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– Huit jours: eh bien, soit, compère: dans huit jours vous me connaîtrez comme un frère. Buvons, Chicot.

– Sire, je n'ai plus soif, dit Chicot, qui commençait à renoncer à la prétention qu'il avait eue d'abord de griser le roi.

– Alors, je vous quitte, compère, dit Henri; un homme ne doit plus rester à table quand il n'y fait rien. Buvons, vous dis-je.

– Pourquoi faire?

– Pour mieux dormir. Ce petit vin du pays donne un sommeil plein de douceur. Aimez-vous la chasse, Chicot?

– Pas beaucoup, sire; et vous?

– J'en suis passionné, moi, depuis mon séjour à la cour du roi Charles IX.

– Pourquoi Votre Majesté me fait-elle l'honneur de s'informer si j'aime la chasse? demanda Chicot.

– Parce que je chasse demain, et compte vous emmener avec moi.

– Sire, ce sera beaucoup d'honneur, mais…

– Oh! compère, soyez tranquille, cette chasse est faite pour réjouir les yeux et le cœur de tout homme d'épée. Je suis bon chasseur, Chicot, et je tiens à ce que vous me voyiez dans mes avantages, que diable! Vous voulez me connaître, dites-vous?

– Ventre de biche, sire, c'est un de mes plus grands désirs, je l'avoue.

– Eh bien! c'est un côté sous lequel vous ne m'avez pas encore étudié.

– Sire, je ferai tout ce qu'il plaira au roi.

– Bon! c'est chose convenue! Ah! voici un page; on nous dérange.

– Quelque affaire importante, sire.

– Une affaire! à moi! lorsque je suis à table! Il est étonnant, ce cher Chicot, pour se croire toujours à la cour de France. Chicot, mon ami, sache une chose, c'est qu'à Nérac…

– Eh bien! sire?

– Quand on a bien soupé, l'on se couche.

– Mais ce page?

– Eh bien! mais ce page ne peut-il annoncer autre chose que des affaires?

– Ah! je comprends, sire, et je vais me coucher.

Chicot se leva, le roi en fit autant, et prit le bras de son hôte.

Cette hâte à le renvoyer parut suspecte à Chicot, à qui toute chose d'ailleurs, depuis l'annonce de l'ambassadeur d'Espagne, commençait à paraître suspecte. Il résolut donc de ne sortir du cabinet que le plus tard qu'il pourrait.

– Oh! oh! fit-il en chancelant, c'est étonnant, sire.

Le Béarnais sourit.

– Qu'y a-t-il d'étonnant, compère?

– Ventre de biche! la tête me tourne. Tant que j'étais assis, cela allait à merveille; mais, à cette heure que je suis levé, brrr.

– Bah! dit Henri, nous n'avons fait que goûter le vin.

– Bon! goûter, sire. Vous appelez cela goûter. Bravo, sire. Ah! vous êtes un rude buveur, et je vous rends hommage, comme à mon seigneur suzerain! Bon! vous appelez cela goûter, vous?

– Chicot, mon ami, dit le Béarnais, essayant de s'assurer, par un de ces regards subtils qui n'appartenaient qu'à lui, si Chicot était véritablement ivre, ou faisait semblant de l'être, Chicot, mon ami, je crois que ce que tu as de mieux à faire maintenant, c'est de t'aller coucher.

– Oui, sire, bonsoir, sire.

– Bonsoir, Chicot, et à demain.

– Oui, sire, à demain, et Votre Majesté a raison, ce que Chicot a de mieux à faire, c'est de se coucher. Bonsoir, sire.

Et Chicot se coucha sur le plancher.

En voyant cette résolution de son convive, Henri jeta un regard vers la porte.

Si rapide qu'eut été ce regard, Chicot le saisit, au passage.

Henri s'approcha de Chicot.

– Tu es tellement ivre, mon pauvre Chicot, que tu ne t'aperçois pas d'une chose.

– Laquelle?

– C'est que tu prends les nattes de mon cabinet pour ton lit.

– Chicot est un homme de guerre. Chicot ne regarde pas à si peu.

– Alors tu ne t'aperçois pas de deux choses?

– Ah! ah!… Et quelle est la seconde?

– C'est que j'attends quelqu'un.

– Pour souper? soit! soupons.

Et Chicot fit un effort infructueux pour se soulever.

– Ventre saint-gris! s'écria Henri, comme tu as l'ivresse subite, compère! Va-t'en, mordieu! tu vois bien qu'elle s'impatiente.

– Elle! fit Chicot, qui, elle?

– Eh! mordieu, la femme que j'attends, et qui fait faction à la porte, là…

– Une femme! Eh! que ne disais-tu cela, Henriquet… Ah! pardon, fit Chicot, je croyais… je croyais parler au roi de France. Il m'a gâté, voyez-vous, ce bon Henriquet. Que ne disiez-vous cela, sire? Je m'en vais.

– À la bonne heure, tu es un vrai gentilhomme, Chicot. Là, bien, lève-toi et va-t'en, car j'ai une bonne nuit à passer, entends-tu? toute une nuit.

Chicot se leva et gagna la porte en trébuchant.

– Adieu, sire, et bonne nuit… bonne nuit.

– Adieu, cher ami, adieu, dors bien.

– Et vous, sire…

– Chuuut!

– Oui, oui, chuuut!

Et il ouvrit la porte.

– Tu vas trouver le page dans la galerie, et il t'indiquera ta chambre. Va.

– Merci, sire.

Et Chicot sortit, après avoir salué aussi bas que peut le faire un homme ivre.

Mais, aussitôt la porte refermée derrière lui, toute trace d'ivresse disparut; il fit trois pas en avant et, revenant tout à coup, il colla son œil à la large serrure.

Henri était déjà occupé d'ouvrir la porte à l'inconnue que Chicot, curieux comme un ambassadeur, voulait connaître à toute force.

Au lieu d'une femme, ce fut un homme qui entra.

Et lorsque cet homme eut ôté son chapeau, Chicot reconnut la noble et sévère figure de Duplessis-Mornay, le conseiller rigide et vigilant de Henri de Navarre.

– Ah! diable! fit Chicot, voilà qui va surprendre notre amoureux et le gêner, certes, plus que je ne le gênais moi-même.

Mais le visage de Henri, à cette apparition, n'exprima que la joie; il serra les mains du nouveau venu, repoussa la table avec dédain et fit asseoir Mornay auprès de lui avec toute l'ardeur qu'eut mise un amant à s'approcher de sa maîtresse.