Изменить стиль страницы

Catherine s’assit. Pour un esprit ferme comme le sien, tout incident pouvait, courbé par sa main puissante, la conduire à son but, bien qu’il parût s’en écarter. De tout choc jaillit un bruit ou une étincelle. Le bruit guide, l’étincelle éclaire.

Le duc d’Alençon entra: sa conversation avec Henri l’avait préparé à l’entrevue, il était donc assez calme.

Ses réponses furent des plus précises. Prévenu par sa mère de demeurer chez lui, il ignorait complètement les événements de la nuit. Seulement comme son appartement se trouvait donner sur le même corridor que celui du roi de Navarre, il avait d’abord cru entendre un bruit comme celui d’une porte qu’on enfonce, puis des imprécations, puis des coups de feu. Alors seulement il s’était hasardé à entrebâiller sa porte, et avait vu fuir un homme en manteau rouge.

Charles et sa mère échangèrent un regard.

– En manteau rouge? dit le roi.

– En manteau rouge, reprit d’Alençon.

– Et ce manteau rouge ne vous a donné soupçon sur personne?

D’Alençon rappela toute sa force pour mentir le plus naturellement possible.

– Au premier aspect, dit-il, je dois avouer à Votre Majesté que j’avais cru reconnaître le manteau incarnat d’un de mes gentilshommes.

– Et comment nommez-vous ce gentilhomme?

– M. de La Mole.

– Pourquoi M. de La Mole n’était-il pas près de vous comme son devoir l’exigeait?

– Je lui avais donné congé, dit le duc.

– C’est bien; allez, dit Charles.

Le duc d’Alençon s’avança vers la porte qui lui avait donné passage pour entrer.

– Non point par celle-là, dit Charles; par celle-ci. Et il lui indiqua celle qui donnait chez sa nourrice. Charles ne voulait pas que François et Henri se rencontrassent. Il ignorait qu’ils se fussent vus un instant, que cet instant eût suffi pour que les deux beaux-frères convinssent de leurs faits… Derrière d’Alençon, et sur un signe de Charles, Henri entra à son tour. Henri n’attendit pas que Charles l’interrogeât.

– Sire, dit-il. Votre Majesté a bien fait de m’envoyer chercher, car j’allais descendre pour lui demander justice. Charles fronça le sourcil.

– Oui, justice, dit Henri. Je commence par remercier Votre Majesté de ce qu’elle m’a pris hier au soir avec elle; car en me prenant avec elle, je sais maintenant qu’elle m’a sauvé la vie; mais qu’avais-je fait pour qu’on tentât sur moi un assassinat?

– Ce n’était point un assassinat, dit vivement Catherine, c’était une arrestation.

– Eh bien, soit, dit Henri. Quel crime avais-je commis pour être arrêté? Si je suis coupable, je le suis autant ce matin qu’hier soir. Dites-moi mon crime, Sire.

Charles regarda sa mère assez embarrassé de la réponse qu’il avait à faire.

– Mon fils, dit Catherine, vous recevez des gens suspects.

– Bien, dit Henri; et ces gens suspects me compromettent, n’est-ce pas, madame?

– Oui, Henri.

– Nommez-les-moi, nommez-les-moi! Quels sont-ils? Confrontez-moi avec eux!

– En effet, dit Charles, Henriot a le droit de demander une explication.

– Et je la demande! reprit Henri, qui, sentant la supériorité de sa position, en voulait tirer parti; je la demande à mon frère Charles, à ma bonne mère Catherine. Depuis mon mariage avec Marguerite, ne me suis-je pas conduit en bon époux? qu’on le demande à Marguerite; en bon catholique? qu’on le demande à mon confesseur; en bon parent? qu’on le demande à tous ceux qui assistaient à la chasse d’hier.

– Oui, c’est vrai, Henriot, dit le roi; mais, que veux-tu? on prétend que tu conspires.

– Contre qui?

– Contre moi.

– Sire, si j’eusse conspiré contre vous, je n’avais qu’à laisser faire les événements, quand votre cheval ayant la cuisse cassée ne pouvait se relever, quand le sanglier furieux revenait sur Votre Majesté.

– Eh! mort-diable! ma mère, savez-vous qu’il a raison!

– Mais enfin qui était chez vous cette nuit?

– Madame, dit Henri, dans un temps où si peu osent répondre d’eux-mêmes, je ne répondrai jamais des autres. J’ai quitté mon appartement à sept heures du soir; à dix heures mon frère Charles m’a emmené avec lui; je suis resté avec lui pendant toute la nuit. Je ne pouvais pas à la fois être avec Sa Majesté et savoir ce qui se passait chez moi.

– Mais, dit Catherine, il n’en est pas moins vrai qu’un homme à vous a tué deux gardes de Sa Majesté et blessé M. de Maurevel.

– Un homme à moi? dit Henri. Quel était cet homme, madame? nommez le…

– Tout le monde accuse M. de La Mole.

– M. de La Mole n’est point à moi, madame; M. de La Mole est à M. d’Alençon, à qui il a été recommandé par votre fille.

– Mais enfin, dit Charles, est-ce M. de La Mole qui était chez toi, Henriot?

– Comment voulez-vous que je sache cela, Sire? Je ne dis pas oui, je ne dis pas non… M. de La Mole est un fort gentil serviteur, tout dévoué à la reine de Navarre, et qui m’apporte souvent des messages, soit de Marguerite à qui il est reconnaissant de l’avoir recommandé à M. le duc d’Alençon, soit de M. le duc lui-même. Je ne puis pas dire que ce ne soit pas M. de La Mole.

– C’était lui, dit Catherine; on a reconnu son manteau rouge.

– M. de La Mole a donc un manteau rouge?

– Oui.

– Et l’homme qui a si bien arrangé mes deux gardes et M. de Maurevel…

– Avait un manteau rouge? demanda Henri.

– Justement, dit Charles.

– Je n’ai rien à dire, reprit le Béarnais. Mais il me semble, en ce cas, qu’au lieu de me faire venir, moi, qui n’étais point chez moi, c’était M. de La Mole, qui y était, dites-vous, qu’il fallait interroger. Seulement, dit Henri, je dois faire observer une chose à Votre Majesté.

– Laquelle?

– Si c’était moi qui, voyant un ordre signé de mon roi, me fusse défendu au lieu d’obéir à cet ordre, je serais coupable et mériterais toutes sortes de châtiments; mais ce n’est point moi, c’est un inconnu que cet ordre ne concernait en rien: on a voulu l’arrêter injustement, il s’est défendu, trop bien défendu même, mais il était dans son droit.

– Cependant… murmura Catherine.

– Madame, dit Henri, l’ordre portait-il de m’arrêter?

– Oui, dit Catherine, et c’est Sa Majesté elle-même qui l’avait signé.