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«Et d’abord, madame, permettez-moi de vous apprendre que j’ai décidé de supprimer toute cette «garde» qui entourait le château d’Hercule comme d’une seconde enceinte, que j’avais jugée nécessaire à la sécurité de M. et de Mme Darzac, et que vous m’aviez laissé établir, bien qu’elle vous gênât, à ma guise avec tant de bonne grâce, et aussi, nous pouvons le dire, quelquefois avec tant de bonne humeur.

Cette directe allusion aux petites moqueries dont nous gratifiait Mrs. Edith quand nous montions la garde fait sourire Mr Arthur Rance et Mrs. Edith elle-même. Mais ni M. ni Mme Darzac ni moi ne sourions, car nous nous demandons avec un commencement d’anxiété où notre ami veut en venir.

«Ah! vraiment, vous supprimez la garde du château, monsieur Rouletabille! Eh bien, vous m’en voyez toute réjouie, non point qu’elle m’ait jamais gênée! fait Mrs. Edith avec une affectation de gaieté (affectation de peur, affectation de gaieté, je trouve Mrs. Edith très affectée et, chose curieuse, elle me plaît beaucoup ainsi), au contraire, elle m’a tout à fait intéressée à cause de mes goûts romanesques; mais, si je me réjouis de sa disparition, c’est qu’elle me prouve que M. et Mme Darzac ne courent plus aucun danger.

– Et c’est la vérité, madame, réplique Rouletabille, depuis cette nuit.»

Mme Darzac ne peut retenir un mouvement brusque que je suis le seul à apercevoir.

«Tant mieux! s’écrie Mrs. Edith. Et que le Ciel en soit béni! Mais comment mon mari et moi sommes-nous les derniers à apprendre une pareille nouvelle?… Il s’est donc passé cette nuit des choses intéressantes? Ce voyage nocturne de M. Darzac sans doute?… M. Darzac n’est-il pas allé à Castelar?»

Pendant qu’elle parlait ainsi, je voyais croître l’embarras de M. et de Mme Darzac. M. Darzac, après avoir regardé sa femme, voulut placer un mot, mais Rouletabille ne le lui permit pas.

«Madame, je ne sais pas où M. Darzac est allé cette nuit, mais il faut, il est nécessaire que vous sachiez une chose: c’est la raison pour laquelle M. et Mme Darzac ne courent plus aucun danger. Votre mari, madame, vous a mise au courant des affreux drames du Glandier et du rôle criminel qu’y joua…

– Frédéric Larsan… Oui, monsieur, je sais tout cela.

– Vous savez également, par conséquent, que nous ne faisions si bonne garde ici, autour de M. et de Mme Darzac, que parce que nous avions vu réapparaître ce personnage.

– Parfaitement.

– Eh bien, M. et Mme Darzac ne courent plus aucun danger, parce que ce personnage ne reparaîtra plus.

– Qu’est-il devenu?

– Il est mort!

– Quand?

– Cette nuit.

– Et comment est-il mort, cette nuit?

– On l’a tué, madame.

– Et où l’a-t-on tué?

– Dans la Tour Carrée!»

Nous nous levâmes tous à cette déclaration, dans une agitation bien compréhensible: M. et Mrs. Rance stupéfaits de ce qu’ils apprenaient, M. et Mme Darzac et moi, effarés de ce que Rouletabille n’avait pas hésité à le leur apprendre.

«Dans la Tour Carrée! s’écria Mrs. Edith… Et qui est-ce qui l’a tué?

– M. Robert Darzac!» fit Rouletabille, et il pria tout le monde de se rasseoir.

Chose étonnante, nous nous rassîmes comme si, dans un moment pareil, nous n’avions pas autre chose à faire qu’à obéir à ce gamin.

Mais presque aussitôt Mrs. Edith se releva et prenant les mains de M. Darzac, elle lui dit avec une force, une exaltation véritable cette fois-ci (décidément, aurais-je mal jugé Mrs. Edith en la trouvant affectée):

«Bravo, monsieur Robert! All right! You are a gentleman!»

Et elle se retourna vers son mari en s’écriant:

«Ah! voilà un homme! Il est digne d’être aimé!»

Alors, elle fit des compliments exagérés (mais c’était peut-être dans sa nature, après tout, d’exagérer ainsi toute chose) à Mme Darzac; elle lui promit une amitié indestructible; elle déclara qu’elle et son mari étaient tout prêts, dans une circonstance aussi difficile, à les seconder, elle et M. Darzac, qu’on pouvait compter sur leur zèle, leur dévouement et qu’ils étaient prêts à attester tout ce que l’on voudrait devant les juges.

«Justement, madame, interrompit Rouletabille, il ne s’agit point de juges et nous n’en voulons pas. Nous n’en avons pas besoin. Larsan était mort pour tout le monde avant qu’on ne le tuât cette nuit; eh bien, il continue à être mort, voilà tout! Nous avons pensé qu’il serait tout à fait inutile de recommencer un scandale dont M. et Mme Darzac et le professeur Stangerson ont été beaucoup trop déjà les innocentes victimes et nous avons compté pour cela sur votre complicité. Le drame s’est passé d’une façon si mystérieuse, cette nuit, que vous-mêmes, si nous n’avions pris la précaution de vous le faire connaître, eussiez pu ne jamais le soupçonner. Mais M. et Mme Darzac sont doués de sentiments trop élevés pour oublier ce qu’ils devaient à leurs hôtes en une pareille occurrence. La plus simple des politesses leur ordonnait de vous faire savoir qu’ils avaient tué quelqu’un chez vous, cette nuit! Quelle que soit, en effet, notre quasi-certitude de pouvoir dissimuler cette fâcheuse histoire à la justice italienne, on doit toujours prévoir le cas où un incident imprévu la mettrait au courant de l’affaire; et M. et Mme Darzac ont assez de tact pour ne point vouloir vous faire courir le risque d’apprendre un jour par la rumeur publique, ou par une descente de police, un événement aussi important qui s’est passé justement sous votre toit.»

Mr Arthur Rance, qui n’avait encore rien dit, se leva, tout blême.

«Frédéric Larsan est mort, fit-il. Eh bien, tant mieux! Nul ne s’en réjouira plus que moi; et, s’il a reçu, de la main même de M. Darzac, le châtiment de ses crimes, nul plus que moi n’en félicitera M. Darzac. Mais j’estime avant tout que c’est là un acte glorieux dont M. Darzac aurait tort de se cacher! Le mieux serait d’avertir la justice et sans tarder. Si elle apprend cette affaire par d’autres que par nous, voyez notre situation! Si nous nous dénonçons, nous faisons œuvre de justice, si nous nous cachons, nous sommes des malfaiteurs! On pourra tout supposer…»

À entendre Mr Rance, qui parlait en bégayant, tant il était ému de cette tragique révélation, on eût dit que c’était lui qui avait tué Frédéric Larsan… Lui qui, déjà, en était accusé par la justice… lui qui était traîné en prison.

«Il faut tout dire! Messieurs, il faut tout dire…»

Mrs. Edith ajouta:

«Je crois que mon mari a raison. Mais, avant de prendre une décision, il conviendrait de savoir comment les choses se sont passées.»

Et elle s’adressa directement à M. et Mme Darzac. Mais ceux-ci étaient encore sous le coup de la surprise que leur avait procurée Rouletabille en parlant, Rouletabille qui, le matin même, devant moi, leur promettait le silence et nous engageait tous au silence; aussi n’eurent-ils point une parole. Ils étaient comme en pierre dans leur fauteuil. Mr Arthur Rance répétait: «Pourquoi nous cacher? Il faut tout dire!»