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Mais à peine l’horrible bête a-t-elle touché terre, qu’elle se redresse, faisant tourner et siffler son long serpent. Le chevalier ne cherche plus à la frapper avec la lance; il se décide à la poursuivre par le feu. Il saisit sa masse, et fait pleuvoir une tempête de coups partout où le serpent dresse la tête. Il ne laisse pas le temps au monstre de le saisir une seule fois.

Pendant qu’il le tient en échec, le frappe et lui fait mille blessures, il conseille au paladin de s’échapper par le chemin qui conduit au sommet de la montagne. Le paladin suit ce conseil, et prend le chemin qui lui est indiqué, et bien que la colline soit âpre et rude à escalader, il s’éloigne, sans retourner la tête, jusqu’à ce qu’on l’ait perdu de vue.

Le chevalier, après avoir contraint le monstre infernal de retourner à son antre obscur, où il se ronge de rage et de dépit, et où il verse des pleurs inépuisables par ses mille yeux, monte derrière Renaud, afin de lui servir de guide. Il ne tarde pas à le rejoindre sur le sommet de la colline et, marchant à ses côtés, il le conduit hors de ces lieux sombres et dangereux.

Dès que Renaud le voit revenu près de lui, il lui dit qu’il lui doit des remerciements infinis, et que partout où il sera, il peut disposer de sa vie. Puis il lui demande comment il se nomme, afin qu’il puisse proclamer le nom de celui qui est venu à son secours, et exalter sa vaillance parmi ses compagnons, devant Charles lui-même.

Le chevalier lui répond: «Ne te mets pas en peine de ce que je ne veux pas te dire mon nom maintenant. Je te le dirai avant que l’ombre n’ait cru d’un pas, ce qui ne tardera guère.» En continuant à marcher côte à côte, ils finirent par trouver une source fraîche, aux eaux claires, à laquelle les bergers et les voyageurs, attirés par son doux murmure, venaient boire l’amoureux oubli.

C’étaient là, seigneur, ces eaux glacées qui éteignent le feu de l’amoureuse ardeur. C’était après y avoir bu qu’Angélique avait conçu pour Renaud la haine qu’elle ne cessa depuis de lui porter; et si lui-même avait autrefois montré tant de mépris pour elle, l’unique cause, seigneur, en était qu’il avait bu aussi de ces mêmes eaux.

Dès que le chevalier avec lequel Renaud chemine se voit devant la claire fontaine, il retient son destrier tout fumant et dit: «Nous reposer ici ne saurait nuire.» Renaud dit: «Cela ne peut que nous faire du bien; car, outre que la chaleur de midi m’oppresse, le monstre m’a tellement travaillé, qu’il me sera doux et agréable de me reposer.»

L’un et l’autre descendent de cheval, et laissent leurs bêtes paître en liberté par la forêt. Tous deux mettent pied à terre dans l’herbe parsemée de fleurs rouges et jaunes, et retirent leur casque. Renaud, poussé par la chaleur et la soif, court aussitôt vers la source de cristal, et buvant à longs traits son eau fraîche, chasse en même temps de sa poitrine embrasée la soif et l’amour.

Quand le chevalier le voit relever la bouche de dessus la fontaine, et revenir entièrement guéri de son fol amour, il se lève tout debout, et d’un air altier, il lui dit ce qu’il n’a pas voulu lui dire auparavant: «Sache, Renaud, que mon nom est: le Dédain! Je suis venu uniquement pour te délivrer d’un joug indigne.»

À ces mots, il disparaît et son destrier disparaît avec lui. Cette aventure semble un grand miracle à Renaud. Il cherche tout autour de lui et dit: «Où est-il passé?» Il ne sait si tout ce qu’il vient de voir n’est pas du domaine de la magie, et si Maugis ne lui a pas envoyé un de ses serviteurs infernaux pour rompre la chaîne qui l’a si longtemps retenu captif.

Peut-être aussi, du haut de son trône, Dieu lui a-t-il, dans son ineffable bonté, envoyé, comme il fit jadis pour Tobie, un ange chargé de le guérir de son aveuglement. Mais que ce soit un ange, un démon, ou toute autre chose, il le remercie de lui avoir rendu la liberté. Il sent en effet que désormais son cœur est délivré de son angoisse amoureuse.

Angélique est redevenue l’objet de sa haine première; non seulement elle ne lui paraît pas digne de tout le long chemin qu’il a déjà fait pour la suivre, mais il ne ferait pas maintenant une demi-lieue pour elle. Cependant il persiste dans sa résolution d’aller dans l’Inde, pour chercher Bayard jusqu’en Séricane, tant parce que l’honneur le lui commande, que parce que c’est le prétexte qu’il a invoqué près de Charles.

Il arrive le jour suivant à Bâle, où venait de parvenir la nouvelle que le comte Roland devait se battre contre Gradasse et le roi Agramant. Ce n’était point par un avis du chevalier d’Anglante que cette nouvelle avait été sue, mais un voyageur, venu rapidement de Sicile, l’avait donnée comme sûre.

Renaud désire ardemment se trouver à côté de Roland dans ce combat; mais il est bien éloigné du champ de bataille. Tous les dix milles, il change de chevaux et de guides, et court à bride abattue. Il passe le Rhin à Constance, et, comme en volant, il traverse les Alpes et arrive en Italie. Laissant derrière lui Vérone et Mantoue, il atteint le Pô, et le passe en toute hâte.

Déjà le soleil touchait au terme de sa course, déjà la première étoile apparaissait au ciel, et Renaud, debout près de la rive, se demandait s’il devait changer de cheval, ou se reposer en ce lieu, jusqu’à ce que les ténèbres se fussent dissipées devant la belle aurore, lorsqu’il vit venir à lui un chevalier à l’aspect et aux manières pleins de courtoisie.

Celui-ci, après l’avoir salué, lui demanda poliment s’il était marié. Renaud lui dit: «Je suis en effet soumis au joug conjugal.» Mais en lui-même il s’étonnait de cette demande, lorsque son interlocuteur ajouta: «Je me réjouis qu’il en soit ainsi.» Puis, pour lui expliquer ses paroles, il dit: «Je te prie d’avoir pour agréable d’accepter ce soir l’hospitalité chez moi.

» Je te ferai voir une chose que doit volontiers connaître quiconque a femme à son côté.» Renaud, autant parce qu’il voulait se reposer, fatigué qu’il était d’avoir couru, autant par le désir inné qu’il avait toujours eu de voir et d’entendre de nouvelles aventures, accepta l’offre du chevalier, et le suivit.

Ils sortirent de la route à une portée d’arc, et se trouvèrent devant un grand palais, d’où accoururent un grand nombre d’écuyers avec des torches allumées, qui projetèrent autour d’eux une grande clarté. Renaud, étant entré, jeta les regards autour de lui, et vit un palais comme on en voit rarement, admirablement construit et distribué, et trop vaste pour servir de demeure à un homme de condition privée.

La riche voûte de la porte d’entrée était toute en serpentine et en dur porphyre. La porte elle-même était en bronze, et ornée de figures qui semblaient respirer et remuer les lèvres. On passait ensuite sous un arc de triomphe, où un mélange de mosaïques flattait agréablement les yeux. De là partait une cour carrée, dont chaque côté avait cent brasses de long.

Chaque côté de cette cour était bordé de pavillons ayant chacun une porte spéciale. Les portes étaient séparées par des arcades d’égale grandeur, mais de formes variées. Chaque arcade pouvait facilement donner accès à un sommier avec sa charge, et conduisait à un escalier d’où l’on pénétrait dans une salle par une arcade supérieure.