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Il ne se tenait plus de fureur. Un violent coup de tonnerre éclata, tandis que brillait un éclair, et la pluie se mit à tomber à torrents. Pavel Pavlovitch se leva et alla fermer la fenêtre.

– Il vous demandait tout à l'heure si vous avez peur du tonnerre… Ha! ha! Veltchaninov, avoir peur du tonnerre… Et puis son Kobylnikov! c'est bien cela, n'est-ce pas? oui, Kobylnikov!… Et puis vos cinquante ans! Ha! ha! Vous vous rappelez? fit Pavel Pavlovitch d'un air moqueur.

– Vous êtes installé ici… – dit Veltchaninov, qui pouvait à peine parler, tant il souffrait, – moi, je vais me coucher… Vous ferez ce qu'il vous plaira.

– On ne mettrait pas un chien dehors par un temps pareil! grogna Pavel Pavlovitch, blessé de l'observation, et presque enchanté qu'une occasion lui permît de se montrer offensé.

– C'est bon! restez assis, buvez… passez la nuit comme il vous plaira! murmura Veltchaninov; il s'allongea sur le divan et gémit faiblement.

– Passer la nuit ici?… Vous n'avez pas peur?

– Peur de quoi? demanda Veltchaninov en relevant brusquement la tête.

– Mais que sais-je, moi? L'autre fois vous avez eu une peur terrible, au moins à ce qu'il m'a semblé…

– Vous êtes un imbécile! cria Veltchaninov hors de lui; et il se tourna vers le mur.

– C'est bon, n'en parlons plus! fit Pavel Pavlovitch.

À peine le malade se fut-il étendu qu'il s'endormit. Après la surexcitation factice qui l'avait tenu debout toute cette journée et dans ces derniers temps, il restait faible comme un enfant. Mais le mal reprit le dessus et vainquit la fatigue et le sommeil: au bout d'une heure, Veltchaninov se réveilla et se dressa sur le divan avec des gémissements de douleur. L'orage avait cessé; la chambre était pleine de fumée de tabac, la bouteille était vide sur la table, et Pavel Pavlovitch dormait sur l'autre divan. Il s'était couché tout de son long; il avait gardé ses vêtements et ses bottes. Son lorgnon avait glissé de sa poche et pendait au bout du fil de soie, presque au ras du plancher. Son chapeau avait roulé à terre, non loin de lui.

Veltchaninov le regarda avec humeur et ne l'éveilla pas. Il se leva et marcha par la chambre: il n'avait plus la force de rester couché; il gémissait et songeait à sa maladie avec angoisse.

Il en avait peur, non sans motif. Il y avait longtemps qu'il était sujet à ces crises, mais, au début, elles ne revenaient qu'à de longs intervalles, au bout d'un an, de deux ans. Il savait que cela venait du foie. Cela commençait par une douleur au creux de l'estomac, ou un peu plus haut, une douleur sourde, assez faible, mais exaspérante. Puis la douleur grandissait, peu à peu, sans discontinuer, parfois pendant dix heures, à la file, et finissait par avoir une telle violence, par être si intolérable, que le malade voyait venir la mort. Lors de la dernière crise, un an auparavant, après cette exacerbation progressive de la douleur, il s'était trouvé si épuisé qu'il pouvait à peine bouger encore la main; le médecin ne lui avait permis durant toute cette journée qu'un peu de thé léger, un peu de pain trempé dans du bouillon. Les crises survenaient pour des motifs très divers; mais toujours elles apparaissaient à la suite d'ébranlements nerveux excessifs. Elles n'évoluaient pas toujours de la même manière: parfois on parvenait à les étrangler dès le début, dès la première demi-heure, par l'application de simples compresses chaudes; d'autres fois, tous les remèdes restaient impuissants, et l'on n'arrivait à calmer la douleur à la longue qu'à force de vomitifs; la dernière fois, par exemple, le médecin déclara, après coup, qu'il avait cru à un empoisonnement.

Maintenant, il y avait encore loin jusqu'au matin, et il ne voulait pas que l'on cherchât un médecin tant qu'il ferait nuit; au reste, il n'aimait pas les médecins. À la fin, il ne se contint plus, et il gémit tout haut. Ses plaintes réveillèrent Pavel Pavlovitch; il se souleva sur son divan et resta assis un moment, effaré, écoutant et regardant Veltchaninov, qui courait comme un fou par les chambres. Le vin qu'il avait bu avait si bien produit son effet qu'il fut longtemps sans retrouver ses esprits; enfin il comprit, s'approcha de Veltchaninov; l'autre balbutia une réponse.

– C'est du foie que cela vient; oh! je connais bien cela! fit Pavel Pavlovitch avec une volubilité surprenante, – Petr Kouzmitch et Polosoukhine ont eu tout à fait la même chose, et c'était le foie… Il faut mettre des compresses bien chaudes. Petr Kouzmitch usait toujours de compresses… C'est qu'on peut en mourir! Voulez-vous que je coure appeler Mavra, dites?

– Ce n'est pas la peine, ce n'est pas la peine! – fit Veltchaninov à bout de forces, – je n'ai besoin de rien.

Mais Pavel Pavlovitch était, Dieu sait pourquoi, tout à fait hors de lui, aussi bouleversé que s'il se fût agi de sauver son propre fils. Il ne voulut rien entendre et insista avec feu: il fallait absolument mettre des compresses chaudes et puis, par là-dessus, avaler vivement, d'un trait, deux ou trois tasses de thé faible, aussi chaud que possible, presque bouillant. Il courut chercher Mavra, sans attendre que Veltchaninov le lui permît, la ramena à la cuisine, fit du feu, alluma le samovar; en même temps, il décidait le malade à se coucher, le déshabillait, l'enveloppait d'une couverture; et au bout de vingt minutes, le thé était prêt, et la première compresse était chauffée.

– Voilà qui fait l'affaire… des assiettes bien chaudes, brûlantes! – dit-il avec un empressement passionné, en appliquant sur la poitrine de Veltchaninov une assiette enveloppée dans une serviette. – Nous n'avons pas d'autres compresses, et il serait trop long de s'en procurer… Et puis des assiettes, je peux vous le garantir, c'est encore ce qu'il y a de meilleur; j'en ai fait l'expérience moi-même, en personne, sur Petr Kouzmitch… C'est que, vous savez, on peut en mourir!… Tenez, buvez ce thé, vivement: tant pis, si vous vous brûlez!… Il s'agit de vous sauver, il ne s'agit pas de faire des façons.

Il bousculait Mavra, qui dormait encore à demi; on changeait les assiettes toutes les trois ou quatre minutes. Après la troisième assiette et la seconde tasse de thé bouillant, avalée d'un trait, Veltchaninov se sentit tout à coup soulagé.

– Quand on parvient à se rendre maître du mal, alors, grâce à Dieu! c'est bon signe! s'écria Pavel Pavlovitch.

Et il courut tout joyeux chercher une autre assiette et une autre tasse de thé.

– Le tout, c'est d'empoigner le mal! Le tout, c'est que nous arrivions à le faire céder! répétait-il à chaque instant.

Au bout d'une demi-heure, la douleur était tout à fait calmée; mais le malade était si exténué que, malgré les supplications de Pavel Pavlovitch, il refusa obstinément de se laisser appliquer «encore une petite assiette». Ses yeux se fermaient de faiblesse.

– Dormir! dormir! murmura-t-il d'une voix éteinte.

– Oui, oui! fit Pavel Pavlovitch.

– Couchez-vous aussi… Quelle heure est-il?

– Il va être deux heures moins un quart.