«Enfin!»
Et il ouvrit.
Nous crûmes voir entrer un mort. Jamais figure humaine ne fut plus pâle, plus exsangue, plus dénuée de vie. Tant d’émotions l’avaient ravagée qu’elle n’en exprimait plus aucune.
«Ah! vous étiez là, dit-il. Eh bien, c’est fini!…»
Et il se laissa choir sur le fauteuil qu’occupait tout à l’heure la Dame en noir. Il leva les yeux sur elle:
«Votre volonté est accomplie, dit-il… Il est là où vous avez voulu!…»
Rouletabille demanda tout de suite:
«Au moins, vous avez vu sa figure?
– Non! dit-il… je ne l’ai pas vue!… Croyez-vous donc que j’allais ouvrir le sac?…»
J’aurais cru que Rouletabille allait se montrer désespéré de cet incident; mais, au contraire, il vint tout à coup à M. Darzac, et lui dit:
«Ah! vous n’avez pas vu sa figure!… Eh bien! c’est très bien, cela!…»
Et il lui serra la main avec effusion…
«Mais, l’important, dit-il, l’important n’est pas là… Il faut maintenant que nous ne fermions point le cercle. Et vous allez nous y aider, monsieur Darzac. Attendez-moi!…»
Et, presque joyeux, il se jeta à quatre pattes. Maintenant, Rouletabille m’apparaissait avec une tête de chien. Il sautait partout à quatre pattes, sous les meubles, sous le lit, comme je l’avais vu déjà dans la Chambre Jaune, et il levait de temps à autre son museau, pour dire:
«Ah! je trouverai bien quelque chose! quelque chose qui nous sauvera!»
Je lui répondis en regardant M. Darzac:
«Mais ne sommes-nous pas déjà sauvés?
– … Qui nous sauvera la cervelle… reprit Rouletabille.
– Cet enfant a raison, fit M. Darzac. Il faut absolument savoir comment cet homme est entré…»
Tout à coup, Rouletabille se releva, il tenait dans la main un revolver qu’il venait de trouver sous le placard.
«Ah! vous avez trouvé son revolver! fit M. Darzac. Heureusement qu’il n’a pas eu le temps de s’en servir.»
Ce disant, M. Robert Darzac retira de la poche de son veston son propre revolver, le revolver sauveur et le tendit au jeune homme.
«Voilà une bonne arme!» fit-il.
Rouletabille fit jouer le barillet de revolver de Darzac, sauter le culot de la cartouche qui avait donné la mort; puis il compara cette arme à l’autre, celle qu’il avait trouvée sous le placard et qui avait échappé aux mains de l’assassin. Celle-ci était un bulldog et portait une marque de Londres; il paraissait tout neuf, était garni de toutes ses cartouches et Rouletabille affirma qu’il n’avait encore jamais servi.
«Larsan ne se sert des armes à feu qu’à la dernière extrémité, fit-il. Il lui répugne de faire du bruit. Soyez persuadé qu’il voulait simplement vous faire peur avec son revolver, sans quoi il eût tiré tout de suite.»
Et Rouletabille rendit son revolver à M. Darzac et mit celui de Larsan dans sa poche.
«Oh! à quoi bon rester armés maintenant! fit M. Darzac en secouant la tête, je vous jure que c’est bien inutile!
– Vous croyez? demanda Rouletabille.
– J’en suis sûr.»
Rouletabille se leva, fit quelques pas dans la chambre et dit:
«Avec Larsan, on n’est jamais sûr d’une chose pareille. Où est le cadavre?»
M. Darzac répondit:
«Demandez-le à Mme Darzac. Moi, je veux l’avoir oublié. Je ne sais plus rien de cette affreuse affaire. Quand le souvenir de ce voyage atroce avec cet homme à l’agonie, ballottant dans mes jambes, me reviendra, je dirai: c’est un cauchemar! Et je le chasserai!… Ne me parlez plus jamais de cela. Il n’y a plus que Mme Darzac qui sache où est le cadavre. Elle vous le dira, s’il lui plaît.
– Moi aussi, je l’ai oublié, fit Mme Darzac. Il le faut.
– Tout de même, insista Rouletabille, qui secouait la tête, tout de même, vous disiez qu’il était encore à l’agonie. Et maintenant, êtes-vous sûr qu’il soit mort?
– J’en suis sûr, répondit simplement M. Darzac.
– Oh! c’est fini! c’est fini! N’est-ce pas que tout est fini? implora Mathilde. (Elle alla à la fenêtre.) Regardez, voici le soleil!… Cette atroce nuit est morte! morte pour toujours! C’est fini!»
Pauvre Dame en noir! Tout son état d’âme était présentement dans ce mot-là: «C’est fini!…» Et elle oubliait toute l’horreur du drame qui venait de se passer dans cette chambre devant cet évident résultat. Plus de Larsan! Enterré, Larsan! Enterré dans le sac de pommes de terre!
Et nous nous dressâmes tous, affolés, parce que la Dame en noir venait d’éclater de rire, un rire frénétique qui s’arrêta subitement et qui fut suivi d’un silence horrible. Nous n’osions ni nous regarder ni la regarder; ce fut elle, la première, qui parla:
«C’est passé… dit-elle, c’est fini!… c’est fini, je ne rirai plus!…»
Alors, on entendit la voix de Rouletabille qui disait, très bas.
«Ce sera fini quand nous saurons comment il est entré!
– À quoi bon? répliqua la Dame en noir. C’est un mystère qu’il a emporté. Il n’y a que lui qui pouvait nous le dire et il est mort.
– Il ne sera vraiment mort que lorsque nous saurons cela! reprit Rouletabille.
– Évidemment, fit M. Darzac, tant que nous ne le saurons pas, nous voudrons le savoir; et il sera là, debout, dans notre esprit. Il faut le chasser! Il faut le chasser!
– Chassons-le», dit encore Rouletabille.
Alors, il se leva et tout doucement s’en fut prendre la main de la Dame en noir. Il essaya encore de l’entraîner dans la chambre voisine en lui parlant de repos. Mais Mathilde déclara qu’elle ne s’en irait point. Elle dit: «Vous voulez chasser Larsan et je ne serais pas là!…» Et nous crûmes qu’elle allait encore rire! Alors, nous fîmes signe à Rouletabille de ne point insister.
Rouletabille ouvrit alors la porte de l’appartement et appela Bernier et sa femme.
Ceux-ci entrèrent parce que nous les y forçâmes et il eut une confrontation générale de nous tous d’où il résulta d’une façon définitive que:
1° Rouletabille avait visité l’appartement à cinq heures et fouillé le placard et qu’il n’y avait personne dans l’appartement;
2° Depuis cinq heures la porte de l’appartement avait été ouverte deux fois par le père Bernier qui, seul, pouvait l’ouvrir en l’absence de M. et Mme Darzac. D’abord à cinq heures et quelques minutes pour y laisser entrer M. Darzac; ensuite à onze heures et demie pour y laisser entrer M. et Mme Darzac;