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Les arcades supérieures dépassaient l’alignement général de façon à recouvrir les portes. Chacune d’elles était soutenue par deux colonnes, l’une de bronze, l’autre de roche. Il serait trop long de vous faire une entière description des pavillons de la cour, et de vous parler, en outre, de ce que l’on apercevait au-dessus du sol, des souterrains que le maître de ce palais avait fait construire sous tous les bâtiments.

Les hautes colonnes avec leurs chapiteaux en or incrustés de pierreries; les marbres étrangers sculptés de mille manières par une main habile; les peintures et les stucs, et une foule d’autres ornements, dont la plupart étaient dérobés aux regards par l’obscurité, indiquaient que les richesses réunies de deux rois n’avaient pas dû suffire à bâtir un tel édifice.

Parmi les ornements magnifiques qui ornaient en profusion cette riante demeure, il y avait une fontaine qui répandait ses eaux fraîches et abondantes par une foule de petites rigoles. C’est là que les serviteurs avaient dressé les tables, droit au milieu de la cour. On l’apercevait des quatre portes du principal corps de bâtiment.

Élevée par un architecte instruit et habile, la fontaine avait la forme d’une galerie ou d’un pavillon octogone, recouvert de tous côtés par un plafond d’or tout parsemé d’émaux. Huit statues de marbre blanc soutenaient ce plafond avec leurs bras.

L’ingénieux architecte leur avait mis dans la main droite la corne d’Amalthée, d’où l’eau retombait, avec un agréable murmure, dans un vase d’albâtre. Tous ces pilastres, sculptés avec le plus grand art, représentaient de grandes femmes, différant d’habits et de visage, mais ayant toutes la même grâce et la même beauté.

Chacune d’elles reposait les pieds sur deux belles figures situées plus bas, et qui se tenaient la bouche ouverte, comme pour indiquer qu’elles prenaient plaisir à chanter et à jouer. Leur attitude semblait aussi indiquer que toute leur science, toute leur application était destinée à célébrer les louanges des belles dames qu’elles portaient sur leurs épaules.

Les statues inférieures tenaient à la main de longs et vastes rouleaux couverts d’écriture, où était inscrit, avec de grands éloges, le nom des plus illustres parmi les dames que représentaient les statues supérieures, et où pouvaient se lire aussi leurs propres noms en lettres brillantes. Renaud, à la lueur des torches, admirait une à une les dames et les chevaliers.

La première inscription qui frappa ses yeux portait le nom longuement honoré de Lucrèce Borgia, dont la beauté et l’honnêteté étaient mises par Rome, sa patrie, bien au-dessus de celles de l’antique Lucrèce. Les deux statues qu’on avait destinées à supporter une si excellente et si honorable charge portaient écrits les noms de Antonio Tebaldo et Hercule Strozza, un Linus et un Orphée.

La statue qui venait après était non moins belle et non moins agréable à voir; son inscription disait: Voici la fille d’Hercule, Isabelle. Ferrare se montrera plus heureuse de l’avoir vue naître que de tous les autres biens que la fortune favorable lui a accordés et lui accordera pendant la suite des siècles.

Les deux statues qui se montraient désireuses de célébrer constamment sa gloire avaient toutes deux le prénom de Jean-Jacques; l’un s’appelait Calandra, l’autre Bardelone. Dans le troisième et le quatrième côté, où l’eau s’échappait hors du pavillon par d’étroites rigoles, étaient deux dames ayant même patrie, même famille, même réputation, même beauté et même valeur.

L’une s’appelait Elisabeth, l’autre Léonora. Ainsi que le racontait l’écrit sculpté sur le marbre, la terre de Mantoue se glorifiera encore plus de leur avoir donné naissance que d’avoir produit Virgile qui l’honore tant. La première avait à ses pieds Jacopo Sadoleto et Pietro Bembo.

L’autre était supportée par l’élégant Castiglione et le savant Muzio Arelio. Ces noms, alors inconnus, aujourd’hui si fameux et si dignes de louange, étaient sculptés sur le marbre. Après ces statues, venait celle à qui le ciel doit accorder tant de vertus, qu’elle n’aura pas sa pareille parmi les têtes couronnées, soit dans la bonne, soit dans la mauvaise fortune.

L’inscription d’or la signalait comme étant Lucrèce Bentivoglia; parmi les éloges qui lui étaient donnés, on disait que le duc de Ferrare se réjouissait et s’enorgueillissait d’être son père. Ses louanges étaient célébrées d’une voix claire et douce par ce Camille, dont le Reno et Felsina écoutent les chants [28] avec autant d’admiration et de stupeur que jadis l’Amphrise en mettait à entendre chanter son berger,

Et par un autre poète, grâce auquel la terre où l’Isaure verse ses eaux douces dans la vaste mer sera plus renommée, depuis le royaume de l’Inde jusqu’à celui des Maures, que la ville de Pesaro, qui reçut son nom de ce que les Romains y pesèrent leur or. Je veux parler de Guido Postumo, à qui Pallas et Phébus ont décerné une double couronne.

La statue de femme qui suivait était Diane. «Ne vous arrêtez pas – disait l’inscription – à son air altier; car son cœur est aussi sensible que sa figure est belle.» Le savant Celio Calcaguin, de sa claire trompette fera longtemps retentir sa gloire et son beau nom dans le royaume des Parthes, dans celui de Mauritanie, dans l’Inde et dans toute l’Espagne.

Elle aura aussi, pour chanter sa gloire, un Marco Cavallo, qui fera jaillir d’Ancône une source de poésie aussi abondante que celle que le cheval ailé fit jaillir autrefois d’une montagne sacrée, le Parnasse ou l’Hélicon, je ne sais plus laquelle. Auprès de Diane, Béatrice levait son front; l’inscription qui lui était consacrée s’exprimait ainsi: Vivante, Béatrice rendra son époux heureux; elle le laissera malheureux après sa mort;

Ainsi que toute l’Italie qui avec elle sera triomphante, et après elle retombera captive. Un seigneur de Corregio paraissait écrire et chanter ses louanges, ainsi que Timothée, l’honneur des Bendedeï. Tous deux feront s’arrêter sur ses rives, aux sons de leurs luths harmonieux, le fleuve où il fut pleuré jadis des larmes d’ambre.

Entre celle-ci et la colonne représentant Lucrèce Borgia, dont je viens de parler, était une grande dame représentée en albâtre, et d’un aspect si grandiose et si sublime, que sous son simple voile, et sous ses vêtements noirs et modestes, sans ornements d’or et sans pierreries, elle ne paraissait pas moins belle, parmi toutes les autres statues, que Vénus au milieu des autres étoiles.

On ne pouvait, en la contemplant attentivement, reconnaître qui l’emportait le plus en elle, de la grâce, ou de la beauté, ou de la majesté du visage, indice de son grand esprit et de son honnêteté. «Celui qui voudra – disait l’inscription gravée sur le marbre – parler d’elle comme il convient qu’on en parle, entreprendra la plus honorable des tâches, mais sans pouvoir jamais arriver jusqu’au bout.»

La statue, douce et pleine de grâce, semblait s’indigner d’être célébrée dans un chant humble et bas par l’esprit grossier qu’on lui avait donné – je ne sais pourquoi – sans personne à côté de lui, pour le soutenir. Tandis que sur toutes les autres statues on avait sculpté leur nom, l’artiste avait omis de le faire sur ces deux dernières.