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Mais lady Helena ne se tint pas pour battue. Elle voulut lutter jusqu’au bout contre cette âme sans pitié, et le lendemain elle alla elle-même à la cabine d’Ayrton, afin d’éviter les scènes que provoquait son passage sur le pont du yacht.

Pendant deux longues heures, la bonne et douce écossaise resta seule, face à face, avec le chef des convicts. Glenarvan, en proie à une nerveuse agitation, rôdait auprès de la cabine, tantôt décidé à épuiser jusqu’au bout les chances de réussite, tantôt à arracher sa femme à ce pénible entretien.

Mais cette fois, lorsque lady Helena reparut, ses traits respiraient la confiance. Avait-elle donc arraché ce secret et remué dans le cœur de ce misérable les dernières fibres de la pitié?

Mac Nabbs, qui l’aperçut tout d’abord, ne put retenir un mouvement bien naturel d’incrédulité.

Pourtant le bruit se répandit aussitôt parmi l’équipage que le quartier-maître avait enfin cédé aux instances de lady Helena. Ce fut comme une commotion électrique. Tous les matelots se rassemblèrent sur le pont, et plus rapidement que si le sifflet de Tom Austin les eût appelés à la manœuvre.

Cependant Glenarvan s’était précipité au-devant de sa femme.

«Il a parlé? demanda-t-il.

– Non, répondit lady Helena. Mais, cédant à mes prières, Ayrton désire vous voir.

– Ah! Chère Helena, vous avez réussi!

– Je l’espère, Edward.

– Avez-vous fait quelque promesse que je doive ratifier?

– Une seule, mon ami, c’est que vous emploierez tout votre crédit à adoucir le sort réservé à ce malheureux.

– Bien, ma chère Helena. Qu’Ayrton vienne à l’instant.»

Lady Helena se retira dans sa chambre, accompagnée de Mary Grant, et le quartier-maître fut conduit au carré, où l’attendait lord Glenarvan.

Chapitre XIX Une transaction

Dès que le quartier-maître se trouva en présence du lord, ses gardiens se retirèrent.

«Vous avez désiré me parler, Ayrton? dit Glenarvan.

– Oui, mylord, répondit le quartier-maître.

– À moi seul?

– Oui, mais je pense que si le major Mac Nabbs et Monsieur Paganel assistaient à l’entretien, cela vaudrait mieux.

– Pour qui?

– Pour moi.»

Ayrton parlait avec calme. Glenarvan le regarda fixement; puis il fit prévenir Mac Nabbs et Paganel, qui se rendirent aussitôt à son invitation.

«Nous vous écoutons», dit Glenarvan, dès que ses deux amis eurent pris place à la table du carré.

Ayrton se recueillit pendant quelques instants et dit:

«Mylord, c’est l’habitude que des témoins figurent à tout contrat ou transaction intervenue entre deux parties. Voilà pourquoi j’ai réclamé la présence de MM Paganel et Mac Nabbs. Car c’est, à proprement parler, une affaire que je viens vous proposer.»

Glenarvan, habitué aux manières d’Ayrton, ne sourcilla pas, bien qu’une affaire entre cet homme et lui semblât chose étrange.

«Quelle est cette affaire? dit-il.

– La voici, répondit Ayrton. Vous désirez savoir de moi certains détails qui peuvent vous être utiles. Je désire obtenir de vous certains avantages qui me seront précieux. Donnant, donnant, mylord. Cela vous convient-il ou non?

– Quels sont ces détails? demanda Paganel.

– Non, reprit Glenarvan, quels sont ces avantages?»

Ayrton, d’une inclination de tête, montra qu’il comprenait la nuance observée par Glenarvan.

«Voici, dit-il, les avantages que je réclame. Vous avez toujours, mylord, l’intention de me remettre entre les mains des autorités anglaises?

– Oui, Ayrton, et ce n’est que justice.

– Je ne dis pas non, répondit tranquillement le quartier-maître. Ainsi, vous ne consentiriez point à me rendre la liberté?»

Glenarvan hésita avant de répondre à une question si nettement posée. De ce qu’il allait dire dépendait peut-être le sort d’Harry Grant!

Cependant le sentiment du devoir envers la justice l’emporta, et il dit:

«Non, Ayrton, je ne puis vous rendre la liberté.

– Je ne la demande pas, répondit fièrement le quartier-maître.

– Alors, que voulez-vous?

– Une situation moyenne, mylord, entre la potence qui m’attend et la liberté que vous ne pouvez pas m’accorder.

– Et c’est?…

– De m’abandonner dans une des îles désertes du Pacifique, avec les objets de première nécessité.

Je me tirerai d’affaire comme je pourrai, et je me repentirai, si j’ai le temps!»

Glenarvan, peu préparé à cette ouverture, regarda ses deux amis, qui restaient silencieux. Après avoir réfléchi quelques instants, il répondit:

«Ayrton, si je vous accorde votre demande, vous m’apprendrez tout ce que j’ai intérêt à savoir?

– Oui, mylord, c’est-à-dire tout ce que je sais sur le capitaine Grant et sur le Britannia.

– La vérité entière?

– Entière.

– Mais qui me répondra?…

– Oh! je vois ce qui vous inquiète, mylord. Il faudra vous en rapporter à moi, à la parole d’un malfaiteur! C’est vrai! Mais que voulez-vous?

La situation est ainsi faite. C’est à prendre ou à laisser.

– Je me fierai à vous, Ayrton, dit simplement Glenarvan.

– Et vous aurez raison, mylord. D’ailleurs, si je vous trompe, vous aurez toujours le moyen de vous venger!

– Lequel?

– En me venant reprendre dans l’île que je n’aurai pu fuir.»

Ayrton avait réponse à tout. Il allait au-devant des difficultés, il fournissait contre lui des arguments sans réplique. On le voit, il affectait de traiter son «affaire» avec une indiscutable bonne foi. Il était impossible de s’abandonner avec une plus parfaite confiance. Et cependant, il trouva le moyen d’aller plus loin encore dans cette voie du désintéressement.

«Mylord et messieurs, ajouta-t-il, je veux que vous soyez convaincus de ce fait, c’est que je joue cartes sur table. Je ne cherche point à vous tromper, et vais vous donner une nouvelle preuve de ma sincérité dans cette affaire. J’agis franchement, parce que moi-même je compte sur votre loyauté.