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Il y avait dans le langage de Fernande un tel mélange de poésie et de réalité, de simplicité et d’exaltation, que Maurice ne cherchait pas même à répondre; il regardait, il écoutait; cette situation de l’âme du jeune homme était trop favorable aux projets de Fernande pour qu’elle ne fît pas un effort sur elle-même pour en profiter. Remplaçant donc par un doux et mélancolique sourire cet éclair d’enthousiasme qui avait jailli de ses yeux en illuminant son visage, elle continua, en posant sa main sur le cœur du jeune homme:

– Me comprenez-vous maintenant, Maurice? Ce cœur que je connais si bon et si généreux, ce cœur que j’ai toujours senti battre sous ma main quand il s’est agi d’un de ces sentiments si délicats qu’ils échappent aux autres hommes; ce cœur comprend-il pourquoi Fernande, redevenue pour vous une chaste maîtresse, trompée par vous, s’est refaite courtisane?

– Oh! oui, oui! s’écria Maurice; aussi, Fernande, Dieu m’est témoin que, de tout ce qui s’est passé, je ne veux rien entendre, je ne veux rien savoir; que non-seulement je pardonne, mais encore que j’oublie.

– Oui, Maurice, oui, dit Fernande, j’accepte le pardon, mais je refuse l’oubli.

– Et pourquoi? mon Dieu! pourquoi? demanda Maurice.

– Parce que notre liaison n’était pas de ces liaisons banales, qui se rompent et qui se reprennent. Non, non, Maurice, fermez les yeux du corps, oubliez que vous avez là près de vous, assise sur votre lit, une femme jeune et que l’on dit belle: que votre cœur me regarde et m’entende. Maurice, nous rapprocher l’un de l’autre maintenant, ce serait plus qu’un crime, ce serait une profanation. Croyez-moi, ce que nous avons éprouvé, on ne l’éprouve qu’une fois. Les brûlantes extases se sont glacées pour ne plus renaître. Le délire de la passion, refroidi chez vous et chez moi par nos larmes mêmes, n’aurait plus son excuse. Maurice, soyez homme courageux comme je veux être femme sans reproche.

– Oh! mon Dieu! mon Dieu! dit Maurice entrevoyant pour la première fois le but véritable de Fernande, qu’il avait inutilement cherché pendant tout ce long discours. Mais savez-vous que ce que vous demandez là, c’est détruire à jamais notre liaison, et par conséquent ma seule, mon unique espérance? – Savez-vous, – oui, vous le savez bien, – savez-vous que mon amour, c’est ma vie?

– Je ne suis plus digne de votre amour, Maurice. J’ai voulu, en vous expliquant tout, laver l’âme et non le corps. Mon âme est toujours digne de vous, Maurice, car elle n’a failli que pour vous avoir trop aimé; mais la femme a appartenu à un autre.

– Oh! que m’importe, puisqu’en cédant à un autre, j’étais le seul que vous aimiez!

– Ne parlez pas ainsi, Maurice, ne parlez pas ainsi, reprit Fernande avec douceur; car je vous dis, moi, que tout rapprochement est impossible.

– Fernande, s’écria Maurice, il n’y a rien d’impossible avec la volonté.

– Maurice, dit Fernande avec un accent de froide résignation, Maurice, l’amant que j’ai pris après vous, savez-vous son nom?

– Oh! non, non, je ne le sais pas, et je veux toujours l’ignorer.

– Eh bien! je dois vous le dire, moi; cet amant, c’est M. de Montgiroux.

– Le comte! s’écria Maurice en joignant les mains, le comte de Montgiroux! Oh! madame, l’ai-je bien entendu?

– Le connaissais-je Maurice? L’avais-je jamais vu? répondit Fernande. Savais-je qu’il était votre père?

– Mon père! mon père! s’écria Maurice. Qui donc vous a appris cela?

– Pardon, Maurice, dit humblement Fernande en joignant les mains, je ne dénonce ni n’accuse, je ne répète que ce que madame de Barthèle lui disait à lui-même hier au soir.

Il sembla à Fernande qu’elle venait d’entendre un gémissement étouffé; elle regarda autour d’elle, mais comme elle ne vit personne, elle crut s’être trompée.

