avait vieilli.

La duchesse de Grammont rougit sous son rouge, car c’était à elle surtout que l’épigramme s’adressait.

– Mesdames, continua-t-elle, si M. le duc nous dit de pareilles choses, je ne continuerai pas mon histoire et vous y perdrez beaucoup je vous jure, à moins que vous ne demandiez au maréchal de vous en raconter une autre.

– Moi, dit le duc, vous interrompre quand vous allez probablement dire du mal de quelqu’un de mes amis? Dieu m’en préserve! j’écoute de toutes les oreilles qui me restent.

On resserra le cercle autour de la duchesse.

Madame de Grammont lança un regard du côté de la fenêtre pour s’assurer que le roi était toujours là. Le roi y était toujours; mais, bien que causant avec M. de Malesherbes, il ne perdait pas de vue le groupe, et son regard se croisa avec celui de madame de Grammont.

La duchesse se sentit un peu intimidée de l’expression qu’elle avait cru lire dans les yeux du roi; mais elle était lancée, elle ne voulut pas s’arrêter en chemin.

– Vous saurez donc, continua madame de Grammont s’adressant principalement aux trois princesses, qu’une dame – le nom n’y fait rien, n’est-ce pas? – désira dernièrement nous voir, nous, les élues du Seigneur, trônant dans notre gloire, dont les rayons la font mourir de jalousie.

– Nous voir, où? demanda le duc.

– Mais à Versailles, à Marly, à Fontainebleau.

– Bien, bien, bien.

– La pauvre créature n’avait jamais vu de nos grands cercles que le dîner du roi, où les badauds sont admis derrière les barrières à regarder manger Sa Majesté et ses convives, en défilant, bien entendu, sous la baguette de l’huissier de service.

M. de Richelieu prit bruyamment du tabac dans une boîte de porcelaine de Sèvres.

– Mais pour nous voir à Versailles, à Marly, à Fontainebleau, il faut être présentée, dit le duc.

– Justement, la dame en question sollicita la présentation.

– Je parie qu’elle lui fut accordée, dit le duc; le roi est si bon!

– Malheureusement, pour être présentée, il ne suffit pas de la permission du roi, il faut encore quelqu’un qui vous présente.

– Oui, dit madame de Guéménée, quelque chose comme une marraine, par exemple.

– Mais tout le monde n’a pas une marraine, dit madame de Mirepoix, témoin la belle Bourbonnaise, qui en cherche une et qui n’en trouve pas.

Et elle se mit à fredonner:

La belle Bourbonnaise

Est fort mal à son aise.

– Ah! maréchale, maréchale, dit le duc de Richelieu, laissez donc tout l’honneur de son récit à madame la duchesse.

– Voyons, voyons, duchesse, dit Madame Victoire, voilà que vous nous avez fait venir l’eau à la bouche, et que vous nous laissez là en chemin.

– Pas du tout; je tiens au contraire à raconter mon histoire jusqu’au bout. N’ayant pas de marraine, on en chercha une. «Cherchez, et vous trouverez», dit l’Évangile. On chercha si bien qu’on trouva; mais quelle marraine, bon Dieu! Une bonne femme de campagne, toute naïve, toute candide. On la tira de son colombier, on la mijota, on la dorlota, on la para.

– C’est à faire frémir, dit madame de Guéménée.

– Mais, tout à coup, voilà que, quand la provinciale est bien mijotée, bien dorlotée, bien parée, elle tombe du haut en bas de son escalier…

– Eh?… dit M. de Richelieu.

– La jambe se cassa.

Ah! ah! ah! ah!

dit la duchesse, ajoutant un vers de circonstance aux deux vers de la maréchale de Mirepoix.

– De sorte, dit madame de Guéménée, que de présentation?…

– Pas l’ombre, ma chère.

– Ce que c’est que la Providence! dit le maréchal en levant les deux mains au ciel.

– Pardon, dit Madame Victoire; mais je plains fort la pauvre provinciale, moi.

– Au contraire, madame, dit la duchesse, félicitez-la; de deux maux, elle a choisi le moindre.

La duchesse s’arrêta court: elle venait de rencontrer un second regard du roi.

– Mais de qui donc venez-vous de parler, duchesse? reprit le maréchal faisant semblant de chercher quelle était la personne dont il pouvait être question.

– Ma foi, l’on ne m’a pas dit le nom.

– Quel malheur! dit le maréchal.

– Mais j’ai deviné; faites comme moi.

– Si les dames présentées étaient courageuses et fidèles aux principes d’honneur de la vieille noblesse de France, dit madame de Guéménée avec amertume, elles iraient toutes s’inscrire chez la provinciale qui a eu l’idée sublime de se casser la jambe.

– Ah! ma foi, oui, dit Richelieu, voilà une idée. Mais il faudrait savoir comment s’appelle cette excellente dame qui nous sauve d’un si grand danger; car nous n’avons plus rien à craindre, n’est-ce pas, chère duchesse?

– Oh! plus rien, je vous en réponds; elle est sur son lit, la jambe empaquetée et incapable de faire un seul pas.

– Mais, dit madame de Guéménée, si cette femme allait trouver une autre marraine?… Elle est fort remuante.

– Oh! il n’y a rien à craindre; cela ne se trouve pas comme cela, les marraines.

– Peste! je le crois bien, dit le maréchal en grignotant une de ces pastilles merveilleuses auxquelles il devait, prétendait-on, son éternelle jeunesse.