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Chicot continua.

«P.S. J'approuve entièrement votre plan à l'égard des Quarante-Cinq; seulement, permettez-moi de vous dire, chère sœur, que vous ferez à ces drôles-là plus d'honneur qu'ils n'en méritent…»

– Ah! diable! murmura Chicot, voilà qui devient obscur. Et il relut:

«J'approuve entièrement votre plan à l'égard des Quarante-Cinq…»

– Quel plan? se demanda Chicot.

«Seulement, permettez-moi de vous dire, chère sœur, que vous ferez à ces drôles-là plus d'honneur qu'ils n'en méritent.»

– Quel honneur?

Chicot reprit:

«Qu'ils n'en méritent.

Votre affectionné frère,

H. DE LORRAINE.»

– Enfin, dit Chicot, tout est clair, excepté le post-scriptum. Bon! nous surveillerons le post-scriptum.

– Cher monsieur Chicot, se hasarda de dire Bonhomet, voyant que Chicot avait cessé d'écrire, sinon de penser, cher monsieur Chicot, vous ne m'avez point dit ce que j'aurais à faire de ce cadavre.

– C'est chose toute simple.

– Pour vous qui êtes plein d'imagination, oui, mais pour moi?

– Eh bien! suppose, par exemple, que ce malheureux capitaine se soit pris de querelle dans la rue avec des Suisses ou des reîtres, et qu'on te l'ait apporté blessé, aurais-tu refusé de le recevoir?

– Non, certes, à moins que vous ne me l'eussiez défendu, cher monsieur Chicot.

– Suppose que, déposé dans ce coin, il soit, malgré les soins que tu lui donnais, passé de vie à trépas entre tes mains. Ce serait un malheur, voilà tout, n'est-ce pas?

– Certainement.

– Et au lieu d'encourir des reproches, tu mériterais des éloges pour ton humanité. Suppose encore qu'en mourant, ce pauvre capitaine ait prononcé le nom bien connu pour toi du prieur des Jacobins Saint-Antoine.

– De dom Modeste Gorenflot? s'écria Bonhomet avec étonnement.

– Oui, de dom Modeste Gorenflot. Eh bien! tu vas prévenir dom Modeste; dom Modeste s'empresse d'accourir, et comme on retrouve dans une des poches du mort sa bourse, tu comprends, il est important qu'on retrouve la bourse, je te dis cela par manière d'avis, et comme on retrouve dans une des poches du mort sa bourse, et dans l'autre cette lettre, on ne conçoit aucun soupçon.

– Je comprends, cher monsieur Chicot.

– Il y a plus, tu reçois une récompense au lieu de subir une punition.

– Vous êtes un grand homme, cher monsieur Chicot; je cours au prieuré Saint-Antoine.

– Attends donc, que diable! j'ai dit, la bourse et la lettre.

– Ah! oui, et la lettre, vous la tenez?

– Justement.

– Il ne faudra pas dire qu'elle a été lue et copiée?

– Pardieu! c'est justement pour cette lettre parvenue intacte que tu recevras une récompense.

– Il y a donc un secret dans cette lettre?

– Il y a, par le temps qui court, des secrets dans tout, mon cher Bonhomet.

Et Chicot, après cette réponse sentencieuse, rattacha la soie sous la cire du scel en employant le même procédé, puis il unit la cire si artistement, que l'œil le plus exercé n'y eût pu voir la moindre fissure.

Après quoi, il remit la lettre dans la poche du mort, se fit appliquer sur sa blessure le linge imprégné d'huile et de lie de vin en manière de cataplasme, remit la cotte de mailles préservatrice sur sa peau, sa chemise sur sa cotte de mailles, ramassa son épée, l'essuya, la repoussa au fourreau et s'éloigna.

Puis, revenant:

– Après tout, dit-il, si la fable que j'ai inventée ne te paraît pas bonne, il te reste à accuser le capitaine de s'être passé lui-même son épée au travers du corps.

– Un suicide?

– Dame! cela ne compromet personne, tu comprends.

– Mais on n'enterrera point ce malheureux en terre sainte.

– Peuh! dit Chicot, est-ce un grand plaisir à lui faire?

– Mais, oui, je crois.

– Alors, fais comme pour toi, mon cher Bonhomet; adieu.

Puis, revenant une seconde fois:

– À propos, dit-il, je vais payer, puisqu'il est mort.

Et Chicot jeta trois écus d'or sur la table.

Après quoi, il rapprocha son index de ses lèvres en signe de silence et sortit.

LXXXIII Le mari et l'amant

Ce ne fut pas sans une puissante émotion que Chicot revit la rue des Augustins si calme et si déserte, l'angle formé par le pâté de maisons qui précédaient la sienne, enfin sa chère maison elle-même avec son toit triangulaire, son balcon vermoulu et ses gouttières ornées de gargouilles.

Il avait eu tellement peur de ne trouver qu'un vide à la place de cette maison; il avait si fort redouté de voir la rue bronzée par la fumée d'un incendie, que rue et maison lui parurent des prodiges de netteté, de grâce et de splendeur.

Chicot avait caché dans le creux d'une pierre servant de base à une des colonnes de son balcon, la clef de sa maison chérie. En ce temps-là une clef quelconque de coffre ou de meuble égalait en pesanteur et en volume les plus grosses clefs de nos maisons d'aujourd'hui; les clefs des maisons étaient donc, d'après les proportions naturelles, égales à des clefs de villes modernes.

Aussi Chicot avait-il calculé la difficulté qu'aurait sa poche à contenir la bienheureuse clef, et avait-il pris le parti de la cacher où nous avons dit.

Chicot éprouvait donc, il faut l'avouer, un léger frisson en plongeant les doigts dans la pierre; ce frisson fut suivi d'une joie sans pareille lorsqu'il sentit le froid du fer.

La clef était bien réellement à la place où Chicot l'avait laissée.

Il en était de même des meubles de la première chambre, de la planchette clouée sur la poutre et enfin des mille écus sommeillant toujours dans leur cachette de chêne.

Chicot n'était point un avare: tout au contraire; souvent même il avait jeté l'or à pleines mains, sacrifiant ainsi le matériel au triomphe de l'idée, ce qui est la philosophie de tout homme d'une certaine valeur; mais quand l'idée avait cessé momentanément de commander à la matière, c'est-à-dire lorsqu'il n'y avait pas besoin d'argent, de sacrifice, lorsqu'en un mot l'intermittence sensuelle régnait dans l'âme de Chicot, et que cette âme permettait au corps de vivre et de jouir, l'or, cette première, cette incessante, cette éternelle source des jouissances animales, reprenait sa valeur aux yeux de notre philosophe, et nul mieux que lui ne savait en combien de parcelles savoureuses se subdivise cet inestimable entier que l'on appelle un écu.