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– Et le gouverneur de la place, demanda Chicot, c'est?…

– C'est M. de Mornay, qui ne badine pas avec les consignes, monsieur Chicot, vous devez savoir cela, et qui me ferait passer par les armes purement et simplement si je manquais à la mienne.

Chicot commençait à caresser la poignée de son épée avec un mauvais sourire, lorsque se retournant, il s'aperçut que la porte était obstruée par une ronde extérieure, laquelle se trouvait là justement pour empêcher Chicot de passer, eût-il tué le lieutenant, la sentinelle et le concierge.

– Allons, se dit Chicot avec un soupir; c'est bien joué, je suis un sot, j'ai perdu.

Et il tourna les talons.

– Voulez-vous qu'on vous reconduise, monsieur Chicot? demanda l'officier.

– Ce n'est pas là peine, merci, répliqua Chicot.

Chicot revint sur ses pas, mais il n'était point au bout de son martyre.

Il rencontra le prévôt, qui lui dit:

– Tiens! monsieur Chicot, vous avez donc déjà fait votre commission? peste! c'est à faire à vous, vous êtes leste!

Plus loin le cornette le saisit au coin de la rue et lui cria:

– Bonsoir, monsieur Chicot. Eh bien! cette dame, vous savez?… Êtes-vous content de Nérac, monsieur Chicot?

Enfin, le soldat du péristyle, toujours en sentinelle à la même place, lui lâcha sa dernière bordée:

– Cordieu! monsieur Chicot, lui dit-il, le tailleur vous a bien mal raccommodé, et vous êtes, Dieu me pardonne, plus déchiré encore qu'en sortant.

Chicot ne voulut pas risquer de se dépouiller comme un lièvre en repassant par la filière de l'imposte, il se coucha devant la porte et feignit de s'endormir.

Par hasard, ou plutôt par charité, la porte s'ouvrit, et Chicot rentra penaud et humilié dans le palais.

Sa mine effarée toucha le page, toujours à son poste.

– Cher monsieur Chicot, lui dit-il, voulez-vous que je vous donne la clef de tout cela?

– Donne, serpent, donne, murmura Chicot.

– Eh bien! le roi vous aime tant, qu'il a tenu à vous garder.

– Et tu le savais, brigandeau, et tu ne m'as pas averti!

– Oh! monsieur Chicot, impossible, c'était un secret d'État.

– Mais je t'ai payé, scélérat?

– Oh! le secret valait mieux que dix pistoles, vous en conviendrez, cher monsieur Chicot.

Chicot rentra dans sa chambre et se rendormit de rage.

LIII Le grand veneur du roi de Navarre

En quittant le roi, Marguerite s'était rendue à l'instant même à l'appartement des filles d'honneur.

En passant, elle avait pris avec elle son médecin Chirac, qui couchait au château, et elle était entrée avec lui chez la pauvre Fosseuse qui, pâle et entourée de regards curieux, se plaignait de douleurs d'estomac, sans vouloir, tant sa douleur était grande, répondre à aucune question ni accepter aucun soulagement.

Fosseuse avait à cette époque vingt à vingt et un ans; c'était une belle et grande personne, aux yeux bleus, aux cheveux blonds, au corps souple et plein de mollesse et de grâce; seulement depuis près de trois mois elle ne sortait plus et se plaignait de lassitudes qui l'empêchaient de se lever; elle était restée sur une chaise longue, et de cette chaise longue avait fini par passer dans son lit.

Chirac commença par congédier les assistants, et, s'emparant du chevet de la malade, il demeura seul avec elle et la reine.

Fosseuse, épouvantée de ces préliminaires, auxquels les deux physionomies de Chirac et de la reine, l'une impassible et l'autre glacée, ne laissaient pas que de donner une certaine solennité, Fosseuse se souleva sur son oreiller, et balbutia un remercîment pour l'honneur que lui faisait la reine sa maîtresse.

Marguerite était plus pâle que Fosseuse; c'est que l'orgueil blessé est plus douloureux que la cruauté ou la maladie.

Chirac tâta le pouls de la jeune fille, mais ce fut presque malgré elle.

– Qu'éprouvez-vous? lui demanda-t-il après un moment d'examen.

– Des douleurs d'estomac, monsieur, répondit la pauvre enfant; mais ce ne sera rien, je vous assure, et si j'avais seulement la tranquillité…

– Quelle tranquillité, mademoiselle? demanda la reine.

Fosseuse fondit en larmes.

– Ne vous affligez point, mademoiselle, continua Marguerite. Sa Majesté m'a priée de vous visiter pour vous remettre l'esprit.

– Oh! que de bontés, madame!

Chirac lâcha la main de Fosseuse.

– Et moi, dit-il, je sais à présent quel est votre mal.

– Vous savez? murmura Fosseuse en tremblant.

– Oui, nous savons que vous devez beaucoup souffrir, ajouta Marguerite.

Fosseuse continuait à s'épouvanter d'être ainsi à la merci de deux impassibilités, celle de la science, celle de la jalousie.

Marguerite fit un signe à Chirac, qui sortit de la chambre. Alors la peur de Fosseuse devint un tremblement; elle faillit s'évanouir.

– Mademoiselle, dit Marguerite, quoique depuis quelque temps, vous agissiez envers moi comme envers une étrangère, et qu'on m'avertisse chaque jour des mauvais offices que vous me rendez près de mon mari…

– Moi, madame?

– Ne m'interrompez point, je vous prie. Quoique enfin vous ayez aspiré à un bien trop au-dessus de vos ambitions, l'amitié que je vous portais et celle que j'ai vouée aux personnes d'honneur à qui vous appartenez, me pousse à vous secourir dans le malheur où l'on vous voit en ce moment.

– Madame, je vous jure…

– Ne niez pas, j'ai déjà trop de chagrins; ne ruinez pas d'honneur, vous d'abord, et moi ensuite, moi qui ai presque autant d'intérêt que vous à votre honneur, puisque vous m'appartenez. Mademoiselle, dites-moi tout, et en ceci je vous servirai comme une mère.

– Oh! madame! madame! croyez-vous donc à ce qu'on dit?

– Prenez garde de m'interrompre, mademoiselle, car, à ce qu'il me semble, le temps presse. Je voulais dire qu'en ce moment, M. Chirac, qui sait votre maladie, vous vous rappelez les paroles qu'il a dites à l'instant même, qu'en ce moment, M. Chirac est dans les antichambres où il annonce à tous que la maladie contagieuse dont on parle dans le pays, est au palais, et que vous menacez d'en être atteinte. Cependant, moi, s'il en est temps encore, je vous emmènerai au Mas-d'Agenois, qui est une maison fort écartée du roi, mon mari; nous serons là seules ou à peu près; le roi, de son côté, part avec sa suite pour une chasse, qui, dit-il, doit le retenir plusieurs jours dehors; nous ne sortirons du Mas-d'Agenois qu'après votre délivrance.