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– Ah! mais, c'est qu'il est défendu de se promener la nuit dans le château, monsieur Chicot.

– Pourquoi cela, s'il vous plaît, monsieur d'Aubiac?

– Parce que le roi redoute les voleurs et la reine les galants.

– Diable!

– Or, il n'y a que les voleurs et les galants pour se promener la nuit au lieu de dormir.

– Cependant, cher monsieur d'Aubiac, dit Chicot avec son plus charmant sourire, je ne suis ni l'un ni l'autre, moi, je suis ambassadeur et ambassadeur très fatigué d'avoir parlé latin avec la reine et soupé avec le roi; car la reine est une rude latiniste et le roi un rude buveur; laissez-moi donc sortir, mon ami, car j'ai grand désir de me promener.

– Dans la ville, monsieur Chicot?

– Oh! non, dans les jardins.

– Peste! dans les jardins, monsieur Chicot, c'est encore bien plus défendu que dans la ville.

– Mon petit ami, dit Chicot, c'est un compliment à vous faire, vous êtes d'une vigilance bien grande à votre âge. Vous n'avez donc rien qui vous occupe?

– Non.

– Vous n'êtes donc ni joueur ni amoureux?

– Pour jouer il faut de l'argent, monsieur Chicot; pour être amoureux, il faut une maîtresse.

– Assurément, dit Chicot, et il fouilla dans sa poche.

Le page le regardait faire.

– Cherchez bien dans votre mémoire, mon cher ami, lui dit-il, et je parie que vous y trouverez quelque femme charmante à qui je vous prie d'acheter force rubans et de donner force violons avec ceci.

Et Chicot glissa dans la main du page dix pistoles qui n'étaient pas rognées comme celles du Béarnais.

– Allons donc, monsieur Chicot, dit le page, on voit bien que vous venez de la cour de France, vous avez des manières auxquelles on ne saurait rien refuser; sortez donc de votre chambre; mais surtout ne faites point de bruit.

Chicot ne se le fit point dire à deux fois, il glissa comme une ombre dans le corridor, et du corridor dans l'escalier; mais, arrivé au bas du péristyle, il trouva un officier du palais, dormant sur une chaise.

Cet homme fermait la porte par le poids même de son corps; essayer de passer eût été folie.

– Ah! petit brigand de page, murmura Chicot, tu savais cela, et tu ne m'as point prévenu.

Pour comble de malheur, l'officier paraissait avoir le sommeil très léger: il remuait, avec des soubresauts nerveux, tantôt un bras, tantôt une jambe; une fois même il étendit le bras comme un homme qui menace de s'éveiller.

Chicot chercha autour de lui s'il n'y avait pas une issue quelconque par laquelle, grâce à ses longues jambes et à un poignet solide, il put s'évader sans passer par la porte.

Il aperçut enfin ce qu'il désirait.

C'était une de ces fenêtres cintrées qu'on appelle impostes, et qui était demeurée ouverte, soit pour laisser pénétrer l'air, soit parce que le roi de Navarre, propriétaire assez peu soigneux, n'avait pas jugé à propos d'en renouveler les vitres.

Chicot reconnut la muraille avec ses doigts; il calcula, en tâtonnant, chaque espace compris entre les saillies, et s'en servit pour poser le pied comme sur des échelons. Enfin, il se hissa, nos lecteurs connaissent son adresse et sa légèreté, sans faire plus de bruit que n'en eût fait une feuille sèche frôlant la muraille sous le souffle du vent d'automne.

Mais l'imposte était d'une convexité disproportionnée, si bien que l'ellipse n'en était pas égale à celle du ventre et des épaules de Chicot, bien que le ventre fût absent et que les épaules, souples comme celles d'un chat, semblassent se démettre et se fondre dans les chairs pour occuper moins d'espace.

Il en résulta que lorsque Chicot eut passé la tête et une épaule, et lâché du pied la saillie du mur, il se trouva pendu entre le ciel et la terre, sans pouvoir reculer ni avancer.

Il commença alors une série d'efforts dont le premier résultat fut de déchirer son pourpoint et d'entamer sa peau.

Ce qui rendait la position plus difficile, c'était l'épée dont la poignée ne voulait point passer, faisant un crampon intérieur qui retenait Chicot collé sur le châssis de l'imposte.

Chicot réunit toutes ses forces, toute sa patience, toute son industrie, pour détacher l'agrafe de son baudrier, mais c'était sur cette agrafe justement que pesait la poitrine; il lui fallut donc changer de manœuvre; il réussit à couler son bras derrière son dos et à tirer l'épée du fourreau; une fois l'épée tirée, il fut plus facile de trouver, grâce à ce corps anguleux, un interstice par où se glissa la poignée, l'épée alla donc tomber la première sur la dalle, et Chicot, glissant par l'ouverture comme une anguille la suivit en amortissant sa chute avec ses deux mains.

Toute cette lutte de l'homme contre les mâchoires ferrées de l'imposte ne s'était point exécutée sans bruit; aussi Chicot, en se relevant, se trouva-t-il face à face avec un soldat.

– Ah! mon Dieu! vous seriez-vous fait mal, monsieur Chicot? lui demanda celui-ci en lui présentant le bout de sa hallebarde en guise de soutien.

– Encore! pensa Chicot.

Puis, songeant à l'intérêt que lui avait témoigné ce brave homme:

– Non, mon ami, lui dit-il, aucun.

– C'est bien heureux, dit le soldat, je défie que qui que ce soit accomplisse un pareil tour sans se casser la tête; en vérité, il n'y avait que vous pour cela, monsieur Chicot.

– Mais d'où diable sais-tu mon nom? demanda Chicot surpris, en essayant toujours de passer.

– Je le sais, parce que je vous ai vu au palais aujourd'hui, et que j'ai demandé: Quel est ce gentilhomme de haute mine qui cause avec le roi?

– C'est monsieur Chicot, m'a-t-on répondu; voilà comment je le sais.

– C'est on ne peut plus galant, dit Chicot; mais comme je suis très pressé, mon ami, tu permettras…

– Quoi, monsieur Chicot?

– Que je te quitte et que j'aille à mes affaires.

– Mais on ne sort pas du palais la nuit; j'ai une consigne.

– Tu vois bien qu'on en sort, puisque j'en suis sorti, moi.

– C'est une raison, je le sais bien; mais…

– Mais?

– Vous rentrerez, voilà tout, monsieur Chicot.

– Ah! non.

– Comment, non!

– Pas par là du moins, la route est trop mauvaise.