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– Du bout des dents, croyez-moi.

– Où demeure-t-elle, notre sibylle?

– Vous le savez bien: au Coq chantant, rue Saint-Germain-des-Prés, une grande maison noire, avec un coq énorme peint sur une plaque de tôle. Quand la tôle grince, le coq chante.

– J’aurai une scène affreuse!

– C’est mon avis. Mais mon avis aussi est qu’il faut la risquer. Voulez-vous que je vous escorte?

– Gardez-vous-en bien, vous gâteriez tout.

– Voilà ce que m’a dit notre procureur, que j’ai consulté à cet endroit; c’est pour votre gouverne. Battre une personne chez elle, c’est l’amende et la prison. La battre dehors…

– Ce n’est rien, dit la comtesse à Jean, vous savez cela mieux que personne.

Jean grimaça un mauvais sourire.

– Oh! dit-il, les dettes qui se payent tard amassent des intérêts, et si jamais je retrouve mon homme…

– Ne parlons que de ma femme, vicomte.

– Je n’ai plus rien à vous en dire; allez!

Et Jean se rangea pour laisser passer la voiture.

– Où m’attendez-vous?

– Dans l’hôtellerie même; je demanderai une bouteille de vin d’Espagne, et s’il vous faut main-forte, j’arriverai.

– Touche, cocher! s’écria la comtesse.

– Rue Saint-Germain-des-Prés, au Coq chantant, ajouta le vicomte.

La voiture partit impétueusement dans les Champs-Élysées.

Un quart d’heure après, elle s’arrêtait près de la rue Abbatiale et du marché Sainte-Marguerite.

Là, madame du Barry mit pied à terre, car elle craignit que le roulement d’une voiture n’avertît la vieille rusée, aux aguets sans doute, et que, se jetant derrière quelque rideau, elle n’aperçût la visiteuse assez à temps pour l’éviter.

En conséquence, seule avec son laquais, qui marchait derrière elle, la comtesse gagna rapidement la rue Abbatiale, qui ne renfermait que trois maisons, dont l’hôtellerie sise au milieu.

Elle s’engouffra plutôt qu’elle n’entra dans le porche béant de l’auberge.

Nul ne la vit entrer; mais au pied de l’escalier de bois, elle rencontra l’hôtesse.

– Madame de Béarn? dit-elle.

– Madame de Béarn est bien malade, et ne peut recevoir.

– Malade; justement, dit la comtesse, je viens demander de ses nouvelles.

Et, légère comme un oiseau, elle fut au haut de l’escalier en une seconde.

– Madame, madame, cria l’hôtesse, on force votre porte!

– Qui donc? demanda la vieille plaideuse du fond de sa chambre.

– Moi, fit la comtesse en se présentant soudain sur le seuil avec une physionomie parfaitement assortie à la circonstance, car elle souriait la politesse et grimaçait la condoléance.

– Madame la comtesse ici! s’écria la plaideuse pâle d’effroi.

– Oui, chère madame, et qui vient vous témoigner toute la part qu’elle prend à votre malheur, dont j’ai été instruite à l’instant même. Racontez-moi donc l’accident, je vous prie.

– Mais je n’ose, madame, vous offrir de vous asseoir en ce taudis.

– Je sais que vous avez un château en Touraine et j’excuse l’hôtellerie.

La comtesse s’assit. Madame de Béarn comprit qu’elle s’installait.

– Vous paraissez beaucoup souffrir, madame? demanda madame du Barry.

– Horriblement.

– À la jambe droite? Oh! Dieu! mais comment avez-vous donc fait pour vous brûler à la jambe?

– Rien de plus simple: je tenais la cafetière, le manche a glissé dans ma main, l’eau s’en est échappée bouillante, et mon pied en a reçu la valeur d’un verre.

– C’est épouvantable!

La vieille poussa un soupir.

– Oh! oui, fit-elle, épouvantable. Mais que voulez-vous! les malheurs vont par troupes.

– Vous savez que le roi vous attendait ce matin?

– Vous redoublez mon désespoir, madame.

– Sa Majesté n’est point contente, madame, d’avoir manqué à vous voir.

– J’ai mon excuse dans ma souffrance, et je compte bien présenter mes très humbles excuses à Sa Majesté.

– Je ne dis pas cela pour vous causer le moindre chagrin, dit madame du Barry, qui voyait combien la vieille était gourmée, je voulais seulement vous faire comprendre combien Sa Majesté tenait à cette démarche et en était reconnaissante.

– Vous voyez ma position, madame.

– Sans doute; mais voulez-vous que je vous dise une chose?

– Dites; je serai fort honorée de l’entendre.

– C’est que, selon toute probabilité, votre accident vient d’une grande émotion que vous avez ressentie.

– Oh! je ne dis pas non, dit la plaideuse en faisant une révérence du buste seulement; j’ai été fort émue de l’honneur que vous me fîtes en me recevant si gracieusement chez vous.

– Je crois qu’il y a eu encore autre chose.

– Autre chose? Ma foi, non, rien que je sache, madame.

– Oh! si fait, une rencontre?…

– Que j’aurais faite!

– Oui, en sortant de chez moi.

– Je n’ai rencontré personne, madame. J’étais dans le carrosse de monsieur votre frère.

– Avant de monter dans le carrosse.

La plaideuse eut l’air de chercher.

– Pendant que vous descendiez les degrés du perron.

La plaideuse feignit une plus grande attention encore.

– Oui, dit madame du Barry avec un sourire mêlé d’impatience, quelqu’un entrait dans la cour comme vous sortiez de la maison.

– J’ai du malheur, madame, je ne me souviens pas.

– Une femme… Ah! vous y êtes maintenant.

– J’ai la vue si basse, qu’à deux pas de moi que vous êtes, madame, je ne distingue point. Ainsi, jugez.

– Allons, elle est forte, se dit tout bas la comtesse. Ne rusons pas, elle me battrait.

– Eh bien! puisque vous n’avez pas vu cette dame, continua-t-elle tout haut, je veux vous dire qui elle est.