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Chicot réfléchit qu'il était on ne peut plus étrange de voir Ernauton s'installer en maître dans cette maison mystérieuse dont les habitants avaient ainsi disparu tout à coup.

D'autant plus, qu'à ces habitants primitifs pouvait bien se rattacher pour Chicot une phrase de la lettre du duc de Guise relative au duc d'Anjou.

C'était là un hasard digne de remarque, et Chicot avait pour habitude de croire aux hasards providentiels.

Il développait même à cet égard, lorsqu'on l'en sollicitait, des théories fort ingénieuses.

La base de ces théories était une idée qui, à notre avis, en valait bien une autre.

– Cette idée, la voici.

Le hasard est la réserve de Dieu.

Le Tout-Puissant ne fait donner sa réserve qu'en des circonstances graves, surtout depuis qu'il a vu les hommes assez sagaces pour étudier et prévoir les chances d'après la nature et les éléments régulièrement organisés.

Or, Dieu aime ou doit aimer à déjouer les combinaisons de ces orgueilleux, dont il a déjà puni l'orgueil passé en les noyant, et dont il doit punir l'orgueil à venir en les brûlant.

Dieu donc, disons-nous, ou plutôt disait Chicot, Dieu aime à déjouer les combinaisons de ces orgueilleux avec les éléments qui leur sont inconnus, et dont ils ne peuvent prévoir l'intervention.

Cette théorie, comme on le voit, renferme de spécieux arguments, et peut fournir de brillantes thèses; mais sans doute le lecteur, pressé comme Chicot de savoir ce que venait faire Carmainges dans cette maison, nous saura gré d'en arrêter le développement.

Donc Chicot réfléchit qu'il était étrange de voir Ernauton dans cette maison où il avait vu Remy.

Il réfléchit que cela était étrange par deux raisons: la première, à cause de là parfaite ignorance où les deux hommes vivaient l'un de l'autre, ce qui faisait supposer qu'il devait y avoir eu entre eux un intermédiaire inconnu à Chicot.

La seconde, que la maison avait dû être vendue à Ernauton, qui n'avait pas d'argent pour l'acheter.

– Il est vrai, se dit Chicot en s'installant le plus commodément qu'il put sur sa gouttière, son observatoire ordinaire, il est vrai que le jeune homme prétend qu'une visite va lui venir, et que cette visite est celle d'une femme; aujourd'hui, les femmes sont riches, et se permettent des fantaisies. Ernauton est beau, jeune et élégant: Ernauton a plus, on lui a donné rendez-vous, on lui a dit d'acheter cette maison; il a acheté la maison, et accepté le rendez-vous.

Ernauton, continua Chicot, vit à la cour; ce doit donc être quelque femme de la cour à qui il ait affaire. Pauvre garçon, l'aimera-t-il? Dieu l'en préserve! il va tomber dans ce gouffre de perdition. Bon! ne vais-je pas lui faire de la morale, moi?

De la morale doublement inutile et décuplement stupide.

Inutile, parce qu'il ne l'entend point, et que l'entendit-il, il ne voudrait pas l'écouter.

Stupide, parce que je ferais mieux de m'aller coucher et de penser un peu à ce pauvre Borromée.

À ce propos, continua Chicot devenu sombre, je m'aperçois d'une chose: c'est que le remords n'existe pas, et n'est qu'un sentiment relatif; le fait est que je n'ai pas de remords d'avoir tué Borromée, puisque la préoccupation où me met la situation de M. de Carmainges me fait oublier que je l'ai tué; et lui de son côté, s'il m'eût cloué sur la table comme je l'ai cloué contre la cloison, lui, n'aurait certes pas à cette heure plus de remords que je n'en ai moi-même.

Chicot en était là de ses raisonnements, de ses inductions et de sa philosophie, qui lui avaient bien pris une heure et demie en tout, lorsqu'il fut tiré de sa préoccupation par l'arrivée d'une litière venant du côté de l'hôtellerie du Fier-Chevalier.

Cette litière s'arrêta au seuil de la maison mystérieuse.

Une femme voilée en descendit, et disparut par la porte qu'Ernauton tenait entr'ouverte.

– Pauvre garçon! murmura Chicot, je ne m'étais pas trompé, et c'était bien une femme qu'il attendait, et là-dessus je m'en vais dormir.

Et là-dessus Chicot se leva, mais restant immobile quoique debout.

– Je me trompe, dit-il, je ne dormirai pas; mais je maintiens mon dire: si je ne dors pas, ce ne sera point le remords qui m'empêchera de dormir, ce sera la curiosité, et c'est si vrai ce que je dis là, que, si je demeure à mon observatoire, je ne serai préoccupé que d'une chose, c'est à savoir laquelle de nos nobles dames honore le bel Ernauton de son amour.

Mieux vaut donc que je reste à mon observatoire, puisque si j'allais me coucher, je ne me relèverais certainement pas pour y revenir.

Et là-dessus, Chicot se rassit.

Une heure s'était écoulée à peu près, sans que nous puissions dire si Chicot pensait à la dame inconnue ou à Borromée, s'il était préoccupé par la curiosité ou bourrelé par le remords, lorsqu'il crut entendre au bout de la rue le galop d'un cheval.

En effet, bientôt un cavalier apparut enveloppé dans son manteau.

Le cavalier s'arrêta au milieu de la rue et sembla chercher à se reconnaître.

Alors le cavalier aperçut le groupe que formaient la litière et les porteurs.

Le cavalier poussa son cheval sur eux; il était armé, car on entendait son épée battre sur ses éperons.

Les porteurs voulurent s'opposer à son passage; mais il leur adressa quelques mots à voix basse, et non seulement ils s'écartèrent respectueusement, mais encore l'un d'eux, comme il eut mis pied à terre, reçut de ses mains les brides de son cheval.

L'inconnu s'avança vers la porte, et y heurta rudement.

– Tudieu! se dit Chicot, que j'ai bien fait de rester! mes pressentiments, qui m'annonçaient qu'il allait se passer quelque chose, ne m'avaient point trompé. Voilà le mari, pauvre Ernauton! nous allons assister tout à l'heure à quelque égorgement.

Cependant, si c'est le mari, il est bien bon d'annoncer son retour en frappant si rudement.

Toutefois, malgré la façon magistrale dont avait frappé l'inconnu, on paraissait hésiter à ouvrir.

– Ouvrez! cria celui qui heurtait.

– Ouvrez, ouvrez! répétèrent les porteurs.

– Décidément, reprit Chicot, c'est le mari; il a menacé les porteurs de les faire fouetter ou pendre, et les porteurs sont pour lui.

Pauvre Ernauton! il va être écorché vif.

Oh! oh! si je le souffre, cependant, ajouta Chicot.

Car enfin, reprit-il, il m'a secouru, et par conséquent, le cas échéant, je dois le secourir.