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– Oui, votre honneur.

– Ayrton ici! répéta Glenarvan, regardant John Mangles.

– Dieu l’a voulu!» répondit le jeune capitaine.

En un instant, avec la rapidité de l’éclair, la conduite d’Ayrton, sa trahison longuement préparée, la blessure de Glenarvan, l’assassinat de Mulrady, les misères de l’expédition arrêtée dans les marais de la Snowy, tout le passé du misérable apparut devant les yeux de ces deux hommes. Et maintenant, par le plus étrange concours de circonstances, le convict était en leur pouvoir.

«Où est-il? demanda vivement Glenarvan.

– Dans une cabine du gaillard d’avant, répondit Tom Austin, et gardé à vue.

– Pourquoi cet emprisonnement?

– Parce que quand Ayrton a vu que le yacht faisait voile pour la Nouvelle-Zélande, il est entré en fureur, parce qu’il a voulu m’obliger à changer la direction du navire, parce qu’il m’a menacé, parce qu’enfin il a excité mes hommes à la révolte. J’ai compris que c’était un particulier dangereux, et j’ai dû prendre des mesures de précaution contre lui.

– Et depuis ce temps?

– Depuis ce temps, il est resté dans sa cabine, sans chercher à en sortir.

– Bien, Tom.»

En ce moment, Glenarvan et John Mangles furent mandés dans la dunette. Le déjeuner, dont ils avaient un si pressant besoin, était préparé. Ils prirent place à la table du carré et ne parlèrent point d’Ayrton.

Mais, le repas achevé, quand les convives, refaits et restaurés, furent réunis sur le pont, Glenarvan leur apprit la présence du quartier-maître à son bord. En même temps, il annonça son intention de le faire comparaître devant eux.

«Puis-je me dispenser d’assister à cet interrogatoire? demanda lady Helena. Je vous avoue, mon cher Edward, que la vue de ce malheureux me serait extrêmement pénible.

– C’est une confrontation, Helena, répondit lord Glenarvan. Restez, je vous en prie. Il faut que Ben Joyce se voie face à face avec toutes ses victimes!»

Lady Helena se rendit à cette observation. Mary Grant et elle prirent place auprès de lord Glenarvan. Autour de lui se rangèrent le major, Paganel, John Mangles, Robert, Wilson, Mulrady, Olbinett, tous compromis si gravement par la trahison du convict. L’équipage du yacht, sans comprendre encore la gravité de cette scène, gardait un profond silence.

«Faites venir Ayrton», dit Glenarvan.

Chapitre XVIII Ayrton ou Ben Joyce

Ayrton parut. Il traversa le pont d’un pas assuré et gravit l’escalier de la dunette. Ses yeux étaient sombres, ses dents serrées, ses poings fermés convulsivement. Sa personne ne décelait ni forfanterie ni humilité. Lorsqu’il fut en présence de lord Glenarvan, il se croisa les bras, muet et calme, attendant d’être interrogé.

«Ayrton, dit Glenarvan, nous voilà donc, vous et nous, sur ce Duncan que vous vouliez livrer aux convicts de Ben Joyce!»

À ces paroles, les lèvres du quartier-maître tremblèrent légèrement. Une rapide rougeur colora ses traits impassibles. Non la rougeur du remords, mais la honte de l’insuccès. Sur ce yacht qu’il prétendait commander en maître, il était prisonnier, et son sort allait s’y décider en peu d’instants.

Cependant, il ne répondit pas. Glenarvan attendit patiemment. Mais Ayrton s’obstinait à garder un absolu silence.

«Parlez, Ayrton, qu’avez-vous à dire?» reprit Glenarvan.

Ayrton hésita; les plis de son front se creusèrent profondément; puis, d’une voix calme:

«Je n’ai rien à dire, mylord, répliqua-t-il. J’ai fait la sottise de me laisser prendre. Agissez comme il vous plaira.»

Sa réponse faite, le quartier-maître porta ses regards vers la côte qui se déroulait à l’ouest, et il affecta une profonde indifférence pour tout ce qui se passait autour de lui. À le voir, on l’eût cru étranger à cette grave affaire. Mais Glenarvan avait résolu de rester patient. Un puissant intérêt le poussait à connaître certains détails de la mystérieuse existence d’Ayrton, surtout en ce qui touchait Harry Grant et le Britannia. Il reprit donc son interrogatoire, parlant avec une douceur extrême, et imposant le calme le plus complet aux violentes irritations de son cœur.

«Je pense, Ayrton, reprit-il, que vous ne refuserez pas de répondre à certaines demandes que je désire vous faire. Et d’abord, dois-je vous appeler Ayrton ou Ben Joyce? êtes-vous, oui ou non, le quartier-maître du Britannia

Ayrton resta impassible, observant la côte, sourd à toute question.

Glenarvan, dont l’œil s’animait, continua d’interroger le quartier-maître.

«Voulez-vous m’apprendre comment vous avez quitté le Britannia, pourquoi vous étiez en Australie?»

Même silence, même impassibilité.

«Écoutez-moi bien, Ayrton, reprit Glenarvan. Vous avez intérêt à parler. Il peut vous être tenu compte d’une franchise qui est votre dernière ressource. Pour la dernière fois, voulez-vous répondre à mes questions?»

Ayrton tourna la tête vers Glenarvan et le regarda dans les yeux:

«Mylord, dit-il, je n’ai pas à répondre. C’est à la justice et non à moi de prouver contre moi-même.

– Les preuves seront faciles! répondit Glenarvan.

– Faciles! Mylord? reprit Ayrton d’un ton railleur. Votre honneur me paraît s’avancer beaucoup. Moi, j’affirme que le meilleur juge de temple-bar serait embarrassé de ma personne! Qui dira pourquoi je suis venu en Australie, puisque le capitaine Grant n’est plus là pour l’apprendre? Qui prouvera que je suis ce Ben Joyce signalé par la police, puisque la police ne m’a jamais tenu entre ses mains et que mes compagnons sont en liberté? Qui relèvera à mon détriment, sauf vous, non pas un crime, mais une action blâmable? Qui peut affirmer que j’ai voulu m’emparer de ce navire et le livrer aux convicts? Personne, entendez-moi, personne! Vous avez des soupçons, bien, mais il faut des certitudes pour condamner un homme, et les certitudes vous manquent. Jusqu’à preuve du contraire, je suis Ayrton, quartier-maître du Britannia

Ayrton s’était animé en parlant, et il revint bientôt à son indifférence première. Il s’imaginait sans doute que sa déclaration terminerait l’interrogatoire; mais Glenarvan reprit la parole et dit:

«Ayrton, je ne suis pas un juge chargé d’instruire contre vous. Ce n’est point mon affaire. Il importe que nos situations respectives soient nettement définies. Je ne vous demande rien qui puisse vous compromettre. Cela regarde la justice. Mais vous savez quelles recherches je poursuis, et d’un mot vous pouvez me remettre sur les traces que j’ai perdues. Voulez-vous parler?»

Ayrton remua la tête en homme décidé à se taire.