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– C’est à moi, madame la baronne, dit-elle, de faire maintenant à notre ami les honneurs de l’hospitalité.

Puis, se retournant vers son mari:

– Maurice, dit-elle, nous allons vous laisser; il est onze heures passées, il ne faut pas trop présumer de vos forces. Soyez calme, et songez que tout le monde ici fait non-seulement des vœux pour votre santé, mais encore pour votre bonheur.

Le silence, dans certaines situations devient plus éloquent qu’aucune parole qu’on puisse dire. Un doux regard et un faible soupir furent la seule réponse du malade, et cette réponse fut comprise tout à la fois de Clotilde et de Fernande.

Le pair de France seul était resté comme cloué sur son fauteuil, en proie qu’il semblait être à des réflexions profondes et au combat de résolutions contradictoires.

– Monsieur de Montgiroux, dit madame de Barthèle, n’êtes-vous pas aussi d’avis qu’il est temps de se retirer, et de laisser Maurice commencer sa nuit? Il doit, comme chacun de nous, et plus que chacun de nous, avoir besoin de repos, après une journée si agitée et si fatigante.

Le comte, tiré de sa somnolence fiévreuse, se leva, murmura quelques paroles qui semblaient la confirmation de la pensée émise par la baronne, et docile comme un enfant coupable, il sortit après avoir serré la main de Maurice et salué la baronne, Clotilde et Fernande.

Maurice exigea qu’on le laissât seul, affirmant qu’il n’avait pas de garde plus fidèle à espérer que sa propre pensée, avec laquelle il avait grand besoin de se retrouver à son tour, et que son valet de chambre, qui resterait dans la chambre à côté, et à portée du bruit de sa voix ou de sa sonnette, lui suffirait parfaitement. Le docteur, interrogé, n’eut pas de volonté à cet égard; il répondit qu’il fallait laisser le malade faire comme il l’entendrait, et ne le contrarier que pour les choses nécessaires; si bien que la mère, rassurée, n’insista point pour qu’il en fût autrement. Elle embrassa tendrement Maurice, tandis que Clotilde saluait son mari, d’un dernier regard et sortait pour conduire Fernande à son appartement; et bientôt dans cette demeure redevenue calme, en apparence du moins, au sein de la nuit silencieuse, le drame du cœur n’eut plus que des monologues.

Dans la lutte incessante des passions que fait naître l’égoïsme inhérent de la nature humaine, et qui, filles religieuses, l’alimentent à leur tour, la plus vivace entre toutes devait travailler intérieurement les cinq personnes qui habitaient encore le château de Fontenay, et surtout lorsqu’elles purent descendre en elles-mêmes dans la solitude et l’isolement, libres de toute obsession étrangère. Alors la jalousie, ou, réduisons le mot poétique à sa juste expression matérielle, alors l’amour de la propriété déploya ses ailes dans les espaces de la pensée, pour les replier ensuite avec précaution autour du nid où se couvent les plus chères espérances, où se concentrent, pour chacun, les biens qu’il regarde comme les plus précieux, où l’avare pond son or, où l’ambitieux réchauffe l’œuf sans germe des grandeurs, où l’amant renoue la chaîne brisée de sa constance; car depuis le jour où, pour la première fois, l’homme, dans le but de satisfaire ses appétits, étendit la main vers une proie, et s’assimila ce qu’il pouvait saisir, acquérir et conserver devinrent les deux principes corrélatifs de son existence. – Nos cinq personnages, retirés chez eux ou isolés par le départ des autres, agitaient donc dans la cellule de leur conscience respective la question individuelle, l’envisageant chacun à son point de vue particulier.

Le comte de Montgiroux, en sa qualité d’homme d’État, de législateur, de juge, d’amant et de vieillard, devait tenir à son droit de propriété comme à la plus importante des prérogatives que donnent le rang, la fortune et la position sociale, et s’y cramponner, par conséquent, avec toute l’énergie d’une volonté qui brille de sa dernière lueur. Or Fernande était maintenant pour lui la chose la plus précieuse, la chose qui lui tenait le plus au cœur, et surtout depuis qu’il la voyait ainsi convoitée et attaquée de tous côtés. Aussi, pour la conserver, était-il prêt aux plus grands sacrifices.

Il y avait deux moyens, selon le comte, de conserver Fernande.

Le premier, celui qui, naturellement, devait se présenter à un esprit faible et habitué à la soumission, était la ruse. Madame de Barthèle lui avait, le soir même, et dans son tête-à-tête au milieu du monde, glissé quelques mots de la nécessité de l’union qu’elle avait résolue; et le comte, qui l’avait d’abord mentalement repoussée de toutes les forces de son esprit, s’y était peu à peu habitué, en pensant que c’était un moyen de continuer avec Fernande la vie de mystère qui lui promettait le bonheur. Il ferait à madame de Barthèle la concession de devenir son mari, elle lui ferait celle de lui laisser sa maîtresse. M. de Montgiroux avait l’habitude des grandes transactions politiques et sociales.

