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– Certainement, dit le notaire; mais, continua-t-il, ne pouvant repousser entièrement le sentiment du doute, vous changerez peut-être d’avis, et il serait prudent d’attendre.

– Vous voulez que je me soumette à un temps d’épreuve, soit, je ne demande pas mieux. Donnez-moi cette procuration en blanc; nous sommes aujourd’hui le 8 mai, d’aujourd’hui en six semaines, vous la recevrez. Êtes-vous content? Maintenant, procurez-moi pour cinq ou six mille francs d’or, envoyez chercher des chevaux de poste avec ce passe-port qui n’est pas encore expiré; qu’ils prennent en passant ma calèche de voyage chez mon carrossier, et viennent m’attendre à votre porte.

Le notaire s’apprêtait à faire des objections sur ce prompt départ, Fernande poursuivit:

– À Paris, on a tout ce qu’on veut et quand on le veut: donnez donc des ordres, je vous prie; vous avez assez d’amitié pour moi, je le sais, pour me pardonner d’en agir ainsi avec vous.

Le notaire ne fit plus aucune objection; son valet de chambre, homme discret et intelligent, fut chargé de toutes ces commissions; puis il revint s’asseoir auprès de sa belle cliente, et la regardant avec une expression de douce pitié:

– Que s’est-il donc passé, pauvre amie? lui demanda-t-il.

– Ce qui s’est passé? reprit Fernande, ce qui devait se passer un jour ou l’autre avec le caractère que vous me connaissez. Une émotion violente a fait naître dans mon âme une résolution forte. Vous savez bien, mon ami, que j’ai toujours aimé à vivre dans l’indépendance d’une vie régulière. Eh bien, le moment est venu. Hier, j’étais encore plongée dans les ténèbres; tout à coup un éclair a lui, illuminant un temps plus heureux; je me suis rappelé qui j’étais et ce que je devais être, ma résolution a été prise et accomplie sans secousse, et quelque étrange, quelque inattendue qu’elle soit comme elle est irrévocable, je suis calme, vous le voyez, presque heureuse même. Eh bien, si, ce que je ne crois pas, l’ennui se fait sentir, je reviendrai demander à cette grande ville des distractions permises, je me ferai homme, homme mûr et raisonnable, puisque je ne dois goûter ni le bonheur du mariage ni les joies de la maternité; c’est le seul parti qui me reste à prendre: pas un mot à cet égard, mon ami; il se pourrait qu’un homme fût assez fou pour vouloir m’épouser; moi je serai toujours assez prudente pour ne jamais accepter aucune proposition de ce genre; je ne dois pas oublier qu’on pourrait un jour faire rougir le front de mes enfants au souvenir de ce que fut leur mère.

Et de sa main blanche, aux doigts déliés, elle alla chercher la main un peu tremblante du notaire.

– Eh bien, mais, dit-elle, encouragez-moi donc dans mes bonnes résolutions; ne m’avez-vous pas entendu plus d’une fois établir cette théorie?

– Oui, reprit-il, mais je n’avais jamais cru vous la voir mettre à exécution.

– Vous étiez hier à l’Opéra? dit Fernande changeant brusquement non-seulement de sujet de conversation, mais encore de voix et de maintien; qu’y disait-on?

– On y remarquait votre absence.

– En vérité! alors que dira-t-on demain? que je suis partie pour Londres ou pour Saint-Pétersbourg? Laissez dire, mon ami, et n’oubliez pas que mon secret est confié à votre probité; laissez dire, et, si un jour vous vous ennuyez de l’absence de votre ancienne amie, et que les testaments et les contrats de mariage vous laissent une semaine, venez me voir dans mon ermitage.

– Fernande! Fernande! je crains bien que vous n’éprouviez de tristes déceptions.

– Que voulez-vous! en tout cas, il n’y aura pas à s’en dédire, car j’aurai quitté Paris par-devant notaire. Ah! vous souriez enfin, mon cher tabellion; vous êtes tellement mondain que je ne trouverai, je le vois, grâce de ma raison à vos yeux qu’en vous disant des folies. Qu’à cela ne tienne; j’ai l’esprit assez libre pour vous tenir tête. Il y a plus: comme vous êtes garçon, et que je n’éveillerai, par conséquent, la jalousie de personne, donnez-moi à déjeuner, là, au coin du feu, des côtelettes et du vin de Champagne frappé.

– Non, non, pauvre folle! s’écria le notaire les yeux pleins de larmes à la vue de cette gaieté factice; non: vous vous agitez vainement, je devine ce que vous ne voulez pas dire. Il y a quelque passion bien profonde et bien malheureuse sous votre sourire; quelque infidélité d’un homme que vous aimez, quelque rupture, n’est-il pas vrai? Avouez-moi cela; voyons, je vous en supplie. Vous savez combien je vous suis dévoué; mes conseils viendront du cœur. Ce ton dégagé, ce langage frivole vous sont d’ordinaire si étrangers, qu’ils vous trahissent en ce moment. Vous voulez déguiser quelque chagrin qui vous ronge le cœur, vous essayez de vous punir des perfidies d’un amant. Parlez, parlez, je vous en prie au nom de notre ancienne amitié. Je puis tout réparer peut-être: la vérité, Fernande, la vérité!

– La vérité, répondit Fernande avec cette candeur grave et gracieuse qui n’appartenait qu’à elle: dans toutes les circonstances importantes de ma vie, je vous l’ai dite sans déguisement comme sans effort. Aujourd’hui, je vous la dirais tout entière encore si mon secret était à moi seule, quoique cette confidence dût être inutile au point de vue où vous l’envisagez, car que pourrait toute votre expérience sur cette matière impalpable qu’on appelle le passé? Croyez-moi, mon ami, je suis sincère, d’ailleurs, je n’aurais aucun intérêt à ne l’être pas avec vous; je pars libre, je pars sans y être forcée; je pars repoussée hors de Paris par le dégoût du passé, entraînée par l’espérance de l’avenir. La bonne intention mène aux bonnes œuvres. Maintenant, me croyez-vous?

– Il le faut bien, puisque vous ne voulez pas me dire autre chose.

– Eh bien, me refuserez-vous encore à déjeuner?

Le notaire sonna et donna ses ordres. Dix minutes après une petite table était apportée, toute servie.

Fernande fut charmante pendant ce dernier repas. On eût dit que, par une innocente coquetterie, elle voulait laisser des impressions encore nouvelles à celui qui la connaissait si bien.

À neuf heures, on entendit la voiture entrer dans la cour: un instant après, le valet de chambre parut avec l’or demandé. Tout était prêt, Fernande se leva en souriant.

Le notaire ne pouvait croire encore que tout cela ne fût pas une espèce de songe qui allait s’évanouir.

– Et seule, seule pour un si long voyage! dit-il en voyant Fernande prendre sa mante et son chapeau.

– C’est un nouveau monde que je cherche, dit Fernande; si je le découvre, rien ne doit m’y rappeler le vieux monde que je quitte. Je ne veux humilier personne par mon repentir.

Puis, avec une grâce charmante:

– Allons, dit-elle, comme c’est la dernière fois que nous nous voyons peut être, cela vaut bien la peine que vous me reconduisiez jusqu’en bas.

Le notaire conduisit Fernande jusqu’à la voiture.

– Vraiment, lui dit-il, si les voisins n’étaient pas aux fenêtres pour nous regarder, je me mettrais à genoux pour baiser le bas de votre robe, tant vous êtes une femme charmante, et tant je suis sûr qu’il y a quelque grand dévouement caché sous votre simplicité.