Alors elle reprit après un instant de morne silence:

– Comprenez-vous, Maurice, tout ce qu’il y a de terrible pour nous dans cette seule parole: M. de Montgiroux est votre père!

Maurice baissa la tête, et, sans qu’il répondît un seul mot, des larmes ruisselèrent sur ses joues pâles.

– Vous le voyez bien, Maurice, continua Fernande, nous n’avons plus qu’à gémir sur le passé; car vous le savez, vous, si je suis une de ces femmes sans scrupule et sans conscience qui se rient des choses les plus saintes. Et cependant, Maurice, il faut que je vous le dise, car je dois vous faire ma confession tout entière, un instant, dans cette maison, malgré la présence de votre femme, mon cœur s’est ouvert à cette idée que les choses pouvaient renaître entre nous comme auparavant. Mais toute mauvaise pensée porte son châtiment avec elle. À peine avais-je rêvé cette trahison, que j’en ai été punie par la révélation du secret fatal. Alors, Maurice, tout a été fini. Et cette volonté irrévocable a été prise en moi-même de ne pas faire un pas de plus en avant, de m’arrêter là où j’étais. Aussi, aussi, Maurice, je vous le jure, tout à l’heure j’ai frissonné jusqu’au plus profond de mon cœur, j’ai tressailli de terreur jusqu’au plus intime de mon être, quand M. de Montgiroux est venu m’offrir sa main, son nom, sa fortune. Comprenez-vous? moi, Maurice, la femme de votre père! moi, Fernande, comtesse de Montgiroux! Et cependant, Maurice, j’ai écouté tout cela, le cœur brisé, mais le visage calme, car je voyais quelque chose de triste et digne de pitié dans cet amour d’un vieillard dont le monde eût ri peut-être; amour assez grand, assez absolu pour faire franchir à un homme comme le comte, à un homme pour lequel l’opinion du monde a toujours été une invariable boussole, la distance qui le séparait de moi. Oh! mon Dieu! Maurice, je le sais bien, et c’est fâcheux à dire, que pour les gens du monde, si rigides quand il s’agit des lois de l’étiquette, l’inceste n’existe qu’en vertu d’un contrat, qu’à la condition d’une cérémonie civile ou religieuse, tant la loi des conventions sociales remplace en eux la loi de la nature! Mais moi, moi, Maurice, moi, dans ma pudeur, permettez-moi ce mot, je me suis sentie frappée; et vous-même, Maurice, vous-même, tenez, votre abattement me prouve que vous sentez comme moi. Courbons donc la tête, et commençons, vous, Maurice, un avenir de bonheur, moi un avenir d’expiation. – Ne secouez pas la tête, Maurice, à ce mot de bonheur; à votre âge, le bonheur est une œuvre dont on peut facilement se faire l’artiste, une statue dont tout homme, après l’avoir taillée à sa fantaisie, peut devenir le Pygmalion.

Un soupir sortit de la poitrine oppressée du jeune homme. Son regard était devenu fixe et troublé, un profond abattement avait remplacé la véhémence de la passion. Fernande s’empara de la main qu’il tenait crispée contre son cœur comme pour y comprimer une douleur cuisante, et pensant qu’il fallait le tirer de cet état, fût-ce par une secousse.

– Ainsi donc, Maurice, dit-elle arrivant à son but par un détour, il ne nous est plus permis de fléchir dans la route que nous nous sommes tracée. Dieu a mis un crime derrière nous pour que nous ne repassions plus par le même chemin, et peut-être un jour regarderez-vous comme une preuve de sa bonté ce que vous croyez être aujourd’hui une manifestation de sa colère. Maurice, je vous l’ai dit, de nous deux, et j’en remercie le ciel, vous êtes l’être privilégié; car vous avez près de vous, prêt à renaître, le sentiment qui vous semblait mort à tout jamais dans votre cœur. Oh! mon Dieu! vous ne savez pas encore quelle est la mobilité de notre pauvre cœur humain. Maurice, croyez-en une femme. Clotilde est bien jeune, Clotilde est bien belle, Clotilde est bien faite pour être aimée.