Malheureusement, en adoptant cette ingénieuse combinaison, le bonheur du pair de France reposait toujours sur ce point douteux, l’adhésion de Fernande. Or, il connaissait assez Fernande pour croire qu’elle se prêterait difficilement à cet arrangement, quelque logique et convenable qu’il fut.

L’autre moyen était une des ressources qu’on repousse d’abord comme insensées, puis qui se représentent après avoir grandi dans l’éloignement où on les a repoussées, et qui, bientôt, reviennent grandissant toujours, jusqu’à ce qu’elles vous enveloppent d’une obsession éternelle, perdant chaque fois un peu de la terreur qu’elles vous inspiraient; enfin, après une lutte triomphante, elles vous apparaissent comme une chose redevenue naturelle de monstrueuse qu’elle était auparavant, et dont, à force de les lécher, la mère obstinée parvient à faire des oursons.

M. de Montgiroux avait si bien tourné et retourné ce projet informe et monstrueux dans sa pensée, qu’il avait fini par en faire une chose qui lui paraissait très-arrangeable; maintenant, le projet n’était autre que d’épouser Fernande.

– Il y a un fait positif, se disait-il en lui-même, c’est que je ne puis plus être heureux maintenant sans la possession de cette charmante femme, qui est devenue nécessaire à ma vie. Or, j’apaiserai plus facilement madame de Barthèle que je ne parviendrai à fixer Fernande. Si je dois me marier pour faire un acte de raison ou de folie, que ce soit au moins dans l’intérêt de mon bonheur et pour embellir mes dernières années. Fernande est une fille de bonne maison, d’un noble caractère, d’un esprit cultivé, qui sentira la grandeur du sacrifice que je fais pour elle. Devenue ma femme, elle se croira obligée, pour racheter ses fautes passées, de se conduire d’une manière irréprochable. Alors je ne craindrai plus de rivaux, si jeunes et si séduisants qu’ils soient. Maurice, surtout devra respecter la femme de son oncle, que dis-je? la femme de son père. Madame de Barthèle, une fois calmée, comprendra et fera comprendre à tous que j’agis ainsi dans l’unique but de rendre Maurice à Clotilde, et pour briser en lui les dernières espérances d’un fol et coupable amour. Fernande, dira-t-on, avait résisté; cela même fera bien dans le monde, que Fernande ait résisté à Maurice. Cette résistance avait produit un désespoir profond, un désespoir qui pouvait mener Maurice au tombeau. Ces considérations m’auront déterminé, j’aurai même tout l’honneur d’un grand dévouement. Madame de Barthèle elle-même donnera au monde ce bel exemple d’amour maternel et de respect humain. Notre conduite sera interprétée dans le sens le plus convenable, si nous savons choisir un de ces moments où la société est bien disposée. Enfin, cette aventure romanesque sera d’autant plus touchante, qu’elle contiendra plus d’invraisemblances. Je connais le monde, il croit tout ce qu’on veut lui faire croire, pourvu que les choses soient incroyables; c’est le meilleur parti, le parti auquel je dois m’arrêter, le parti qui concilie tout, et, par conséquent, le parti le plus sage. Je m’y arrête donc décidément. Ma vie publique appartient au pays. Et Dieu merci! pendant les quarante années que je lui ai données, j’ai fait assez de sacrifices à la patrie; mais ma vie privée est à moi seul, et je puis la diriger comme bon me semble. D’ailleurs, quand je serai heureux, que m’importe ce qu’on dira? et puis, combien de temps dira-t-on quelque chose? Mon mariage fera bruit huit jours avant, huit jours après sa célébration: on en parlera beaucoup pendant six semaines, on s’en occupera encore pendant un mois, par hasard, et quand la conversation tombera là-dessus. J’irai aux eaux avec Fernande; elle y sera charmante et séduira tout le monde. Je parlerai de mes projets de réception pour l’hiver, une fois par semaine, tantôt un bal, tantôt une soirée musicale. Je suis riche, j’aurai chez moi les plus jolies femmes et les meilleurs chanteurs de Paris: au bout de trois mois en se disputera mes invitations, et au moins de cette façon, j’aurai une maison, un ménage, un foyer domestique, bonheur dont j’ai été constamment privé, moi qui étais né pour les vertus intérieures de la vie intime. Ainsi, c’est décidé, je profite des émotions de la journée, qui ont dû mettre ma belle Fernande en disposition de m’entendre. Je connais tous les passages de la maison, un corridor seulement nous sépare: bientôt chacun dormira, et moi je profiterai du sommeil de tout le monde pour lui porter cette bonne nouvelle.