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Un sourire des plus gracieux accompagna ces dernières paroles, que Léon écouta d’un air stupéfait; puis Clotilde se leva, et voyant à côté de madame de Neuilly une place vide, quelque peu de sympathie qu’elle eût pour son acariâtre cousine, elle alla s’asseoir auprès d’elle.

Il était temps; la veuve, les yeux fixés sur l’aiguille de la pendule, ne calculait déjà plus par minutes, mais par secondes.

– Ah! chère Clotilde, s’écria-t-elle de cet air aigre-doux qui lui était habituel, que vous êtes donc une personne charmante de vous apercevoir de mon isolement… Je suis véritablement enchantée que vous veniez causer un instant avec moi; j’ai tant de choses à vous dire… Ah! depuis que je ne vous ai vue, ma pauvre chère, j’en ai appris de belles sur mon ancienne compagne de Saint-Denis. D’abord elle n’est pas mariée; ensuite sa conduite est plus que légère. Enfin elle est horriblement compromise.

– Ma cousine, interrompit Clotilde d’un ton sec, en supposant que tout cela fût vrai, croyez que, pendant tout le temps qu’elle est ici du moins, je me serais très-volontiers contentée de l’ignorer.

– Vous n’ignorez pas au moins qu’elle a fait tourner la tête à votre mari?

– Je suis convaincue que Maurice va m’assurer le contraire, répondit Clotilde en se levant.

Et elle alla s’asseoir près du malade pour y chercher un refuge contre les autres et contre elle-même.

Pendant ce temps, la baronne, de son côté, causait à voix basse avec le comte.

– Comte, lui disait-elle, j’ai cru au premier abord, et avec ma confiance naturelle, à tout ce que vous m’avez dit à propos de Fernande.

Le comte tressaillit; puis se remettant aussitôt:

– Et vous avez bien fait, baronne, lui répondit-il, car je vous ai dit, je vous jure, l’exacte vérité.

Le comte jurait facilement, comme on sait; il en était à son huitième serment.

– Ainsi, vous ne connaissez pas Fernande?

– C’est-à-dire que je la connaissais de vue, comme on connaît une femme à la mode.

– Et vous êtes toujours libre?

– Qu’entendez-vous par là?

– Qu’aucun lien inconnu ne vous enchaîne et ne vous empêche de faire du reste de votre vie ce que vous voulez?

– Aucun; mes devoirs politiques exceptés.

– Vos devoirs politiques n’ont rien à faire avec ce que j’ai à vous demander. Je vous remercie donc de m’avoir rassurée sur tous ces points; nous achèverons cette conversation plus tard et dans un autre endroit.

Et la baronne, à son tour, se leva et alla s’asseoir près de madame de Neuilly.

– Eh bien, ma bonne cousine, lui dit la veuve, qu’avez vous donc? je ne vous ai jamais vue si pâle; est-ce que par hasard M. de Montgiroux vous aurait avoué…?

– Quoi?

– Mais ce que tout le monde sait, mon Dieu! qu’il a une passion pour mon ancienne amie de pension, Fernande, et qu’il est l’heureux successeur de Maurice.

– Je ne sais, dit froidement la baronne, si M. de Montgiroux aime ou n’aime pas votre ancienne amie de pension, Fernande; mais ce que je sais, c’est que je vous invite à assister à mon mariage avec lui, qui aura lieu dans quinze jours ou trois semaines.

– Quelle folie! s’écria la veuve.

– Ce n’est pas une folie, madame, dit la baronne avec dignité; c’est purement et simplement la réparation d’un scandale qui, je m’en suis malheureusement aperçue bien tard, durait déjà depuis trop longtemps.

Et, se levant avec un froid salut, elle alla rejoindre Clotilde et prendre place avec elle près du lit de Maurice.

En ce moment, cédant à un mouvement presque irréfléchi, Fernande quittait Fabien, avec lequel elle était en train de causer, et allait s’asseoir, à son tour, près de madame de Neuilly.

– Ah! chère amie, dit la veuve, voici un mouvement dont je dois te savoir gré. Tu étais là, près d’un jeune homme beau, élégant, et qui sans doute te disait des choses charmantes, et tu le quittes pour venir causer avec une pauvre isolée. En tout cas, tu fais bien, car tu le sais, on est plus isolée au milieu d’un salon rempli de monde que dans le bosquet le plus solitaire, où quelqu’un peut nous écouter et nous entendre. Nous allons donc pouvoir enfin en venir aux confidences. Eh bien, voyons, que fait ton mari? Est-il jeune? est-il aimable? est-il riche? t’aime-t-il beaucoup?

Fernande la regarda d’un œil sévère. Toujours en garde contre les autres et souvent aussi contre elle-même, elle ne pouvait se méprendre à cette ironie vulgaire. Un tact trop fin l’avertissait ordinairement de toute intention hostile, et, dans les circonstances où elle se trouvait placée, ses pressentiments, joints à la connaissance approfondie qu’elle avait du caractère de la veuve, la mirent instinctivement en garde contre le danger. Mais, obligée de baisser la voix et de contraindre la véhémence de ses sentiments, il en résulta dans sa réponse une expression stridente qui fit tressaillir la veuve.

– Madame, dit Fernande, vous m’avez trouvée d’une réserve extrême envers vous, et ce respect que je vous ai rendu devrait désarmer votre justice. Ne soyez pas implacable pour une femme qui fut votre amie, et qui, avant que vous lui eussiez parlé, se reconnaissait déjà indigne de ce nom. Ne me forcez pas de me justifier hautement, car je ne le puis sans faire retomber le poids de mes fautes sur d’autres que sur moi. Plaignez-moi donc, madame, et ne m’accusez pas. La vertu perd de son auréole lorsqu’elle cesse d’être pitoyable envers les cœurs qui souffrent. Soyez bonne et indulgente; c’est un beau rôle et une noble conduite. Je ne voudrais rien vous dire, madame, qui sentît l’aigreur de mes justes ressentiments. Les femmes qu’on n’attaque point n’ont pas de peine à se défendre. Malheureusement cette vérité ne justifie nullement les femmes attaquées, et qui n’ont pas su remporter la victoire.

Alors la courtisane, soutenue par sa propre douleur, se leva, noble et digne comme une reine, alla se placer au piano, l’ouvrit et préluda de sa main savante. C’était rappeler à tous que la réunion dans la chambre de Maurice avait pour but de faire de la musique.

Pour elle seulement, la musique c’était l’isolement, c’était la solitude, c’était enfin un moyen de mettre dans sa voix les larmes qui gonflaient ses paupières, les sanglots qui brisaient sa poitrine. On fit silence, car il y avait quelque chose de si profond et de si vibrant dans le prélude, que chacun comprenait que le chant allait être quelque chose de souverainement beau.

Ce prélude annonçait la romance du Saule, ce chef-d’œuvre de douleur que l’on est si étonné de trouver grave, simple et sévère, au milieu des brillantes fioritures de la musique rossinienne, et qui dut, lorsqu’elle parut, laisser deviner dans un prochain avenir Moïse et Guillaume Tell.