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– Monsieur, monsieur, dit la jeune femme, au nom du ciel! laissez-moi; il fait nuit close, il n’est point convenable que nous soyons seuls ici. Laissez moi retourner près de Maurice, je vous en supplie.

– Près de Maurice! croyez-vous qu’il vous attende? Retourner près de Maurice! pourquoi faire? Pour gêner ses regards, pour le contraindre? Non, non. Une autre est près de Maurice à cette heure, une autre le console, une autre le rend à la vie.

– Vous vous trompez, monsieur, dit, derrière Fabien, une voix grave et calme; cette autre est ici.

Fabien et Clotilde jetèrent ensemble un cri de surprise.

– Fernande! s’écria Clotilde.

– Vous nous écoutiez, madame? dit Fabien.

– Dites que je vous ai entendus sans le vouloir, dit Fernande avec une assurance de maintien qui imposa le respect, même à la femme du monde, et alors je suis venue.

– Fernande, dit Fabien d’un ton railleur, votre place n’est pas ici, vous le savez bien; votre place est près de Maurice.

– Ma place est partout où je puis être utile, et en ce moment ma place est ici.

– C’est pour Maurice qu’on vous a fait venir, dit Fabien, et non pour un autre.

– Eh bien, c’est Maurice que je garde. Ce matin, je lui ai sauvé la vie, ce soir, je lui sauverai l’honneur.

– Je ne vous comprends pas, madame, dit Fabien impatienté, ni madame de Barthèle non plus.

– Que vous ne me compreniez pas, vous, monsieur de Rieulle, c’est possible, dit Fernande, mais madame de Barthèle me comprendra, j’en suis sûre, car je lui parlerai au nom de ce qu’elle a de plus sacré en ce monde.

– Fernande moraliste!

– Et pourquoi pas, monsieur de Rieulle? De quelque bouche que nous vienne la vérité, c’est toujours la vérité. Or, écoutez-moi, madame de Barthèle. La femme qui a donné sa foi devant un magistrat, la femme qui a pris Dieu et les hommes à témoin de sa fidélité, cette femme-là, quand elle se parjure, descend plus bas que la courtisane, car elle se fait adultère.

– Oh! oui, oui, vous avez raison, Fernande! s’écria Clotilde; oui, vous avez raison, car ma conscience me disait ce que votre bouche me dit.

– Fernande, vous devenez folle, murmura Fabien à demi-voix, et en saisissant la main de la courtisane. Mais celle-ci, sans se laisser intimider ni par le geste ni par la parole, quoique tous deux continssent une menace, se retourna vers lui:

– Vous avez donc oublié, continua-t-elle, que si le séducteur de la jeune fille peut quelquefois réparer sa faute, jamais le corrupteur de la femme mariée n’a le droit de racheter son crime? Une jeune fille qui tombe dans le piège n’est qu’une fille déshonorée, une femme qui glisse dans l’abîme est une femme perdue.

– Oh! madame, madame, s’écria Clotilde en joignant les mains, que me dites-vous là? mon Dieu!

– Vous vous trompez, madame, dit Fernande avec l’accent d’une douce et profonde pitié. Aucune des paroles que je prononce ne s’adresse à vous, et si quelque expression sortie de ma bouche a porté atteinte au respect que je dois à l’honnête femme, je vous en demande pardon. C’est à M. de Rieulle que je parle, et vous le voyez, madame, c’est M. de Rieulle qui n’ose me répondre.

– Parce que votre audace me rend muet de surprise, dit Fabien.

– Mon audace! Oui, je sais que tout le monde ne l’aurait pas cette audace. Mais mon mérite n’est pas grand de vous parler ainsi, monsieur. Quel mal pouvez-vous me faire, à moi? Dire que vous avez été mon amant? Ce serait un mensonge, c’est vrai; mais ce mensonge, qui déshonorerait toute autre, ne me fera d’autre mal que de me mettre un peu plus à la mode, voilà tout. Non, votre puissance, si terrible contre les femmes du monde qui ont un mari, une mère, une famille à qui elles sont obligées de rendre compte de leurs actions, échoue contre moi, qui, seule et isolée, ne dois compte de ma conduite qu’à Dieu. C’est pourquoi je me place hardiment entre vous et madame de Barthèle, c’est pourquoi je lui dit: En écoutant cet homme, vous alliez vous perdre; venez avec moi, et je vais vous sauver.

Et en disant ces mots, Fernande saisit la main de Clotilde et l’entraîna, tandis que Fabien, immobile d’étonnement et de dépit, demeurait à la même place.

Mais à peine avaient-elles fait cinquante pas, que Fernande sentit que Clotilde faiblissait; alors elle entoura la taille de madame de Barthèle de son bras, et comme en ce moment la lune se dégageait d’un nuage, les deux femmes purent se comprendre dans un coup d’œil rapide par l’altération de leurs traits. Toutes deux portaient sur leur visage les traces d’une vive émotion. Clotilde tremblait de crainte, Fernande d’enthousiasme, car elle sentait que Dieu l’avait choisie dans sa bassesse, et qu’elle allait rendre à toute une famille plus qu’elle n’avait failli lui enlever.

– Au nom de votre mari, madame, au nom de votre mère, reprenez des forces, dit Fernande, et surtout fiez-vous à moi. Moi aussi j’ai prêté l’oreille à des discours pareils à ceux que vous venez d’entendre, et je suis aujourd’hui ce qu’on appelle une femme perdue. Ce qu’on a fait de moi, il ne faut pas qu’on le fasse de vous, car vous êtes mariée, vous; vous n’avez pas l’excuse d’être seule. Ah! n’allez pas croire, madame, à cette fatale maxime, que vous êtes autorisée à faillir, parce que votre mari a failli. Votre devoir à vous, femme du monde portant un beau et grand nom qui n’est pas le vôtre, mais celui de l’homme à qui vous avez dévoué votre existence, est de pleurer en silence, de vous réfugier dans la pureté de votre vie, et là de prier, d’espérer et d’attendre.

– Ah! madame, vous êtes un ange envoyé du ciel pour me guider et pour me soutenir. Oh! comment reconnaîtrai-je jamais tout ce que vous avez fait pour Maurice, tout ce que vous faites pour moi?

– En restant fidèle à celui que je vous ai rendu, en comprenant qu’il est aussi supérieur aux autres hommes que vous l’êtes, vous, madame, aux autres femmes. Soyez tranquille; Maurice, un instant égaré, reviendra à vous. Que vous reprochait-il? De ne pas savoir aimer? Eh bien, vous lui prouverez que vous avez un cœur digne de comprendre et de ressentir tout ce que Dieu a mis dans le sien.

– Ah! madame, s’écria Clotilde, qui vous donne donc ce pouvoir sur moi, que je sois prête à vous obéir? Mon Dieu! mon Dieu! quelle femme êtes-vous donc?

– Voulez-vous le savoir? dit Fernande avec une profonde tristesse.

– Oh! oui, s’écria Clotilde, oui. Il y aura pour moi sans doute quelque enseignement dans ce que vous me direz.

– Et pour moi quelque soulagement, car vous me plaindrez: et ce sera la première fois depuis cinq ans que j’aurai demandé des larmes, que j’aurai invoqué la pitié; et cependant, depuis cinq ans, Dieu sait que j’en ai eu besoin.

– Oh! que je vous rende donc quelque chose en échange de tout ce que vous faites pour moi, madame! s’écria Clotilde; venez, venez, j’ai hâte de vous consoler à mon tour.