Изменить стиль страницы

Il y a des notaires de femmes, comme il y a des médecins de femmes; le notaire de Fernande était un élégant jeune homme de trente à trente-quatre ans, dont le cabinet ressemblait infiniment plus au boudoir d’un petit maître qu’au sanctuaire d’un légiste; c’était un de ces rares privilégiés qui ont payé leur étude sans avoir eu besoin de spéculer sur une dot, de sorte qu’ayant eu le bonheur de rester garçon, il avait conservé le privilège de la galanterie avec ses clientes. Un instant séduit comme tout le monde par le charme invincible qui enveloppait Fernande, il avait essayé de lui plaire et avait conçu l’espoir de réussir; mais bientôt, s’apercevant de l’inutilité de ses tentatives, il avait pris gaîment son parti de cette défaite, et, transformant ses espérances amoureuses en affection sincère, il était devenu, non-seulement le confident des intérêts matériels, mais encore l’ami de Fernande.

Elle le trouva donc debout, quoiqu’il fût sept heures du matin à peine, car inquiet de ce message, et surtout de l’heure insolite à laquelle il lui était parvenu, il avait sauté en bas de son lit, et s’était hâté de se mettre en état de recevoir Fernande.

– Que signifie cette visite matinale, ma chère cliente? lui dit-il. Hâtez-vous de me rassurer, car vous me voyez on ne peut plus inquiet, surtout si vous êtes déjà levée; si vous n’êtes pas encore couchée, c’est autre chose.

– Eh bien, soyez tranquille, mon cher tabellion, dit Fernande en souriant d’un air triste, je ne suis pas encore couchée.

– Alors, je suis moins inquiet; maintenant, asseyez-vous, et contez-moi l’affaire à laquelle je dois le bonheur d’un si charmant réveil.

Et il approcha d’une cheminée élégamment habillée de velours un grand fauteuil à dossier rembourré, poussa sous les pieds de Fernande un coussin de tapisserie, et s’assit en face de la jeune femme.

– Écoutez-moi, dit Fernande; vous êtes plus que mon conseil, vous êtes mon ami; c’est à vous seul que je puis confier mes projets, car je vous sais discret comme un confesseur. D’ailleurs, je vous préviens que vous seul saurez ce que je vais vous dire. Si je suis trahie, la trahison viendra donc de vous.

– Oh! mon Dieu! mais savez-vous que voilà un début qui me rend à ma terreur première? Vous êtes ce matin d’une solennité effrayante.

– C’est que je viens de prendre une grande résolution, mon cher ami, une résolution irrévocable; je commence par vous prévenir de cela afin que vous n’essayiez pas même de la combattre.

– Et laquelle, bon Dieu! entrez-vous aux Carmélites?

– J’en ai d’abord eu l’idée, dit Fernande en souriant; mais vous savez que je suis l’ennemie de toute exagération. Non, je me contente de quitter Paris pour ne plus y revenir… Pas un mot, cher ami, rien ne saurait être changé à ma détermination. Vous connaîtrez seul le lieu de ma retraite; je vais habiter le domaine que vous avez acheté pour moi, et dans lequel vous savez que je voulais me retirer quand je serais vieille. J’avance de quelques années une solitude prévue, voilà tout; je pars sans regret. Maintenant, voyons ce que je possède; parlez-moi de mes affaires de fortune. Vous voilà bien surpris, n’est-ce pas? C’est la première fois que je vous tiens ce langage; j’ajouterai que, si je suis riche, c’est à vous que je dois cette position, qui me permet de vivre indépendante: ma reconnaissance vous est donc complètement acquise.

Il y avait tant de calme dans le maintien de Fernande, son langage était si précis et si nettement accentué, que le notaire baissa la tête en signe d’adhésion forcée. Il prévit que devant une pareille résolution il n’y avait pas une observation à faire, et, sans dire un mot, il alla chercher le carton où se trouvaient les dossiers relatifs à la fortune de sa cliente; puis, donnant à sa figure une expression grave dans laquelle on eût vainement cherché le moindre reste de galanterie, il prit la parole en notaire, en dépositaire de titres, en confident de transactions financières, sans embarrasser l’explication nécessaire d’une seule observation inutile.

– Ainsi, dit-il, vous voulez savoir positivement ce que vous possédez en biens meubles et immeubles?

– En tout, cher ami.

– Primo: le domaine acquis en votre nom depuis déjà deux ans, augmenté des terres récemment achetées.

– Quel est le rapport du tout?

– Vingt mille francs par an; tous les baux ont été renouvelés au mois de novembre dernier.

– Après?

– Secundo: reconnaissance d’une somme de cent cinquante mille francs, prêtée sur première hypothèque au taux légal de 5 du 100.

– Ce qui fait par an?

– Sept mille cinq cents francs.

– Mais savez-vous, mon cher ami, que je suis véritablement riche? dit Fernande.

– Attendez donc.

– Comment, ce n’est pas tout?

– Tertio: en rentes sur l’État, 3 pour 100 et 5 pour 100, huit coupons s’élevant ensemble à dix mille francs de rente, qui, ajoutés aux vingt mille francs du domaine et aux sept mille cinq cents francs susdits, forment un capital de trente-sept mille cinq cents francs de rente libre de toutes charges et impôts. Voici, chère amie, l’état exact de votre fortune: êtes vous contente?

– Je suis émerveillée; elle dépasse de beaucoup ce que je croyais avoir. Maintenant, cher ami, écoutez bien mes dernières instructions. Voici une note des choses que je désire recevoir; vous voyez qu’à part une chambre tout entière, que je veux recevoir là-bas, lits, tableaux, tentures et meubles, telle qu’elle est enfin, je ne vous demande que mon piano, ma musique, mes livres, ma boîte à couleurs, mon chevalet, mes statuettes et mes esquisses.

– Mais tout le reste, qu’en ferons-nous?

– Attendez; voici la clef de ma petite table de bois de rose, qui faisait toujours votre admiration, et qui de ce moment est à vous; vous trouverez dans le second tiroir mes bijoux et mes diamants, vous les vendrez au plus honnête joaillier que vous connaissez. Je vous dis cela parce que ce n’est plus moi qu’il volerait, mais les pauvres de ma paroisse, à qui le produit de cette vente est destiné.

Le notaire s’inclina.

– Et les autres meubles? dit-il.

– Vous les vendrez aussi, mais non en vente publique; en bloc, à Montbro ou à Cansberg, chez lesquels je les ai achetés presque tous. Sur ce produit, vous prélèverez pour tous mes domestiques une année entière de gages, que vous leur donnerez en mon nom.

– Très-bien, et le reste?

– Le reste, vous le placerez. Quant à ma garde-robe, sans exception aucune, elle appartient à mes femmes de chambre. Je suis désormais morte au monde. La femme que vous avez connue, continua Fernande en voyant le mouvement de surprise du notaire, a cessé de vivre, mais il en existe une autre qui succède à celle-là, qui répudie toutes ses mauvaises pensées, qui hérite de tous ses bons sentiments, et celle-là, croyez-le bien, ne perdra jamais le souvenir de votre bienveillance. Maintenant, n’est-il pas nécessaire que pour tout cela je vous remette une espèce de procuration, un pouvoir, un papier quelconque?