Изменить стиль страницы

Ce fut au milieu de ces anxiétés qu’elle entendit frapper à la porte secrète, et qu’après avoir fait reconnaître le visiteur par Gillonne, elle ordonna de laisser entrer.

Henri s’arrêta à la porte: rien en lui n’annonçait le mari blessé. Son sourire habituel errait sur ses lèvres fines, et aucun muscle de son visage ne trahissait les terribles émotions à travers lesquelles il venait de passer.

Il parut interroger de l’œil Marguerite pour savoir si elle lui permettrait de rester en tête-à-tête avec elle. Marguerite comprit le regard de son mari et fit signe à Gillonne de s’éloigner.

– Madame, dit alors Henri, je sais combien vous êtes attachée à vos amis, et j’ai bien peur de vous apporter une fâcheuse nouvelle.

– Laquelle, monsieur? demanda Marguerite.

– Un de nos plus chers serviteurs se trouve en ce moment fort compromis.

– Lequel?

– Ce cher comte de la Mole.

– M. le comte de la Mole compromis! et à propos de quoi?

– À propos de l’aventure de cette nuit. Marguerite, malgré sa puissance sur elle-même, ne put s’empêcher de rougir. Enfin elle fit un effort:

– Quelle aventure? demanda-t-elle.

– Comment! dit Henri, n’avez-vous point entendu tout ce bruit qui s’est fait cette nuit au Louvre?

– Non, monsieur.

– Oh! je vous en félicite, madame, dit Henri avec une naïveté charmante, cela prouve que vous avez un bien excellent sommeil.

– Eh bien, que s’est-il donc passé?

– Il s’est passé que notre bonne mère avait donné l’ordre à M. de Maurevel et à six de ses gardes de m’arrêter.

– Vous, monsieur! vous?

– Oui, moi.

– Et pour quelle raison?

– Ah! qui peut dire les raisons d’un esprit profond comme l’est celui de notre mère? Je les respecte, mais je ne les sais pas.

– Et vous n’étiez pas chez vous?

– Non, par hasard, c’est vrai. Vous avez deviné cela, madame, non, je n’étais pas chez moi. Hier au soir le roi m’a invité à l’accompagner, mais si je n’étais pas chez moi, un autre y était.

– Et quel était cet autre?

– Il paraît que c’était le comte de la Mole.

– Le comte de la Mole! dit Marguerite étonnée.

– Tudieu! quel gaillard que ce petit Provençal, continua Henri. Comprenez-vous qu’il a blessé Maurevel et tué deux gardes?

– Blessé M. de Maurevel et tué deux gardes… impossible!

– Comment! vous doutez de son courage, madame?

– Non; mais je dis que M. de La Mole ne pouvait pas être chez vous.

– Comment ne pouvait-il pas être chez moi?

– Mais parce que… parce que…, reprit Marguerite embarrassée, parce qu’il était ailleurs.

– Ah! s’il peut prouver un alibi, reprit Henri, c’est autre chose; il dira où il était, et tout sera fini.

– Où il était? dit vivement Marguerite.

– Sans doute… La journée ne se passera pas sans qu’il soit arrêté et interrogé. Mais malheureusement, comme on a des preuves…

– Des preuves… lesquelles?…

– L’homme qui a fait cette défense désespérée avait un manteau rouge.

– Mais il n’y a pas que M. de La Mole qui ait un manteau rouge… je connais un autre homme encore.

– Sans doute, et moi aussi… Mais voilà ce qui arrivera: si ce n’est pas M. de La Mole qui était chez moi, ce sera cet autre homme à manteau rouge comme lui. Or, cet autre homme vous savez qui?

– ciel!

– Voilà l’écueil; vous l’avez vu comme moi, madame, et votre émotion me le prouve. Causons donc maintenant comme deux personnes qui parlent de la chose la plus recherchée du monde… d’un trône… du bien le plus précieux… de la vie… De Mouy arrêté nous perd.

– Oui, je comprends cela.

– Tandis que M. de La Mole ne compromet personne; à moins que vous ne le croyiez capable d’inventer quelque histoire, comme de dire, par hasard, qu’il était en partie avec des dames… que sais-je… moi?

– Monsieur, dit Marguerite, si vous ne craignez que cela, soyez tranquille… il ne le dira point.

– Comment! dit Henri, il se taira, sa mort dût-elle être le prix de son silence?

– Il se taira, monsieur.

– Vous en êtes sûre?

– J’en réponds.

– Alors tout est pour le mieux, dit Henri en se levant.

– Vous vous retirez, monsieur? demanda vivement Marguerite.

– Oh! mon Dieu, oui. Voilà tout ce que j’avais à vous dire.

– Et vous allez?…

– Tâcher de nous tirer tous du mauvais pas où ce diable d’homme au manteau rouge nous a mis.

– Oh! mon Dieu, mon Dieu! pauvre jeune homme! s’écria douloureusement Marguerite en se tordant les mains.

– En vérité, dit Henri en se retirant, c’est un bien gentil serviteur que ce cher M. de La Mole!

VII La cordelière de la reine mère

Charles était entré riant et railleur chez lui; mais après une conversation de dix minutes avec sa mère, on eût dit que celle-ci lui avait cédé sa pâleur et sa colère, tandis qu’elle avait repris la joyeuse humeur de son fils.

– M. de La Mole, disait Charles, M. de La Mole!… il faut appeler Henri et le duc d’Alençon. Henri, parce que ce jeune homme était huguenot; le duc d’Alençon, parce qu’il est à son service.

– Appelez-les si vous voulez, mon fils, vous ne saurez rien. Henri et François, j’en ai peur, son plus liés ensemble que ne pourrait le faire croire l’apparence. Les interroger, c’est leur donner des soupçons: mieux vaudrait, je crois, l’épreuve lente et sûre de quelques jours. Si vous laissez respirer les coupables, mon fils, si vous laissez croire qu’ils ont échappé à votre vigilance, enhardis, triomphants, ils vont vous fournir une occasion meilleure de sévir; alors nous saurons tout.

Charles se promenait indécis, rongeant sa colère, comme un cheval qui ronge son frein, et comprimant de sa main crispée son cœur mordu par le soupçon.

– Non, non, dit-il enfin, je n’attendrai pas. Vous ne savez pas ce que c’est que d’attendre, escorté comme je le suis de fantômes. D’ailleurs tous les jours ces muguets deviennent plus insolents: cette nuit même deux damoiseaux n’ont-ils pas osé nous tenir tête et se rebeller contre nous?… Si M. de La Mole est innocent, c’est bien; mais je ne suis pas fâché de savoir où était M. de La Mole cette nuit, tandis qu’on battait mes gardes au Louvre et qu’on me battait, moi, rue Cloche-Percée. Qu’on m’aille donc chercher le duc d’Alençon, puis Henri; je veux les interroger séparément. Quant à vous, vous pouvez rester, ma mère.